« Les États-Unis ont exagéré les capacités de Huawei – nous ne sommes pas encore aussi forts », concède Ren Zhengfei, ajoutant que ses puces ont encore « une génération de retard » sur la technologie américaine. Loin des discours guerriers ou des complaintes victimaires, le fondateur et PDG de Huawei livre ses impressions dans une interview accordée au Quotidien du peuple, le journal officiel du Comité central du Parti communiste chinois, et repris par Global Times. Alors que les États-Unis multiplient les avertissements et les sanctions, notamment contre les puces Ascend de Huawei dédiées à l’intelligence artificielle, on pourrait s’attendre à une réaction enflammée. Au lieu de cela, Ren Zhengfei prend tout le monde à contre-pied en confirmant que son entreprise est en retard.
Huawei est en retard, mais cela ne l’arrêtera pas
Une modestie qui frise la provocation, surtout quand on la met en perspective avec les déclarations du patron de Nvidia, Jensen Huang. Ce dernier, dont les puces ultra-performantes sont désormais interdites de vente en Chine, voit justement dans ces restrictions la raison pour laquelle Huawei est devenu un concurrent « redoutable ». En somme, les sanctions américaines auraient créé le monstre qu’elles cherchaient à abattre.
Interrogé sur l’état d’esprit qui l’anime face à ce blocus, Ren Zhengfei balaye la question d’un revers de main. « Je n’y ai pas pensé ; réfléchir est inutile. Il ne faut pas s’attarder sur les difficultés, il faut juste agir et avancer, pas à pas ». Cette philosophie est le fil rouge de la stratégie de survie et de renaissance de Huawei depuis 2019. L’entreprise chinoise ne se plaint pas, elle s’adapte, mais comment combler ce fameux « retard d’une génération » ?
C’est là que la vision de Huawei se révèle et puisque la physique des composants individuels lui est pour l’instant défavorable, l’entreprise change les règles du jeu. « Nous utilisons les mathématiques pour compenser la physique, des approches qui ne suivent pas la loi de Moore pour compléter la loi de Moore, et le calcul en grappe (cluster computing) pour rattraper les limites d’une seule puce », explique le fondateur. En clair, Huawei relie des puces moins puissantes entre elles pour obtenir, au final, une performance comparable aux meilleures du monde. Une solution ingénieuse, qui contourne l’obstacle au lieu de s’y fracasser.
Ren Zhengfei est convaincu que la Chine a tous les atouts pour réussir dans l’IA
Mais la véritable force de frappe de Huawei ne se situe pas dans ses usines, mais dans sa vision à long terme. L’entreprise investit chaque année la somme colossale de 180 milliards de yuans (environ 23 milliards d’euros) en recherche et développement. Fait important, un tiers de ce budget, soit 60 milliards de yuans, est alloué à la recherche théorique fondamentale, « sans évaluation de performance ».
Ren Zhengfei parle avec une certaine admiration de ces « chercheurs théoriques », qu’il qualifie de « solitaires ». « Leurs contributions ne sont parfois reconnues que des décennies, voire des siècles plus tard », insiste-t-il. Il cite l’exemple de Tu Youyou, nobélisée pour ses travaux sur l’artémisinine, ou d’agronomes dont les découvertes sur un fruit sauvage dans les années 40 sont aujourd’hui à la base d’une industrie florissante. Pour lui, sans ces « racines », l’arbre technologique, aussi luxuriant soit-il, finira par tomber au premier coup de vent.
Ren Zhengfei a fondé Huawei en 1987 à Shenzhen. Il en est le président-directeur général depuis la fondation. © Huawei
Cette patience stratégique est un luxe que peu d’entreprises occidentales, soumises à la pression des résultats trimestriels, peuvent s’offrir. C’est peut-être là que réside le véritable avantage compétitif de la Chine. Ren Zhengfei évoque la capacité du modèle socialiste à construire des infrastructures comme les TGV ou les barrages, même « non rentables » à court terme, car ils « posent les fondations d’une société développée ». Pour lui, l’intelligence artificielle suivra la même logique, et la Chine a les atouts pour gagner avec un réseau électrique et de télécommunications sans égal, et des « centaines de millions de jeunes » prêts à prendre la relève. En termes de logiciels, il affirme que « des milliers de logiciels open source » répondront aux besoins de l’ensemble de la société à l’avenir.
Enfin, Ren Zhengfei rappelle l’anecdote du journaliste américain Thomas Friedman, qui, après avoir pris un TGV en Chine, écrivait : « Je viens de voir le futur. Il n’était pas en Amérique ». Pendant que Washington se focalise sur le blocage d’un composant, Huawei et la Chine semblent occupés à construire l’écosystème entier. Pour le secrétaire au Commerce des États-Unis, Howard Lutnick, la Chine ne représenterait pourtant pas une menace en raison de son incapacité à produire en masse des semi-conducteurs avances. Il assure que ce sont les restrictions aux exportations ralentissent les progrès technologiques de la Chine.
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