Par
Thomas Martin
Publié le
14 juin 2025 à 6h54
Brillant étudiant en médecine tunisien à Paris, Rayen Fakhfakh ne s’attendait pas à se voir notifier une obligation de quitter le territoire. « J’étais effondré, après des années en France, des gardes à l’hôpital à soigner les gens, j’étais traité comme un délinquant », raconte, sonné, cet homme de 21 ans, étudiant en 5e année.
« On est face à une décision stéréotypée »
Arrivé à 12 ans en France pour rejoindre son frère, celui qui a décroché son bac à 16 ans avec mention, ne pensait pas que sa demande de titre de séjour lui serait refusée au motif qu’il « pas d’attache familiale suffisante » et qu’il ne « justifie d’aucune insertion professionnelle ni de perspective d’emploi », comme l’écrit la préfecture dans sa lettre.
« On est face à une décision stéréotypée. On peut se demander s’il y a un examen précis des justificatifs apportés à son dossier. Cela pose question », observe son avocate Caroline Andrivet, jointe par l’AFP.
L’étudiant, largement soutenu sur les réseaux par la communauté médicale, a depuis obtenu une autorisation provisoire au séjour lui permettant d’effectuer ses stages obligatoires et a déposé un recours auprès du tribunal administratif pour avoir ses papiers.
Comme plusieurs de ses consœurs interrogées par l’AFP, Me Andrivet, qui a prêté serment en 2012, affirme avoir « clairement » vu, « ces dernières années, une augmentation des dossiers refusés et des OQTF« .
Serrage de vis avec Bruno Retailleau
L’envoi aux préfets d’une circulaire par Bruno Retailleau, allongeant notamment à sept ans la durée de présence en France préconisée pour délivrer une admission exceptionnelle au séjour (AES), a accentué la pression. « Cette circulaire volontairement floue renforce le pouvoir discrétionnaire du préfet », critique Jean-Albert Guidou, en charge des travailleurs sans-papiers au sein de la CGT. Avec aux yeux de certains des décisions de plus en plus aléatoires
Vidéos : en ce moment sur Actu
L’ancienne circulaire, dite Valls, permettait de régulariser plus de 30 000 sans-papiers par an, mais Bruno Retailleau a appelé les représentants de l’État à un tour de vis et promis la fin « des régularisations à tour de bras ».
Entre novembre 2024 et avril 2025, les admissions exceptionnelles ont baissé de 24% comparé à la même période un an auparavant de même que les visas long séjour de 7%, indique Beauvau. Quant aux OQTF, de 79 950 prononcées en 2015, leur nombre a grimpé à 128 250 en 2024, selon les données Eurostat.
En comparant la période octobre 2024 – avril 2025 à la même période l’année précédente, les dernières données de l’Intérieur suggèrent un plateau, avec une légère baisse de 4%.
Un connaisseur du dossier confie pourtant à l’AFP qu’aujourd’hui « les refus de visas sont systématiquement assortis d’OQTF », ce qui n’était pas toujours le cas auparavant. Une consigne qui fait peser un risque supplémentaire pour les personnes qui se déclarent auprès des autorités pour demander leur régularisation.
« Aujourd’hui on dit clairement aux sans-papiers ‘ne vous jetez pas dans la gueule du loup’ tant que vous ne remplissez pas tous les critères », rapporte M. Guidou de la CGT.
OQTF valable 3 ans
Maria (prénom d’emprunt) en a fait l’amère expérience. La quadragénaire, qui avait rejoint légalement ses parents en 2018 avant que son titre n’expire, avait bien fourni ses douze derniers bulletins de salaires justifiant un emploi dans une société de nettoyage. Cela n’a pas suffi.
Cette mère de famille, qui se lève six jours sur sept à 4h pour faire le ménage sur Paris jusqu’à 22h pour quelque 1 300 euros mensuels, estime pourtant avoir fait « beaucoup d’efforts ».
Mais la préfecture a jugé que cela ne « saurait suffire à justifier une insertion professionnelle d’une intensité et d’une qualité telle qu’elle puisse prétendre à une admission exceptionnelle ».
Autre effet dissuasif, selon les avocats : l’allongement à trois ans de la validité des OQTF – contre un an avant la loi Darmanin de janvier 2024 -, de plus en plus assorties d’interdiction de retour sur le territoire.
Avec AFP
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.