« Aucun pays au monde ne peut revendiquer avoir plus de 10% de protection forte sur plus d’1 million de km. » Depuis la frégate multimission Provence de la Marine nationale, en baie de Nice ce mercredi matin, la ministre de la Transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche a défendu les annonces de la France visant à renforcer les aires marines protégées, à l’occasion de la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).

L’association Bloom a joué les trouble-fêtes en critiquant la sincérité des engagements sous le label « protection forte ». Ce critère est essentiel dans la distinction entre les zones où le chalutage est légal et les autres. Le mot « protégé » prête à confusion car une aire marine bénéficiant de ce statut n’est pas systématiquement interdite au chalutage, technique de pêche non sélective et considérée comme destructrice du milieu marin.

« La France respecte totalement ses engagements, elle est même en avance. Je ne peux pas laisser prononcer des mensonges par rapport aux annonces, tonne Agnès Pannier-Runacher. 78% des eaux territoriales françaises vont être couvertes par des aires marines protégées. On est bien au-dessus des 30% que prévoit la convention de Montréal. »

« Les associations sont prises à leur propre jeu »

La différence doit être faite entre les 10% de protection forte sur l’ensemble des espaces maritimes nationaux (outre-mer compris) et le niveau métropolitain. Car autour de l’Hexagone, la proportion chute à 4% de protection forte. « Nous annonçons bien de nouvelles zones de protection forte qui vont permettre d’interdire toute action sur les fonds marins fragiles et sensibles », appuie la ministre. Le gain est donc réel, par rapport à la situation antérieure, affirme-t-elle.

« Les associations sont prises à leur propre jeu, car elles ont expliqué que la France était couverte avec 0,1% de protection forte, et tout d’un coup, elles reviennent en disant que ces zones étaient déjà protégées. Ont-elles menti tout le temps? Ou sont-elles en train de mentir aujourd’hui? »


Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, à bord de la frégate Provence, ce mercredi à Nice, pendant le sommet de l’océan. Photo So. B..

Selon la ministre, il y a un autre « éléphant dans la pièce »: ce sont toutes les pressions des activités humaines sur l’océan et la biodiversité. Les pollutions qui viennent de la terre, le mouillage sur les fonds marins… « force de ne parler que du chalutage de fond, on en a perdu tous les enjeux de biodiversité. »

Onze types d’aires marines protégées existent. Selon une évaluation européenne, un quart de la pêche au chalut, en France, se pratique dans des aires marines protégées.

Bloom dénonce une escroquerie

La contre-attaque ministérielle laisse Bloom de marbre. Dans une interview accordée lundi à Nice-Matin, Claire Nouvian, fondatrice de l’ONG, dénonce « une escroquerie » (lire notre édition d’hier): « La seule avancée que le gouvernement se vante de présenter au monde entier, consiste à attribuer le label d’aire marine protégée à des zones déjà interdites au chalutage de fond. Et ce, depuis neuf ans! Les nouvelles zones du ministère sont en réalité déjà présentes dans un règlement européen de 2017 sur l’Atlantique. Un texte qui a été obtenu après sept ans d’une bataille menée par Bloom. »

Pour preuve, l’association dégaine les cartes fournies par le gouvernement et les compare aux cartes exigées par la réglementation européenne. Dans le golfe de Gascogne, les taches vert clair, indiquant les nouvelles zones de protection forte, se fondent dans l’hachuré rouge des secteurs déjà interdits par l’Union.

Une information confirmée à demi-mot par Agnès Pannier-Runacher, reconnaissant que les Aires Marines Protégées (AMP), annoncées par son ministère, « recoupent en partie en Atlantique, c’est moins le cas en Méditerranée ».

« Pendant vingt ans, la France a violé le droit européen »

Quid de cette dernière? Sur la « Mare nostrum », la comparaison est moins flagrante et les avancées sont plus marquées. « Mais le chalutage y est moindre et la pression des lobbys aussi », nuance Claire Nouvian. « Ce qui n’a pas empêché la France de faire des gros cadeaux. Dès 2006, l’Union européenne a interdit le chalutage au-dessus des prairies sous-marines. Pendant vingt ans, jusqu’en mai 2025, juste avant l’UNOC, la France a reconduit des dérogations, violant le droit européen. »

En investiguant le détail des zones intégrées, François Chartier, chargé de campagne océans à Greenpeace, explique à Mediapart « qu’on y voit des canyons qui sont impossibles à chaluter de par leur profondeur. Et l’exécutif a cité en exemple Port-Cros ou les calanques près de Marseille, des espaces où le chalutage de fond a déjà été prohibé. »

Du côté des territoires ultramarins, le gain de 900.000km2 de protection en Polynésie est salué par Bloom. Claire Nouvian contextualise: « C’est la victoire du gouvernement autonome et des Polynésiens. Malheureusement, Macron instrumentalise ça pour se présenter comme un grand protecteur des océans. Sans jamais préciser que ces espaces très éloignés sont peu, voire pas du tout, exposés à la pression humaine. »