« On a tous réussi à s’en sortir dans la vie, on a un taf qui nous plaît. Il n’y a pas de fatalité à partir du moment où quelqu’un vous tend la main », assure Kader devant l’immeuble où il a grandi aux Bourrely, dans le 15e arrondissement. Tao qui y vit encore, complète : « On a eu la chance d’avoir des grands frères pour nous éviter les faux pas, pour nous remettre sur le bon chemin. » Conscients, qu’« ensemble on réfléchit mieux », précise Salim, les potes d’enfance ont fait bloc.

Il est 17h et le centre social de la cité commence à se vider pour fermer ses portes. En ce début des vacances de Pâques, les jours se rallongent et le soleil fait son retour. Sur le terrain de foot, des minots entament la seconde mi-temps d’un match au score serré, tandis que les mamans récupèrent les restes d’un barbecue improvisé pour « créer de l’animation, de l’activité, passer un moment ensemble. Parce que quand le centre ferme, y’a plus rien. Quand on était jeunes, c’était plus ouvert, on nous laissait même les clés pour l’utiliser quand il y avait un décès ou un mariage », regrette l’une d’elles.

La force du terrain

Le centre avait d’ailleurs tiré le rideau en 2019, suite à des dysfonctionnements et à la liquidation judiciaire de l’association. « On a dû batailler des mois pour obtenir une réouverture, se souvient Tao, suffisamment longtemps pour qu’on retrouve les ados qui y allaient, embarqués dans le deal ». La structure est à nouveau sur pied, reprise par la Ligue de l’enseignement. « C’est bien, mais ceux qui en auraient le plus besoin ne sont pas nécessairement ceux qui y vont. C’est comme les concertations organisées par les CIQ, la participation s’arrête souvent aux portes des cités », regrette Salim. Zaïr précise : « On ne se pose pas en concurrence mais en complémentarité de ces associations. à nous six, on est un interlocuteur privilégié parce qu’on se connaît bien, qu’on connaît bien les gens, qu’ils nous font confiance, là où ils ont perdu la foi dans l’institution. »

« Regarde comme j’y arrive bien ! ». Au bord du terrain de foot, une gamine hèle poliment Tao pour qu’il l’aide à se hisser sur un des agrès et confirme ses prouesses de gymnaste. « Kader ! Je voulais te demander… », interpelle une jeune maman en voyant le groupe des six copains discuter. Un dossier de demande de logement, un stage en entreprise pour la fille d’un voisin, une aide pour remplir un dossier numérique venant d’une mamie, un appel de détresse d’un parent pour son fils en décrochage scolaire… « on s’est rendu compte qu’on était devenu des référents pour beaucoup de personnes, naturellement », explique Hafid, enseignant comme ses collègues Zamir et Salim, en poste au lycée professionnel Jacques-Raynaud à Saint-Jérôme dans le 13e arrondissement.

Leur force, c’est indéniablement la proximité. Près de 11 000 habitants peuplent les grosses cités de Notre-Dame-Limite, l’un des quartiers les plus défavorisés de la ville. Avec le recul des politiques de solidarité, des moyens alloués aux petits centres sociaux, « forcément, pour répondre aux besoins des habitants, ça rame », souligne Kader, aide-soignant à l’hôpital psychiatrique Édouard-Toulouse et syndicaliste à Sud Santé sociaux. « Mais il y a aussi de la vie ici, de belles volontés, de belles initiatives qu’il faut encourager », envisage Tao, son collègue d’hôpital. Pour ce faire, les six anciens du quartier ont décidé de « se mobiliser ensemble, pour filer un coup de pouce à nos voisins sur des problèmes de la vie de tous les jours, toutes générations confondues, en utilisant nos compétences, nos expériences, nos réseaux de connaissances ».

À Notre-Dame-Limite, « sans se poser de limites », assure Zamir, « avec une vision politique qui vient du terrain et non pas un projet que le politique vient poser dessus », le KGBS promet de se faire le porte-voix de ceux qu’on n’entend pas pour améliorer leur cadre de vie et « interpeller les politiques publiques ».