Après des mois de bataille interne, la grande réconciliation ? A partir de ce vendredi 13 juin, le Parti socialiste se réunit tout le week-end à Nancy pour conclure son 81e congrès. Tout juste réélu face à Nicolas Mayer-Rossignol (50,9 % contre 49,1 % des voix), le premier secrétaire Olivier Faure déclare vouloir ouvrir la direction à toutes les tendances… mais derrière la même ligne. Prônant une large rénovation du parti, il souhaite notamment lui faire prendre un virage écolo plus prononcé, et explorer les voies d’un «apaisement» de la société.

Vous avez été réélu d’un cheveu à la tête d’un parti coupé en deux, réduit à 25 000 votants et dont rien n’indique qu’il jouera un rôle de premier plan dans les prochaines échéances nationales. Quel rôle le PS peut-il encore jouer ?

Le Parti socialiste doit accepter de faire sa propre révolution. Ne pas cultiver une nostalgie, celle d’une hégémonie, et se contenter de reprendre le fil de l’histoire là où les Français l’ont interrompue, en 2017. La social-démocratie, en France et en Europe, a coïncidé avec une période de prospérité inégalée, où la question de l’épuisement de la planète n’apparaissait pas. Cette période est terminée. C’est pourquoi je plaide pour un socialisme écologique, dans une société où la coopération se substitue à la compétition de tous contre tous.

Les autres partis de gauche ont des récits assez clairs : LFI, un parti antisystème défenseur des minorités ; les écolos, l’écologie ; le PCF, un parti anticapitaliste et patriote… C’est moins clair chez vous.

Cela a longtemps été la force du PS : une identité floue qui permettait de faire coexister des personnalités, de Gérard Filoche à Dominique Strauss-Kahn. Le PS était le parti du vote utile à gauche. Nous étions LE parti de gouvernement. Mais la gauche n’est de gouvernement que si elle est d’abord identifiée comme étant de gauche. Nous devons être le parti de la réhumanisation et de la réconciliation. Réhumaniser une société où le marché est le souverain et où les êtres humains ne sont plus que ses rouages, comme producteurs ou comme consommateurs. Réconcilier une société fracturée où les droites divisent le peuple, et jettent les uns contre les autres les origines, les cultures, les mémoires, les religions, les territoires…

Justement, le PS ne s’est-il pas trop éloigné des préoccupations concrètes des gens ?

Chaque semaine nous portons des contre-propositions à celles des libéraux. Si les débats stratégiques l’ont souvent emporté, c’est parce que nous étions dans une situation de fragilité, existentielle même. Pour ne pas devenir «le grand cadavre à la renverse» que tout le monde décrivait, ces enjeux stratégiques ont pris, c’est vrai, trop de place depuis 2018. Désormais, nous sommes sortis de l’époque où nous étions pestiférés : nous sommes depuis 2024 à nouveau un parti central à l’Assemblée. Mais soyons lucides, ce poids est décorrélé de notre poids électoral. Nous sommes redevenus aux européennes la première force à gauche mais pas une force suffisante pour atteindre seuls le second tour.

On vous a reproché de ne pas avoir mis d’idées neuves dans le débat. Si vous deviez n’en porter qu’une en vue de 2027, quelle serait-elle ?

Qu’ont donc apporté ceux qui m’en font le reproche ? Qui porte des idées neuves ? A droite, ils piochent dans le répertoire de l’extrême droite. A gauche, les solutions proposées sont très classiques et les insoumis ont fait de leur projet d’il y a quinze ans d’intangibles tables de la loi. En un an, j’ai écrit deux livres qui ouvrent des pistes. Pour ne prendre qu’un seul exemple concret, j’ai mis en débat cette proposition de «capital républicain» [une dotation universelle et dégressive pour tous les enfants, ndlr] pour sortir de l’héritocratie et de la reproduction sociale des inégalités.

Sécurité, immigration, déficit, réarmement… : les grands sujets de la présidentielle se posent petit à petit, et la gauche a du mal à ramener la discussion sur son terrain. Le peut-elle ?

La droite est sur ses sujets de prédilection mais elle est à court d’idées. Qu’inventeront Retailleau, Darmanin, Wauquiez, et les autres lorsqu’ils auront remis en place le bagne, coupé les allocations familiales, mis des portiques partout et que ça n’aura rien changé ? Le sujet de la violence est toujours traité sous l’angle de la «répression», de la «sécurité» – que je n’ignore pas, mais on ne peut pas se contenter de traiter les effets sans s’attaquer aux causes. Prenons le drame de Nogent avec cette surveillante assassinée. Le meurtre a eu lieu devant l’école, en présence de gendarmes. Un portique n’aurait servi à rien. Et l’immigration n’est pas en cause. La droite est donc impuissante pour répondre à la question «que faire ?». Nous devons plutôt nous demander : comment sort-on de cette culture de la violence ? Comment veille-t-on au repérage des enfants à la santé mentale déficiente ? Le plan Neuder est un plan sans moyen. Avec un médecin scolaire pour 16 000 élèves, un psychologue pour 1 800, ce sujet n’a pas été pris à sa juste dimension et n’est clairement pas une priorité gouvernementale.

Sur un autre plan, l’obsession de la droite pour l’islam est tout aussi consternante. Lorsqu’on bride les identités, lorsqu’on les blesse, on crée de la réaction, un cercle vicieux qui fait le jeu de la radicalisation. Il faut réconcilier les identités, en remettant au goût du jour les principes républicains.

La laïcité est vécue par une part de la population comme une agression, parce qu’ils la vivent comme exclusivement dirigée contre eux. Nous devons faire comprendre qu’en réalité, elle protège tout le monde. Combien de temps allons-nous débattre sur les mères accompagnatrices de sorties scolaires qui portent le foulard ? La loi les y autorise, stop, on ne va pas passer les prochaines décennies sur ce sujet électoraliste. Comment voulez-vous qu’un enfant musulman n’ait pas le sentiment d’être mis au ban lorsque sa mère ne peut pas lui tenir la main pour aller au musée ?

Comment expliquez-vous que la première réponse politique au drame de Nogent soit l’installation de portiques et non le sujet de la santé mentale ou de l’éducation des jeunes ?

La droite ne sait pas raisonner autrement que dans la surenchère avec l’extrême droite et dans une économie de moyens pour ne pas toucher à l’imposition des plus riches. Il faut réapprendre à vivre ensemble. La fraternité n’est pas un mot décoratif pour orner le fronton de nos mairies. Nous avons désappris à coopérer, nous survivons les uns contre les autres. Martine Aubry avait eu l’intuition du care, l’attention portée aux autres. A l’époque, beaucoup avaient trouvé ça fleur bleue, ça ne l’était pas. Cela exige beaucoup plus de courage que d’annoncer au 20 heures que l’on va interdire la vente de couteaux aux mineurs et c’est infiniment plus prescripteur de comportements.

Pour revenir au PS, quand présenterez-vous un projet complet aux Français ?

Fin 2025. Les auditions commencent la semaine prochaine.

Le conclave sur les retraites touche à sa fin. Pour l’instant, aucun accord ne se dessine entre le patronat et les syndicats. Pourriez-vous censurer le gouvernement sur le sujet ?

En fonction du résultat, oui bien sûr. Nous n’avons pas passé de pacte de non-censure avec le gouvernement. Nous avons eu la volonté d’arracher des concessions pour éviter le pire sur le budget 2025. Mais ce serait absurde de dire que nous ne censurerons plus. Nous sommes dans l’opposition, nous ne sommes pas l’assurance-vie de François Bayrou. Un pacte de non-censure n’aurait pu être conclu qu’à trois conditions : la fin du 49.3, l’obligation de changer de cap politique, et celle de ne jamais trahir le front républicain. Aucune condition n’est remplie.

Quelles seront vos lignes rouges pour le budget de 2026 ?

Ne pas détricoter le modèle social français qui assure la cohésion du pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Sur qui seront prélevées les 40 milliards d’économies annoncées ? Sur les malades, les chômeurs, les retraités, les services publics. Pendant ce temps, la pseudo-thèse du ruissellement court toujours, et on ne touche pas aux grandes fortunes, quand, dans le même temps, elles ont vu leur patrimoine passer de 600 milliards à 1 200 milliards ! On ne peut rien leur demander ? Il est scandaleux que le gouvernement s’oppose à la taxe Zucman qui vise à prélever 2 % sur des patrimoines de plus de 100 millions et dont le rendement annuel est autour de 7 % ! C’est dingue que, dans notre pays, on vive mieux de la rente que de son travail.

Allez-vous vous lancer dans de nouvelles négociations avec le gouvernement sur le budget ?

Si nous y sommes invités, nous discuterons, mais nous ne perdrons pas notre temps. Les économies, il faut en faire, mais pas sur l’efficacité des services publics et le réancrage territorial. On ne peut pas dire : «Oh là là, le monde rural a basculé à l’extrême droite», et en même temps : «On va supprimer les services publics dans le monde rural.» Ce qui coûte aujourd’hui, ce ne sont pas les étrangers mais l’optimisation et la fraude fiscale.

Vous avez dit vouloir «renverser la table» au PS. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Désormais, que ce soit sur le plan organisationnel ou politique, nous devons être capables de penser contre nous-mêmes, de nous ouvrir, et d’aller chercher la radicalité, là où elle est nécessaire, c’est-à-dire en traitant les maux à leur racine.

A Nancy, qu’allez-vous proposer à vos anciens concurrents, Boris Vallaud et Nicolas Mayer-Rossignol ?

La porte est ouverte à tout le monde. Tous ceux qui respectent la ligne stratégique fixée par le premier vote du congrès ont une place dans la direction. Et la définition du projet suppose de ne se priver d’aucun talent ou bonne volonté.

Sur les relations avec La France insoumise, peut-on résumer votre position ainsi : pas d’alliance de premier tour, mais des fusions possibles au second ?

LFI n’est pas le centre du monde, ni de la gauche. Cette question obsède un tas de gens, pas moi. Ils ne sont pas le diable et je ne leur serai jamais soumis. Je ne me lève pas chaque matin en me posant la question de LFI. Nous ne serons pas derrière Jean-Luc Mélenchon en 2027. Jean-Luc Mélenchon et les siens n’ont d’ailleurs aucune intention de participer à un processus collectif, ils refusent toute coalition au sens démocratique du terme. Il n’y aura pas davantage d’accord national aux municipales. Mais je ne confonds pas les échéances : à l’échelle d’une commune, un adjoint à l’urbanisme qui vient de LFI, où est le problème ? C’est déjà le cas.

Que pensez-vous de la primaire, qu’il souhaite très ouverte, proposée par François Ruffin dans Libération ?

La primaire est un des modes opératoires possibles. Il en faudra un. Je n’y suis pas hostile, je ne suis pas non plus un fanatique, parce que j’en connais aussi les vices. Cela supposera dans tous les cas que nous commencions par l’élaboration d’une plateforme commune. La question de l’incarnation ne doit pas brouiller le message collectif.

Est-ce que vous faites partie de ces potentiels candidats ?

Le moment venu, il faudra choisir le ou la meilleure d’entre nous, celui ou celle qui fédère cet espace de la gauche et des écologistes. Dans l’attente chacun devrait se mettre en situation de penser : «Si j’étais celui ou celle-là, serais-je prêt ou pas ? Suis-je en mesure de faire gagner la gauche ?» Et une fois que nous aurons bâti cette plateforme commune, nous pourrons nous dire : «Il y a des sensibilités, des caractères différents… Mais quel que soit le vainqueur, je suis prêt à faire campagne parce que ce qu’il ou elle porte, c’est notre dessein commun.»