Dans l’univers des nuits toulonnaises, il est un peu plus qu’un simple gérant de discothèque. Un peu plus, aussi, que le barman qui remplit les verres de la clientèle assoiffée. Au-delà du sourire contagieux, des chemises colorées, des bras tatoués et des grosses bagouses, Francky Tiberi a le regard qui marque.

Gérant emblématique du Boy’s Paradise, petite boîte de nuit du quartier de la gare, il était déjà présent à la création, il y a trente-trois ans. Et il le sera sans doute encore demain; nul besoin de discuter longtemps avec lui pour en être assuré. « Mon sourire et mes yeux trahissent la passion que j’ai pour mes clients et l’envie de les voir s’amuser », s’enthousiasme-t-il.

A 50 ans, le Toulonnais de cœur s’évertue à perpétuer l’héritage de son papa Alain, créateur en 1992 de ce qui demeure aujourd’hui la deuxième plus ancienne boîte de nuit de la commune. « Ancien militaire et sous-marinier, il était très attaché à la communauté gay. Quand il venait sur Toulon, il avait beaucoup d’amis homosexuels. Et, pour lui, c’était un peu un challenge de lancer cet établissement car il n’y avait rien dans le genre en ville, rembobine-t-il. Il a donc ouvert un sex-shop, puis un bar… puis le Boy’s. Et c’est un peu comme ça qu’est né ce milieu gay toulonnais au début des années 1990. D’ailleurs, il s’est avéré que mon père est lui aussi devenu gay avec les années! (rires) « 

Comédien, maître-chien, cuisinier…

Francky n’a donc pas toujours été « El Patrón » sur le boulevard Toesca. On pourrait même dire qu’il a eu mille vies avant cela.

Durant ses jeunes années parisiennes, l’Antibois de naissance est successivement standardiste, comédien (avec des apparitions dans les sitcoms Hélène et les garçons ou Premiers Baisers), danseur, interprète (dans l’émission la Chance aux chansons), maître-chien, homme d’attaque, éleveur et gérant de plusieurs salons de toilettage… « Avec la boîte de production de mon copain, j’accompagnais aussi en tournée des artistes et humoristes de l’époque, comme Smaïn, Muriel Robin, Pierre Palmade, Benny B, David Soul… »

Un parcours riche, qui le voit néanmoins rentrer au bercail au bout de quelques années, désireux d’aider son père au sein du club gay. Dans le local voisin, il monte en plus une deuxième activité: le Cochon rose, petit restaurant qui deviendra en quelques années un cabaret à succès. « Pendant dix-sept ans, j’y faisais même la cuisine, se marre le couteau suisse. En 2013, on a déplacé l’établissement à Hyères et c’est devenu la Cour royale, où l’on faisait aussi les mariages. »

L’histoire d’amour se termine toutefois en 2018, lorsque Francky décide de se dédier exclusivement au Boy’s. « Quand mon père nous a quittés en 2016, je n’étais pas parti dans l’idée de conserver le club, car j’avais le cabaret qui était une passion. Mais comme il était aussi le Monsieur Loyal là-bas, ça avait cassé quelque chose… Et puis, je me suis rendu compte que je faisais tout ça pour lui. »

Lieu de diversité


Le Toulonnais d’adoption a repris le flambeau de son papa en 2016.
Photo Frank Muller.

Face à la gare de Toulon, Francky reprend seul les manettes de la discothèque, alors quelque peu délaissée par la communauté gay. « Il a fallu que je change le personnel et que je remanie l’intégralité à mon image, et à celle de mon père. » Opération réussie. Avec une équipe de presque dix personnes, et malgré un « cahier des charges presque excessif pour les boîtes », le petit club semble avoir retrouvé son âme d’antan.

Il demeure d’ailleurs le seul « survivant » parmi les discothèques du centre-ville. « Bizarrement, ça fait un an et demi que je revois des clients qui étaient là il y a vingt-cinq ou trente ans, s’émeut le directeur. Il y a même des gens que je ne reconnais pas et qui me disent qu’ils ont rencontré leur femme ici! »

Sous les boules à facettes, les drapeaux arc-en-ciel et devant les nombreux miroirs parsemant la piste, on y danse sur des classiques, de la techno, de la musique urbaine, des slows. Lors des grosses soirées, avec la rotation, 500 à 600 personnes peuvent passer les épaisses portes de l’établissement. C’était même encore plus durant la Pride 2024, où un record avait été battu: « Je crois qu’on avait atteint les 980 personnes! Il y avait une heure d’attente, je ne comprenais pas. « Parce que vous êtes le seul club gay et que c’est emblématique », disaient les gens. »

Cette année encore, le club accueillera donc l’after officiel de la Pride, avec une soirée spéciale et plusieurs animations, ce samedi. Un événement que Francky, donateur du collectif Fiertés Toulon, attend de pied ferme, prêt à ouvrir les portes à tous ceux qui veulent s’amuser « raisonnablement ».

« Ici, on peut rencontrer des femmes, des hommes, des homosexuels, des hétéros, des personnes trans, des marins, des rugbymen… Cette diversité fait le bien-être du club. Pour autant, je crois qu’avec un bon sourire, tout le monde se comprend. » Chez Francky, en l’occurrence, c’est une passion intacte que l’on devine.

>Boy’s Paradise. 1 boulevard Pierre Toesca, Toulon. Ouvert du mercredi au samedi de 23h à 6h.