Emmanuel Macron persiste et signe. Même si aucun élément n’a filtré à ce stade sur les raisons qui ont poussé un adolescent de 14 ans à poignarder mortellement une surveillante mardi 10 juin à Nogent (Haute-Marne), le président de la République a mis en cause la responsabilité des réseaux sociaux et martelé sa volonté de les interdire aux moins de 15 ans. « Je nous donne quelques mois pour arriver à faire la mobilisation européenne. Sinon, je négocierai avec les Européens pour que nous, on commence à le faire en France. On ne peut pas attendre », a-t-il déclaré.
Le chef de l’État avait déjà affiché cette ambition lors d’une émission sur TF1 le 13 mai, déplorant alors « une crise d’autorité » et « une jeunesse percutée par les réseaux sociaux ». Quelques jours plus tôt, la ministre déléguée au Numérique, Clara Chappaz, avait mis la pression sur ses partenaires européens en affirmant que la France se donnait « trois mois » pour les mobiliser sur ce sujet, faute de quoi Paris fera cavalier seul. Emmanuel Macron avait déjà plaidé, en juin 2024, en faveur d’une interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans, et d’une interdiction du smartphone avant 11 ans, sur la base des préconisations d’une commission d’experts nommée par ses soins pour faire émerger des solutions à la problématique du rapport des jeunes aux écrans.
Le contrôle de l’âge des mineurs qui se connectent sur les réseaux sociaux est un projet porté depuis des années au niveau national. Mais la réforme s’est heurtée pour l’instant à des problèmes de compatibilité technique et réglementaire. Une loi sur la majorité numérique a été adoptée à l’été 2023. Elle exige une autorisation parentale pour l’accès des moins de 15 ans aux réseaux sociaux, conformément au RGPD de 2018, mais elle n’est jamais entrée en application, faute de certitude sur sa conformité au droit européen. Le président de la République avait lui-même admis en mai dernier que la vérification d’âge à l’inscription sur les réseaux sociaux est une compétence européenne. « Il faudrait que derrière, on engage en parallèle un combat européen, mais je pense qu’il faut le faire, c’est une de mes priorités », avait-il lancé.
La marge d’action de la France est limitée au niveau national
Le texte de référence en Europe en matière de régulation des plateformes numériques est le Digital Services Act (DSA), entré en vigueur fin 2024. S’il impose la modération des contenus illicites, il demeure évasif sur la question de l’âge des utilisateurs. Les plateformes ont l’obligation de protéger les mineurs, mais aucun dispositif technique de vérification d’âge n’est exigé. Face à ce flou, Paris et plusieurs capitales européennes plaident pour des mesures plus contraignantes.
Le DSA, comme les autres législations européennes, verrouille la marge d’action nationale. « Les États ne peuvent pas imposer eux-mêmes des moyens techniques. L’Europe fixe de grands objectifs puis les acteurs déterminent les moyens. L’intervention des autorités peut se faire uniquement a posteriori, pour vérifier que ces moyens sont proportionnés par rapport au but. Mais elles ne peuvent pas fixer elles-mêmes le type de moyens à adopter. C’est ce qui fait que les pouvoirs publics se retrouvent un peu coincés sur des questions techniques comme le contrôle de l’âge », observe auprès de RTL Thibault Douville, agrégé de droit privé et directeur du Master droit du numérique à l’Université de Caen Normandie.
Toute obligation technique décidée au niveau national pourra être attaquée par les acteurs concernés, qui ne sont pas établis en France et relèvent du droit européen. C’est notamment pour cette raison que la régulation des sites pornographiques n’est pas encore totalement appliquée en France. « En l’état du droit de l’Union, il paraît très difficile que la France puisse intervenir seule. À mon sens, elle n’en a pas la compétence. Mais l’exécutif n’ignore pas la législation. Les déclarations de l’exécutif relèvent surtout d’une stratégie de pression politique visant à accélérer l’agenda et faire bouger les lignes au niveau de la Commission européenne », estime Thibault Douville.
Paris veut pousser Bruxelles à aller plus loin dès cet été
L’annonce d’Emmanuel Macron intervient alors que la Commission européenne prépare des lignes directrices pour aider les plateformes à respecter les obligations établies par le DSA. Elles doivent être publiées durant l’été après une consultation publique. En parallèle, la Commission européenne va commencer à expérimenter une application de vérification de l’âge en juillet prochain en prévision de l’entrée en vigueur d’un Digital Wallet européen à l’horizon 2026-2027, un portefeuille numérique conçu pour stocker, afficher et vérifier les informations d’identification des citoyens européens.
La France et plusieurs pays de l’Union européenne souhaitent que l’application lancée cet été aille plus loin et prenne en charge les mécanismes de contrôle parental, permette la vérification de l’âge et limite l’utilisation de certaines applications pour les mineurs. Sur X, la ministre française déléguée au Numérique, Clara Chappaz, a rappelé mercredi que sept pays (la France, la Grèce, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, Chypre et la Slovénie) se sont engagés en faveur d’une telle exigence. Mais cette orientation est loin de faire consensus au sein des Vingt-Sept.
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