Un dauphin plastique en guise de cadeau diplomatique a tout d’un gentil symbole. Pourtant, l’innocent cétacé recyclé provient d’Ukraine. Du pays en proie à la guerre depuis trois ans, il est l’émissaire de la biodiversité massacrée, polluée pour des siècles. « Un écocide qui ne doit pas rester impuni et méconnu », glisse Olha Kuryshko, venue à Nice pour le sommet sur l’océan. Représentante permanente du président ukrainien en Crimée, elle a répondu aux questions de Nice-Matin.
Qu’attendez-vous de la conférence des Nations-Unies sur l’Océan de Nice (Unoc)?
Ce sommet est un grand rassemblement international. L’occasion d’y porter la voix de l’Ukraine, la guerre se jouant aussi sur la scène diplomatique. Quand la Russie prétend que tout va bien en Crimée, qu’on peut aller y passer tranquillement ses vacances, je suis là pour démentir fermement. Leur invasion a détruit la région. Mais parce qu’un jour, une fois la guerre gagnée, il faudra la reconstruire, je suis mobilisée pour chercher des soutiens scientifiques et financiers. Et aussi rappeler que les conventions internationales sur la protection des espaces marins sont violées par la Russie.
Quelles sont les menaces qui pèsent sur la biodiversité en mer Noire?
Elles sont nombreuses. Tout d’abord, il y a eu l’invasion de février 2022. Leurs bombardements, leurs tanks, leurs troupes ont détruit des aires protégées. J’ai des souvenirs d’enfance dans ces parcs qui étaient magnifiques. Les animaux ont été massacrés, la flore contaminée. J’ai du mal à en parler, ça me touche beaucoup (long silence). Maintenant, il y a la menace des mines russes, à la dérive. La TNT qu’elles contiennent est insoluble et pollue durablement la mer. Même problème avec les épaves de navires et leur stock de munitions et d’hydrocarbure. Le 15 décembre 2024, deux pétroliers russes de la flotte fantôme, violant les restrictions internationales, ont fait naufrage, déversant près de 9.200 tonnes de mazout dans le détroit de Kerch, entre la mer d’Azov et la mer Noire.
Il y a aussi eu la destruction du barrage de Kakhovka dans le sud de l’Ukraine, en juin 2023. Pour quelles conséquences?
En plus de noyer des civils, cette destruction, causée par les Russes, est un écocide. Ils ont submergé et pollué des écosystèmes entiers. C’était le barrage de la réserve d’eau de la centrale nucléaire de Zaporijia. Des flots chargés en métaux lourds et en substances toxiques se sont déversés dans le fleuve Dniepr, puis la mer Noire. Depuis, la centrale nucléaire tourne au ralenti. À l’avenir, il n’est pas improbable qu’il y ait plusieurs types d’incidents. C’est une grave menace de contamination.
Quel impact sur les espèces marines?
Des taux très inquiétants de substances toxiques ont été prélevés sur des poissons et des mollusques. Tous les spécimens sont impactés. Parmi les plus emblématiques, je pense aux dauphins (toutes espèces confondues, ils étaient près de 250.000 avant la guerre). Ils sont tués par milliers à cause de la pollution mais aussi des sonars des sous-marins qui détruisent leur oreille interne.
Avant la guerre, la mer Noire était pillée par la pêche industrielle (1). Qu’en est-il aujourd’hui et qu’en sera-t-il demain, après le conflit?
En Crimée, il n’y a plus aucun pêcheur, à ma connaissance. Ailleurs, l’activité perdure difficilement. La Roumanie, la Bulgarie et la Turquie ont signé un protocole (en janvier 2024) pour lutter contre les mines à la dérive. Mais aucun texte ne régule la pêche industrielle. Pour « l’après-conflit », c’est impossible de se projeter. On ne sait d’ailleurs pas précisément comment se porte le stock de poissons.
Vous avez des outils pour mesurer ces dégâts?
Les scientifiques travaillent essentiellement sur des images satellitaires. Les relevés de terrains seraient trop dangereux. Ils ne peuvent analyser que ce qui arrive sur les côtes libres et éloignées des combats. L’étude de ces données a permis la publication d’un livret sur l’état de la mer Noire. Je présente ce document à l’Unoc.
Le budget du pays est focalisé sur la guerre. La science est-elle laissée exsangue?
Les aides sont réduites. Mais un laboratoire reste très actif à Odessa, bien que la plupart des scientifiques, comme le reste de la société civile, se retrouvent au front. Certains n’y reviennent jamais.
Votre peuple se bat pour sa terre. Mais sera-t-elle encore habitable après le conflit?
J’espère que oui. Même si certains dégâts mettent des siècles à se résorber. C’est une question difficile. Comment remplir des objectifs militaires et respecter l’environnement? L’équation semble impossible. La priorité, c’est de remporter cette guerre. Tant qu’il y aura la Russie de Poutine, tant que tout le pays ne sera pas libre, la paix ne sera pas acquise. Et sans paix en Ukraine, la nature est condamnée. Nous ferons tout pour la sauver.
1. Un rapport de la Commission européenne publié en 2015 alertait que 74% des stocks halieutiques de la mer Noire étaient surexploités en raison de la pêche illégale et industrielle.