Pour le grand public, il faudra patienter jusqu’au 28 juin, jour de l’ouverture de « Cezanne au Jas de Bouffan« , pour voir toutes les œuvres réunies pour la grande exposition du musée Granet. Mais derrière les murs de l’institution culturelle aixoise, l’heure est aux grandes manœuvres. Et une certaine agitation règne depuis que les premiers tableaux sont arrivés, il y a une dizaine de jours. 50% d’entre eux sont là, sortis au fil des jours de leurs caisses protectrices ultra-sécurisées.

Ce mercredi, les équipes de Granet et celles d’Orsay ont procédé à l’installation des toiles prêtées par le musée parisien. Parmi elles, « des chefs-d’œuvre absolus », dixit Bruno Ely, directeur et conservateur en chef du musée Granet. C’est le cas du Portrait de l’artiste au fond rose, déballé avec la plus grande minutie dans une salle du rez-de-chaussée, soit une des premières sections de l’exposition. Dans cette peinture, Cezanne introduit « des éléments de décor comme ce papier peint qui ouvrent la voie à l’abstraction », souligne Bruno Ely.

Cezanne, père de l’art moderne

Voilà pourquoi Cezanne a été considéré par Picasso ou Matisse comme le père de l’art moderne, et pourquoi il reste encore aujourd’hui une des références mondiales de la peinture. Forcément, les œuvres inestimables qui arrivent au musée Granet sont traitées avec la plus grande prudence. Avant que l’autoportrait ne soit accroché au mur, Matthieu Leverrier, régisseur d’œuvres d’art au musée d’Orsay, lunettes grossissantes et lampe à la main, le scrute sous toutes les coutures. « On va voir s’il y a des altérations qui ont pu évoluer pendant le transport », explique-t-il. Grâce aux multiples couches de mousse protectrice, l’œuvre est en parfait état, et peut être accrochée sur un pan de mur qui rappelle d’ailleurs la teinte dominante de cet autoportrait.

Environ 50% des œuvres sont arrivées, mais pas toutes ne sont encore installées.Environ 50% des œuvres sont arrivées, mais pas toutes ne sont encore installées. / PHOTO N.V.

Très attentif, Bruno Ely fait descendre de quelques millimètres la partie supérieure droite de l’œuvre, pourtant positionnée au niveau à bulle après une première visée au laser. « Parfois le niveau à bulle tombe juste, mais les cadres sont irréguliers et ça demande d’être réglé à l’œil. Là, ça me paraît mieux », lance-t-il aux deux installateurs qui manient ce trésor avec moult précautions.

« L’accrochage, un moment capital »

L’accrochage, « ce sont des journées extrêmement particulières, et c’est un moment capital, nous précise-t-il. C’est là que l’on va voir si ce qu’on a réellement imaginé, ce qu’on a pensé, fonctionne. En général, ça fonctionne, mais parfois, on peut avoir des surprises, et il faut s’adapter. » Durant cette période, le rythme est soutenu, et il faut savoir garder la tête froide alors que l’on bascule de la préparation à une phase bien plus concrète. « Nous devons donner toute notre attention, toute notre énergie. Il faut être toujours prêt à réagir, assez vite. C’est à la fois exaltant, passionnant, mais il ne faut pas se laisser emporter par sa passion et rester concentré sur son sujet. C’est toujours difficile avec Cezanne, parce qu’on a envie de s’approcher, de voir l’œuvre, mais en réalité il faut voir tout ce qui est technique », explique le directeur du musée Granet.

Réfléchi bien en amont, l’

accrochage vise à respecter et mettre le plus possible en valeur les œuvres, tout en offrant la meilleure expérience au public, avec une fluidité de circulation notamment. Indispensable, alors qu’entre 350 000 et 400 000 visiteurs sont attendus dans le musée aixois durant la centaine de jours que va durer l’exposition, du 28 juin au 12 octobre.

Huit sections et des tableaux iconiques

À Granet, huit sections à la fois chronologiques et thématiques vont nous plonger dans l’œuvre de Cezanne, autour des 40 années passées dans la bastide familiale, au Jas de Bouffan. Peintures du grand salon, où le jeune peintre a fait ses premières armes, proches pris pour modèles, paysages, et ses thèmes fétiches, comme les baigneurs-baigneuses et les natures mortes : l’iconographie cezannienne est passée en revue. Au fil des salles, on peut imaginer à quoi ressemblera cette exposition majuscule, alors que 15% des œuvres seulement sont installées.

Et quand Les Joueurs de cartes sortent de leur caisse, pour trouver leur place sur un mur d’une des dernières salles de l’expo, on retient son souffle presque inconsciemment. « Il fait partie des grands thèmes de Cezanne », confie Bruno Ely. Les Joueurs de cartes sont iconiques, même. En 2011, la plus grande de cette série de trois peintures avec ces deux joueurs face à face a été achetée plus de 250 millions de dollars par la famille régnante du Qatar, lors d’une vente aux enchères privée.

L'état des peinture est minutieusement étudié avant l'accrochage.L’état des peinture est minutieusement étudié avant l’accrochage. / PHOTO N.V.

Un trésor pareil, il faut en prendre soin, et là encore, l’œuvre est longuement scrutée, avant d’être installée à sa place. Autour d’elle, il y aura d’autres paysans, mais aussi La femme à la cafetière. Bref, tout ce peuple du Jas, qui travaillait à la bastide, et que Cezanne a peint, en les payant parfois cinq francs pour qu’ils acceptent d’être ses modèles !

Au total, ce sont 135 œuvres qui doivent être installées d’ici au 28 juin. Des chefs-d’œuvre en provenance de 15 pays différents, cédés pour trois mois par 75 prêteurs, parmi lesquels les plus grandes institutions culturelles mondiales. Ce qui confère de facto à ce grand événement le statut d’exposition internationale…

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