Vous êtes référent pour les addictions comportementales au CHU de Strasbourg : comment évolue, parmi vos patients, la demande concernant les jeux de hasard et d’argent ?

« Nous avons environ une nouvelle demande de suivi chaque semaine, mes disponibilités font que l’attente est de trois à cinq mois. Nous avons par ailleurs deux à trois demandes lors des permanences d’accueil, qui se tiennent tous les quinze jours sans rendez-vous, c’est davantage qu’il y a trois-quatre ans. Mais c’est une goutte d’eau par rapport au nombre de joueurs considérés comme “à risques”, qui jouent régulièrement et mettent leurs finances en danger. »

À partir de quand passe-t-on d’une situation à risques à l’addiction ?

« À partir du moment où vous avez des répercussions dans votre vie – professionnelle, affective, sociale – et que vous ne modifiez pas votre comportement pour y remédier. La perte de contrôle est un autre aspect : je m’étais promis de ne pas jouer et j’ai joué quand même, je m’étais promis de ne jouer que 10 € et j’ai joué le double… Il y a aussi le “craving”, l’envie irrépressible de jouer. La cerise sur le gâteau, c’est quand vous jouez pour essayer de récupérer l’argent que vous avez perdu. »

Le hasard toujours plus fort que l’expertise

L’addiction au jeu varie-t-elle selon les classes sociales ?

« Pas tant que ça. Certaines personnes précaires peuvent avoir recours aux jeux d’argent dans l’espoir de gagner des petites sommes pour survivre. Mais les personnes que je vois en consultation ont généralement un travail, un salaire correct, voire élevé, mais sont dans des situations financières catastrophiques à cause du jeu. On constate en revanche que les populations défavorisées ont davantage recours aux jeux de grattage et de tirage, qui ne coûtent pas très cher, tandis que les populations plus aisées, mais aussi plus âgées, se tournent davantage vers les machines à sous. Avec une exception : les populations défavorisées de Strasbourg qui vont jouer aux machines à sous à Kehl, où les mises peuvent être de quelques centimes seulement – le jeu précédant souvent des courses et l’achat de cigarettes. Une autre population demandeuse de soins, qui explose depuis quelques années, ce sont les hommes âgés de 16 à 40 ans qui s’adonnent aux paris sportifs. Ceux-là sont plutôt issus des classes moyennes, voire moyennes supérieures. »

Les parieurs se voient souvent comme des “experts” : le pari sportif relève-t-il aussi des jeux de hasard ?

« On classe les jeux de hasard et d’argent en trois catégories : les jeux sans adresse (jeux de tirage, de grattage, machines à sous…) ; avec quasi-adresse (black-jack, paris sportifs), où on peut bénéficier d’une certaine expertise ; et avec adresse, comme le poker. Mais tous sont des jeux de hasard, ce que beaucoup oublient. »

Quand la publicité ranime les mauvaises habitudes

La superstition du vendredi 13 touche-t-elle davantage les jeux « sans adresse » ?

« Pas forcément. Croire au vendredi 13, c’est penser que ce jour-là, vous aurez plus de chance. C’est un biais cognitif très présent chez les joueurs, qui va davantage les inciter à jouer. Croire en cette chance vaut aussi pour les paris sportifs : on va préférer parier ce jour-là, ou bien augmenter la mise. »

La publicité autour des vendredis 13 est-elle un facteur aggravant pour les personnes à risques ?

« Je n’irai pas jusqu’à dire que ça peut être un élément déclencheur d’addiction, mais cela entretient la dynamique. Le “craving” est favorisé par l’oisiveté, les émotions particulièrement négatives (peur, tristesse, frustration…), mais aussi le conditionnement. Si vous avez l’habitude de jouer les vendredis 13, il est probable que vous aurez envie de jouer un vendredi 13, même si vous avez décidé d’arrêter. Vous êtes plus fragile ces jours-là. C’est comme les grandes compétitions sportives, accompagnées de campagnes de publicité très agressives pour les sites de paris : j’ai des patients qui n’avaient pas joué depuis longtemps et s’y sont remis pendant Roland Garros… »