Dix ans que l’intercommunalité était dépourvue d’un document équivalent… Sur la table de la dernière assemblée de Saint-Etienne Métropole, le Plan de Mobilité (PDM) n’acte pas ce qui se concrétisera en matière de transports mais ce qui peut / doit potentiellement se faire dans la décennie à venir à ce sujet sur le territoire. Aux équipes municipales et métropolitaines issues des urnes en 2026, précise le vice-président aux transports Luc François, d’actionner chaque élément de cette boite à outils qui détermine et détaille enjeux, objectifs et solutions proposées en termes de mobilités dans le périmètre de l’agglomération. Louable mais insuffisant aux yeux des élus d’opposition stéphanois.
Le PDM intègre les ambitions du Serm. ©If Saint-Etienne / XA
Le « précédent » date d’il y a 20 ans. Mais pas sous le même nom. Quand il est adopté en 2004, lors du second mandat de Michel Thiollière, l’administration parlait alors d’un « Plan de Déplacement Urbain » (PDU). Document réclamé par la loi aux intercommunalités de taille suffisante. La société, comme en témoigne la sémantique, et la législation (cf la loi d’orientation et mobilités 2021 dite LOM) ont depuis évolué et ce sont des « Plans de Mobilité » (PDM) qui sont aujourd’hui réclamés. Avec l’ambition, au moins affichée, de placer au centre de la logique l’intermodalité des différents modes de transports, pédestre compris. Entre temps, Saint-Etienne Métropole aurait dû se doter d’un nouveau PDU en 2014, puisque valable 10 ans. Ce ne fut pas le cas. L’A45 encore elle, est la cause, selon le vice-président aux transports Luc François :
« L’adoption du nouveau PDU était fonction du lancement de l’autoroute (alors très nettement confirmé des bouches mêmes et successives des présidents Sarkozy, Hollande puis Emmanuel Macron). 80 % du contenu en dépendaient. » Le revirement brusque de l’Etat sur le projet autoroutier en 2018 et, paradoxalement le fait qu’il ne soit toujours pas officiellement assumé dans les documents d’urbanisme nationaux qui attendent cette mise à jour des années après selon les élus métropolitains, auraient ainsi laissé l’intercommunalité dans le flou à la veille d’un Covid qui n’a sans doute pas accentué l’empressement à remédier à ce « manquement » réglementaire. SEM est désormais dans les clous vis-à-vis de la séquence suivante en ayant voté en assemblée le 22 mai « l’arrêt » de son PDM 2025/35 dont l’élaboration avait été lancée fin 2022. « Nous sommes cette fois largement dans les temps vis-à-vis de la moyenne nationale, assure Luc François. Nous devons avoir deux mois de retard par rapport à Lyon. La suite, c’est une enquête publique et la consultation des 53 communes. L’adoption définitive à leur issue est espérée pour fin 2025 / début 2026, avant les élections en tout cas.»
Un PDM croisé avec le SERM
Le PDM ne concerne que le périmètre territorial de Saint-Etienne Métropole mais intègre évidemment tous les éléments croisés qui la concernent du fameux projet de Service express régional (Serm, autrefois improprement appelé RER métropolitains) autour de l’étoile ferroviaire stéphanoise dont le rayonnement et les aménagements envisagés s’entendent à l’échelle des deux tiers sud de la Loire et la partie la plus à l’Est de la Haute-Loire à son contact. Luc François estime l’élaboration du PDM parfaitement en phase et insiste « sur le travail monstrueux et constructif de consultation – 150 réunions – réalisé avec les associations d’usagers, y compris militantes, mené depuis 2023 », assurant que ces échanges ont été menés « sans pression politique », pas plus qu’ils n’ont été l’instrument d’ambitions personnelles, d’un collectif ou d’un parti. Ce que les associations en question semblent confirmer – et confirme même clairement pour ce qui est de Place aux Piétons interrogée à ce sujet (lire encadré). Elles continueront à être consultées deux fois par an via une instance commune permanente.
« C’est aussi la première fois que le projet a pu être pensé par un outil informatique ayant pour fil rouge la multimodalité, ajoute Luc François. Le plan intègre bien évidemment les données récentes issues d’EMC2 l’enquête déplacement mobilités décennale, les impacts sur la pollution atmosphérique, la problématique de l’autosolisme. Il prépare solidement 10 à 15 ans de programmation mais il n’est pas programmatique en soi. C’est à interpréter comme une boite à outils, toute prête pour des concrétisations à l’échelle intercommunale et / ou communale qui dépendront des élus sortants des urnes en 2026. » L’ensemble du « catalogue » qui revendique donc d’aller infiniment plus loin techniquement et stratégiquement qu’une énumération d’intentions pèse financièrement 330 M€ d’investissements dont un tiers évalué à la charge directe de la Métropole, le reste étant issu des financements extérieurs principalement d’Etat et de la Région via les contrats plan Etat Région (CPER), Mobi’LYSE et donc, aussi, le Serm. Il est consultable sur le site web de la Métropole.
Une nouvelle ligne de tram sans effet de Steel ?
« Il s’agit d’ailleurs avec un PDU de prouver à l’Etat et d’autres partenaires, l’efficacité des investissements escomptés, notre crédibilité à obtenir leurs aides », note L. François. Aides indispensables par ailleurs… Quelles sont les grandes lignes, du coup de ces investissements escomptés qui restent à concrétiser, objet d’une clause de revoyure en 2030 pour adapter les évolutions probables du contexte ? Nous en donnons ici quelques-unes qui nous emblent symptomatiques sans pouvoir se montrer exhaustif au regard de l’épaisseur du dossier.
Il y a, déjà, l’idée d’une nouvelle ligne de tramway à Saint-Etienne, en direction de l’entrée est de la ville depuis le centre, aboutissant aux abords de… Steel. De quoi immédiatement soulever les critiques, certains considérant qu’il s’agirait carrément d’un cadeau fait au centre commercial accentuant fatalement le dépeuplement commercial du centre-ville. Si c’est l’effet de Steel, « alors il n’a pas eu besoin du tramway, 70 % de la clientèle n’étant d’ailleurs pas de Saint-Etienne, répond Luc François. Non, ce n’est absolument pas une ligne pour Steel, si c’était le but visé, de l’alimenter, alors, je suis bien d’accord : pas besoin de tramway et il ne faudrait pas le faire car ce serait de l’argent public gaspillé. L’objectif, c’est de capter une grande partie des 50 000 voitures qui rentrent justement dans Saint-Etienne par l’est pour les faire garer dans cette zone, avant de prendre le tram les emmenant dans le centre. C’est donner une solution pour stopper la voiture là, quand on vient par ce mode de transports du Gier, de Lyon. »
Non, ce n’est absolument pas une ligne pour Steel, si c’était le but visé de l’alimenter, alors, je suis bien d’accord : pas besoin de tramway et il ne faudrait pas le faire car ce serait de l’argent public gaspillé.
Luc François
Cela implique la création d’un vaste parking d’entrée de ville dans ce secteur. Une logique portée par le PDU, en lien avec le PLUI, à plusieurs lieux stratégiques, au moins cinq, répartis géographiquement sur la ville centre pour totaliser, ne serait-ce que pour commencer, 1 500 places. Autres élément majeurs du PDU : la création d’une ligne de bus à haute capacité et cadencement (toutes les 10 min) pour alimenter des allers-retours entre La Talaudière / Sorbiers et le centre stéphanois, l’ajout à la flotte des VéliVerts de 500 vélos supplémentaires et de 20 stations allant avec, la réalisation de 200 km de pistes cyclables dont 50 en réalité ajoutés par le biais de PDU, le plan Vélo visant déjà la réalisation de 150 km d’ici 2029, « objectif qui sera atteint si 10 M€ seront bien mis sur la table par an à partir de 2026 (le rythme, certes grandissant par rapport à 2021 et 2022 a été de 6 M€ en 2023 et 2024). »
Pas assez ambitieux pour l’opposition stéphanoise
Des avancées croisées avec Serm ont donc été intégrées, comme la fameuse halte ferroviaire qui devrait être créée à Grand-Croix (et idem à Andrézieux-Bouthéon pour le sud Forez) pour augmenter la capacité à recourir aux trains dans le Gier avec une répartition des charges entre SNCF, Région et Saint-Etienne Métropole qui financera l’indispensable parking relais attenant de plusieurs centaines de place, intermodalité oblige. Côté routier, un « anneau de rocade plus performant, plus homogène et plus respectueux des riverains autour de Saint-Étienne » est envisagé : il s’agit de passer à 2 x 2 voies le contournement ouest de la ville centre, la route métropolitaine RM 2021 qui fait le lien entre RN88 et A72. De quoi mobiliser à elle seule des dizaines de millions ainsi que de probables oppositions ardentes à d’ardentes approbations…
La question est : est-ce que cela sera suffisant pour répondre aux enjeux actuels et à venir ?
Julie Tokhi, élue stéphanoise EELV d’opposition
Lors d’une assemblée métropolitaine qui a aussi vu en entrée des échanges l’exposition du rapport Pour une stratégie des mobilités responsables de la part du conseil de développement de SEM (avec entre autres, cette incitation exprimée pour la création d’une gouvernance commune au Sud Loire dans le cadre du Serm, dépassant le périmètre métropolitain à la manière du Sytral dans le Rhône), le PDU n’a pas manqué de susciter quelques débats. « Louable mais pas assez ambitieux au regard des enjeux », pour résumer la position des écologistes stéphanois, exprimée en séance publique par la voix de Julie Tokhi :
« Bien sûr, ce Plan de Mobilité va permettre d’améliorer considérablement la qualité des mobilités sur le territoire de Saint-Étienne Métropole. La question est : est-ce que cela sera suffisant pour répondre aux enjeux actuels et à venir ? Par exemple, sur le plan des mobilité dites douces, ou actives selon le point de vue, l’objectif de 200 km de pistes cyclables d’ici 2035 pourrait paraître tout à fait louable, en particulier vu l‘état actuel du réseau cyclable. Mais si on compare aux données d’une Métropole de taille similaire à la nôtre, on voit que la Métropole de Grenoble, elle, jouit déjà de 450 km de pistes cyclables. Donc autant dire que d’ici 2035, nous serons toujours très en retard. Pour ce qui est des VéliVerts, leur déploiement reste insuffisant face à la demande. Non seulement Saint-Étienne Métropole devrait se doter de plus de vélos électriques, mais elle devrait aussi se doter en complément de vélos classiques, de plus de vélos disponibles en location longue durée. »
Encore trop de parts pour la voiture ?
En outre, « à la lecture de ce Plan de Mobilité, on se rend vite compte que malgré les engagements et la volonté affichée, la part belle reste encore trop souvent à la voiture. Dommage qu’il n’y ait pas plus de propositions concrètes pour le covoiturage, qui a fait ses preuves dans d’autres métropoles comme Grenoble ou Lyon. La création de voies réservées au covoiturage pourrait considérablement limiter l’autosolisme, surtout en période de crise énergétique », ajoute l’élue écologiste. « Homogénéiser les vitesses limites, développer les vitesses régulées auraient dû être intégrés », estime-t-elle tout en appelant, évidemment à la « plus grande prudence sur le passage à 2 x 2 voies à l’ouest. Il ne s’agit pas seulement d’améliorer la fluidité pour les automobilistes, mais aussi de respecter la qualité de vie des habitants. On ne peut pas se satisfaire d’une baisse de 3 pauvres dB, et pour seulement 30 000 habitants. 3 dB, ce n’est pas une baisse significative (remarque contredite par David Fara, v.-p. métropolitain mais intervenant là en qualité de « scientifique » enseignant aux Mines, Ndlr). »
Sur la place faite à la voiture, Luc François rétorque que l’objectif du PDU passer à moins de 50 % de recours à l’automobile au quotidien à l’échelle de la Métropole est déjà ambitieux, distinguant à travers lui, la ville centre des vallées et du sud Forez en périphérie où elle est reste fatalement plus prégnante à ce stade. Il faut d’ailleurs souligner que l’enjeu ne se limite pas à Saint-Etienne qui centralise les débats, ni même à ses voisines les plus peuplées mais à toutes les communes de la Métropole : « Il convient de ne pas oublier les plus petites, insistait ainsi le maire de La Gimond qui bien qu’un peu sceptique sur cet aspect estime qu’il y a des bonnes choses dans ce plan et l’a donc voté. Comme toute l’assemblée présente à l’exception de deux abstentions.
« Des Mobilités pour une ville apaisée » : naissance officielle du collectif inter associatif
Place aux piétons, Ocivélo, ADTLS, Fnaut, O2 : de l’oxygène : « Voilà déjà 2 ans, que nos diverses associations ont travaillé ensemble pour sortir des silos cloisonnés et rédiger une contribution collective, multi modale pour le nouveau Plan de Mobilité Métropolitain (PDM) », contextualise un communiqué commun envoyé en début de semaine à la presse locale. Le mercredi 4 juin en effet, « les associations signataires ont décidé d’organiser leur structuration plus pérenne en formant une équipe régulière pour animer ce collectif inter-associatif ». Son nom : « Des mobilités pour une ville apaisée … » En transports, quand il s’agit de modes doux, le cumul n’est naturellement pas interdit. Aussi, le collectif coordonnera ainsi points de vue, propositions et actions des usagers des transports communs, des cyclistes et piétons en poursuivant sur ce mode transversal de manière permanente sa collaboration désormais étroite avec Saint-Etienne Métropole autour du PDM.
Son vice-président aux transports Luc François a en effet largement salué le niveau d’implication, d’ouverture et la qualité d’expertise des associations (d’autres ont d’ailleurs participé : FNE, Pilat Environnement, Rue de l’avenir…), apports décisifs au PDM. Il a ajouté que l’ampleur de cette collaboration était inédite. Ce que nous confirme, une de ces associations en question, Place aux Piétons par la voix de sa présidente Anne de Beaumont : « C’est vrai ! Même si au début, il y a 2 ans et demi, c’était mal parti pour avoir voix au chapitre… Puis les échanges ont été constructifs, fructueux, bons sur la forme comme le fond. Notre sérieux et ce que nous pouvions apporter ont été compris et nous les associations avons rapidement su travailler ensemble. Ce qui a donné un document de travail transversal de 35 pages – Osons des mobilités durables pour des mobilités désirables – et non des listes de revendications, par silo. Il pèse beaucoup dans le PDM : Luc François a dit qu’il en avait été « scotché » »