Qui était vraiment Cléopâtre ? Disparue il y a exactement 2.054 ans, la célèbre reine d’Égypte (69 av. J.-C. – 30 av. J.-C.) a laissé son empreinte indélébile dans l’Histoire. Femme de pouvoir et d’Etat, résistante à l’invasion romaine, celle qui gagna tour à tour le cœur de Jules César et de Marc Antoine, est entourée depuis toujours de croyances folles et de légendes.

À notre ère, celles-ci sont dûment entretenues par une production cinématographique et même télévisuelle prolifique, comme avec la mini-série La Reine Cléopâtre, sur Netflix en 2023. À travers l’exposition Le mystère Cléopâtre l’Institut du monde arabe* tente de démêler le vrai du faux au fil d’un parcours captivant, entre antiquité et représentation contemporaine de Cléopâtre, un parcours où science et artistes œuvrent de concert pour rétablir certaines vérités.

L'exposition «Les mystères de Cléopâtre» à l'Institut du monde arabe mène l'enquête sur celle que fut vraiment la reine d'Égypte.L’exposition «Les mystères de Cléopâtre» à l’Institut du monde arabe mène l’enquête sur celle que fut vraiment la reine d’Égypte. - Christophe Séfrin/20 MinutesCléopâtre avait un grand nez

C’est ce que l’on dit. Et ce que la BD et le cinéma ont montré dans Astérix et Cléopâtre et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. Si l’exposition Le mystère Cléopâtre présente dans l’une de ses salles un drôle de mur où sont suspendus des dizaines d’appendices nasaux, quelques pièces de bronze jadis frappées à Alexandrie et à Chypre et exhumées par ailleurs révèlent la physionomie de Cléopâtre. Elle y figure avec un visage allongé, un front bombé et un nez proéminent.

Mais selon Christiane Ziegler, égyptologue et directrice honoraire du département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre, « on ne sait pas grand-chose, il existe très peu de portraits « certains » et aucune statue sur laquelle son nom est mentionné. Celles-ci sont seulement « attribuées » à Cléopâtre ».

Cléopâtre avait-elle vraiment un grand nez?Cléopâtre avait-elle vraiment un grand nez? - Christophe Séfrin/20 Minutes

L’idée selon laquelle la reine d’Egypte avait un grand nez viendrait d’une citation de Blaise Pascal qui, dans ses Pensées écrivit : « Le nez de Cléopâtre : s’il eut été plus court, toute la face de la Terre aurait changée ». Le philosophe insinue ainsi que la séduction de Cléopâtre sur César et Marc Antoine aurait pu dépendre d’un détail physique…

Les commissaires de l’exposition à l’Institut du Monde arabe se sont par ailleurs amusés en demandant à l’IA de réaliser un portrait de Cléopâtre. Il en ressort « une femme très belle, les traits fardés, sexy, érotisée », note Christiane Ziegler.

Cléopâtre était une femme fatale (et nymphomane)

Pour Claude Mollard, commissaire général de l’exposition, « l’histoire de la beauté de Cléopâtre est largement fantasmée ». Par ailleurs, « elle n’était pas la courtisane vulgaire qu’Auguste voulait montrer ». « Au mieux, Cléopâtre est décrite comme une femme fatale, au pire comme une nymphomane », renchérit l’universitaire Christian-Georges Schwentzel. Certains écrivains l’ont ainsi décrite comme une femme impossible à satisfaire et couchant avec ses esclaves avant de les faire assassiner au petit matin !

L’impressionnant «La mort de Cléopâtre», par Jean-André Roxens (1874), exposé à l'Institut du monde arabe.L’impressionnant «La mort de Cléopâtre», par Jean-André Roxens (1874), exposé à l’Institut du monde arabe. - Christophe Séfrin/20 Minutes

Sur une lampe à huile présentée à l’exposition, la reine d’Égypte est aussi montrée assise sur un phallus. Alors, vrai ou fake ? « Cleopatra bashing », clame Christian-Georges Schwentzel, qui rappelle que dans l’Antiquité, « ce sont les hommes qui ont écrit l’histoire de Cléopâtre. La société romaine était misogyne et patriarcale ». Là encore, il s’agit d’une caricature. « D’autant que les représentations faites d’elle dès le XVIIIe la montrent plutôt comme une femme amoureuse qu’une femme fatale », précise Nathalie Bondil, directrice du musée et des expositions.

Cléopâtre est une icône féministe

L’exposition de l’Institut du monde arabe dépouille Cléopâtre des stéréotypes misogynes, et notamment ceux entretenus par l’Occident dès le XIXe siècle, alors en pleine égyptomania.

De 1899 à nos jours, 220 films, parodies, téléfilms et même érotiques, ont entretenu une certaine image de Cléopâtre.De 1899 à nos jours, 220 films, parodies, téléfilms et même érotiques, ont entretenu une certaine image de Cléopâtre. - Christophe Séfrin/20 Minutes

Autant de poncifs qui décrédibilisèrent aussi la femme politique Cléopâtre, et plus largement, les femmes de pouvoir. Cette image, diabolisée dès l’Antiquité et longtemps dégradée, opère aujourd’hui une vraie mutation, qui redonne à la reine d’Egypte les atours d’une souveraine habile, indépendante, cultivée, qui a su dans un monde dominé par les hommes, s’émanciper. Alors, Cléo, icône féministe ? Sans aucun doute son parcours inspire-t-il le féminisme moderne. Comme le précise Christian-Georges Schwentzel, « elle est celle qui a su s’opposer et s’imposer dans un univers où une femme de pouvoir était une anomalie, une aberration ».

* Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Nernard, 75005, Paris. 01 40 51 38 38 / www.imarabe.org