La stupeur a laissé place à l’incompréhension. Mardi matin, dans un collège sans histoire de Nogent – une petite ville également sans histoire de Haute-Marne –, un adolescent de 14 ans, que tous qualifiaient jusqu’alors de sans histoire, a poignardé à mort Mélanie G., une assistante d’éducation de 31 ans. En garde à vue, le suspect est apparu, d’après le procureur de la République de Chaumont, « détaché, tant au regard de la gravité des faits que des conséquences pour lui-même ». Selon le magistrat, qui a insisté sur l’absence de pathologie psychiatrique, le collégien – décrit comme « bon élève », « intégré » et « sociable » – n’a exprimé ni regret, ni compassion. Il a simplement expliqué qu’il avait planifié de s’en prendre à une surveillante – sans en viser une spécifiquement –, s’estimant victime d’un traitement différent des autres élèves.
Quel regard porter sur une telle affaire ? Selon un sondage paru au lendemain du drame sur BFM*, 87 % des personnes interrogées estiment que ce drame traduit une « montée réelle de la violence des mineurs ». Ce crime fait effectivement écho à plusieurs affaires survenues ces dernières semaines. Le meurtre d’une lycéenne à Nantes par un de ses camarades, fin avril. La mise en examen, la semaine dernière, d’un jeune de 16 ans pour l’assassinat à Dax, le soir de la victoire du PSG, d’un ado de 17 ans. « Un fait ne fait pas forcément une tendance. Lorsqu’il y a un accident d’avion, cela ne signifie pas que la sécurité aérienne dans son ensemble est défaillante », prévient d’emblée Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de La nation inachevée : la jeunesse face à l’école et la police**.
Une légère augmentation des mineurs impliqués dans des homicides, mais…
Alors, que disent les chiffres ? Les données compilées par le SSMSI – le service statistique du ministère de l’Intérieur – font état d’une baisse globale de la délinquance des mineurs. Entre 2017 et 2024 dans cette catégorie d’âges, les mis en cause pour des violences volontaires ou de vols avec arme ont diminué de 6 % ; ceux soupçonnés dans les affaires de vols violents ont presque diminué de moitié. La principale augmentation concerne les violences sexuelles, + 104 % sur la période. « Cela ne signifie pas que les atteintes à caractère sexuel ont augmenté d’autant, car ce sont des affaires qui sont de mieux en mieux identifiées, et donc de plus signalées », précise le sociologue.
Quid des affaires d’homicides ? Depuis 2017, le nombre d’ados âgés de 13 à 17 ans mis en cause dans ces dossiers a légèrement augmenté, selon les chiffres du SSMSI. Il y a huit ans, 82 mineurs ont été impliqués dans une affaire de meurtre ou de violences volontaires ayant entraîné la mort. En 2022, 2023 et 2024, ce chiffre a oscillé entre 119 et 129.
Mais ces statistiques sont à relativiser car dans le même temps, le nombre total d’homicides a également augmenté. Ainsi, la part des mineurs mis en cause dans des homicides est restée relativement stable pendant toute cette période, entre 7 et 10 %. Quant aux chiffres du ministère de la Justice compilés par France Info, ils indiquent que les mineurs représentent en moyenne 6 % des condamnations pour meurtre, un chiffre également stable depuis dix ans.
Des rivalités entre ados au cœur de ces meurtres
Contrairement aux discours souvent véhiculés par des commentateurs, les statistiques ne montrent pas de rajeunissement des mis en cause pour meurtres. Depuis dix ans, les chiffres sont stables : les auteurs d’homicides âgés de moins de 13 ans se comptent chaque année sur les doigts d’une main. En 2021 et 2023, il n’y en a eu aucun. « L’essentiel des auteurs d’homicides mineurs a 16 ou 17 ans », assure Sébastian Roché, qui a épluché de nombreux dossiers. Les statistiques soulignent également la très large surreprésentation des garçons par rapport aux filles dans ces dossiers : ils représentent plus de neuf mis en cause sur dix, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.
« La majorité de ces affaires concernent des ados qui se tuent entre eux, dans le cadre d’une rivalité amoureuse ou dans un contexte de bandes », assure Sébastian Roché. Les homicides à « but acquisitif » sont bien plus rares à ces âges-là. Quid du phénomène des ados recrutés pour jouer les tueurs à gages ? En mai, Europol a alerté l’opinion sur ce phénomène venu des pays nordiques et qui touche désormais toute l’Europe. En octobre dernier, un ado de 14 ans a abattu de sang-froid un chauffeur de taxi à Marseille. « C’est une réalité mais cela ne représente – et heureusement – qu’une poignée d’affaires chaque année », insiste le sociologue.
* Sondage BFM/Elabe, réalisé à partir d’un échantillon de 1.000 personnes
** Sébastian Roché est l’auteur de « La nation inachevée : la jeunesse face à l’école et la police », aux éditions Grasset, publié en 2022