En matière de souveraineté, l’heure n’est plus aux grands discours mais aux décisions stratégiques. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a certes réveillé l’Europe depuis janvier, mais le moins que l’on puisse dire est que le dormeur tarde à sortir de son lit. Jusqu’ici, Bruxelles joue la montre, par prudence stratégique, une posture sans doute habile alors que le président américain joue avec nos nerfs, maniant le chaud et le froid au gré de ses humeurs et de celles des marchés financiers. Cet attentisme permettra peut-être d’éviter une guerre commerciale frontale aux conséquences dramatiques pour l’économie.
Mais il est plus qu’urgent de prendre des initiatives communes pour réarmer le continent européen dont les fragilités éclatent au grand jour. Le plan Rearm EU proposé par la Commission de Bruxelles va dans le bon sens mais bute sur le nerf de la guerre, l’argent. Pour redevenir une puissance crédible, l’Europe doit mettre en cohérence ses ambitions et ses moyens.
Elle a su le faire dans le passé récent, pendant la crise sanitaire en décidant d’un endettement commun pour se sauver d’un risque existentiel provoqué par un virus venu de Chine. Aujourd’hui, seul un endettement commun lui permettra de financer les immenses besoins diagnostiqués par les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi, évalués à 1 000 milliards d’euros y compris l’effort de défense.
Ce montant peut sembler fou si on le regarde avec des lunettes nationales alors que de nombreux États, dont la France en premier lieu, semblent ruinés. Mais il pèse peu si on le met en balance avec l’immense réservoir de l’épargne européenne, alors que l’Europe, sur le plan institutionnel, est très peu endettée. Bien sûr, les citoyens européens ne sont pas tous unis devant ce « saut quantique » fédéral. Mais chacun doit prendre conscience que l’Europe ne pourra pas rester dans la course mondiale - économique, technologique, militaire - si elle ne réarme pas sa base industrielle.
La guerre en Ukraine, les tensions avec la Chine, la dépendance aux composants critiques, aux logiciels étrangers, à l’énergie importée, démontrent que la souveraineté n’est pas une lubie idéologique. C’est vrai aussi dans le champ militaire : notre industrie de défense et spatiale est solide, mais trop lente, trop fragmentée, trop dépendante de décisions budgétaires incertaines. Sans réinvestissement massif, elle décrochera. Il faut inverser le raisonnement. Une dette est soutenable si elle finance des actifs stratégiques qui soutiennent la croissance. Une épargne est utile si elle sert le long terme.
Et un État est crédible s’il sait se donner les moyens de sa puissance. La souveraineté, c’est bien la nouvelle ligne de front du XXIe siècle. La capacité d’investissement d’un pays est devenue sa première ligne de défense. C’est vrai pour l’Europe comme pour la France. L’enjeu n’est pas tant de se focaliser sur les 40 milliards d’euros du nécessaire plan de redressement budgétaire de 2026, mais surtout de préparer le réarmement de notre économie. Sans quoi tout le reste, y compris notre modèle social, s’effondrera comme un château de cartes.