Par

Augustin Delaporte

Publié le

13 juin 2025 à 20h16

« Dans cette piscine, un homme m’a sorti son sexe en érection de son maillot de bain et fait mine de se masturber devant moi. » Depuis le témoignage de la journaliste Laurène Daycard, filmée à son insu par un inconnu de 38 ans alors qu’elle se rhabillait dans une cabine de la piscine Georges Hermant à Paris (19e) le 1er avril dernier, les récits de violences sexistes et sexuelles dans les piscines et douches publiques de la capitale pleuvent sur les réseaux sociaux et dans ses messages privés.
Des histoires qui, trop souvent, ne sont pas allées au bout et n’ont pas entraîné de changements durables. « C’est le problème du traitement des faits divers, on isole, on morcelle, alors qu’en réalité c’est un sujet de société », plantait d’ailleurs la victime et lanceuse d’alerte, vendredi 13 juin 2025, avant l’audience au tribunal de Paris. « Ça n’est pas que mon affaire… J’ai voulu en faire quelque chose de constructif », a-t-elle ajouté durant le procès.
Au cœur du problème, une protection des usagères aujourd’hui défaillante. Le 12 avril, la Ville de Paris réagissait d’ailleurs en annonçant dans un communiqué « renforcer ses moyens de lutte contre les actes de voyeurisme », en lançant une série de mesures, dont un audit complet de ses 40 piscines. Laurène Daycard espère désormais que ces « solutions concrètes » inspireront d’autres communes. « C’est un problème national », insiste-t-elle.

« Un boulevard pour les agresseurs » 

« C’est une grosse bêtise ». À la barre, Emmanuel L. minimise. S’il a reconnu les faits dès sa deuxième audition, après avoir gardé le silence à la première, le prévenu ne mesure, visiblement, pas vraiment la portée de ses actes. « Elle n’a pas souffert, elles n’ont pas souffert, puisqu’elles n’ont pas vu les vidéos », disait-il au psychiatre lors de son expertise, à l’occasion de laquelle il a notamment avoué avoir filmé une centaine d’autres femmes.

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En se remémorant la lecture de cette phrase dans la retranscription, Laurène Daycard se fige : « Ça m’a heurté. De quel droit peut-il décider de mes émotions ? » Un élément qui tend à souligner le décalage entre la gravité des faits et leur perception par l’auteur de ceux-ci. Ce qui aurait participé à rendre son comportement progressivement compulsif. « Je ne me faisais pas prendre, c’était facile. Je pouvais le faire, alors je le faisais », justifiera-t-il au cours du procès. 

Puis de préciser : « C’était d’abord une fois par mois, puis toutes les deux semaines et finalement deux fois par semaine ». Une montée en régime motivée par une impunité totale, comme il le répétera à plusieurs reprises. Un dossier loin d’être un cas isolé.

« Depuis mon message sur Instagram, je reçois plein de messages de femmes qui relatent des agressions comme la mienne (…) La Ville a rebouché plus de 200 trous, dont certains creusés à la perceuse dans les cabines. Il y a aussi un groupe de travail qui a été monté pour que ça ne soit plus un boulevard pour les agresseurs », a contextualisé la victime à la barre.     

« Regarder toujours la même chose, ça lasse »

Emmanuel L. n’a, lui, jamais « vraiment » eu de relation sentimentale, il a peu d’amis et a des liens fragiles avec sa famille. À presque quarante ans, il habite un petit appartement qui appartient à sa mère, vit du revenu de solidarité active (RSA) et n’a jamais réellement travaillé. Sa délinquance sexuelle aurait, elle, démarré en septembre 2024, dit-il. 

« Un ami m’a parlé de piscine. Au début j’y allais juste pour nager, puis je me suis dis : tiens… », relate-t-il. Avant de détailler son mode opératoire : « J’avais un sac, où je mettais le téléphone pour filmer des femmes nues. Soit je regardais sous la cabine pour voir si c’était des pieds de femmes, soit par l’extérieur en rentrant. Je cherchais des femmes assez belles, à mon goût. » 

Puis il glissait discrètement sous leur cabine son sac, dans lequel il avait creusé un petit trou pour y positionner l’objectif de son téléphone. Que fait-il ensuite des vidéos ? « Je les mettais sur mon ordinateur, pour les voir, me masturber. Un peu comme un film porno. » En illégal. Peu à peu, il se rend à différentes piscines, uniquement pour mettre son plan à exécution. « Regarder toujours la même chose, ça lasse. L’idée c’était d’avoir le choix, comme le porno », arguera-t-il. 

C’est peu dire. Au cours de la perquisition de son domicile du 4e arrondissement, les forces de l’ordre ont mis la main sur près de 1500 éléments, retrouvés grâce à l’exploitation d’un ordinateur et d’un disque dur. Des vidéos prises dans des piscines, mais aussi des « photos de très jeunes filles trouvées sur le darknet », principalement. Une enquête incidente a, par ailleurs, été ouverte pour détention d’images pédopornographiques a appris actu Paris auprès du parquet.

« Nager, c’était mon plaisir et il me l’a gâché »

En attendant, Emmanuel L a été condamné, vendredi 13 juin 2025, au tribunal de Paris, à dix mois d’emprisonnement assortis d’un sursis probatoire de deux ans, à 140 heures de travail d’intérêt général (TIG), à une interdiction de contact avec la victime, à une interdiction de paraître dans les piscines et salles de sport à Paris, à une obligation de travail et de soin et à indemniser la victime. 

Une peine qui ne dit pas grand chose des dégâts qu’il a causés. « C’est une effraction de mon intimité, mais aussi du temps. Aujourd’hui, pour le procès. Hier soir, au commissariat. Tout ça sur mon temps de travail », a témoigné à l’audience Laurène Daycard. Évoquant, après un moment d’hésitation, des séquelles bien plus profondes, plus insidieuses : « J’ai peur que ça recommence… Nager, c’était mon plaisir et il me l’a gâché. »

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