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Anne-Sophie Blot

Publié le

14 juin 2025 à 8h46

« Un McDonald’s à 20 minutes » de chaque Français. En mars 2025, l’enseigne américaine annonçait mettre un coup d’accélérateur dans son expansion hexagonale, avec l’ouverture de 50 nouveaux restaurants cette année, en particulier dans les petites villes françaises. « Nous étions à 30 ouvertures par an jusqu’ici, 300 McDo ont ouvert en France ces 10 dernières années », rembobinait le groupe de fast-foods auprès d’actu.fr.

Pourtant, le déploiement massif du champion de la restauration rapide ainsi que ses principaux concurrents, dans les périphéries comme les centres-villes, ne fait pas que des heureux. Habitants, élus, commerçants, ils se mobilisent contre les fast-foods à coups de pétitions, recours administratifs ou judiciaires, voire d’actions plus musclées. Tour d’horizon avec nos rédactions locales.

Un McDonald’s incendié

C’est sans doute la protestation la plus extrême, et la plus remarquée. Dans la nuit du 7 au 8 avril dernier, près de Toulouse, le McDonald’s en construction à Montrabé a été incendié. Le sinistre, d’origine criminelle, a été revendiqué par un mystérieux groupe dénommé « Les Frites insoumises », « en soutien au peuple palestinien, et contre la nouvelle stratégie d’expansion de la firme ». 

L'incendie du futur restaurant McDonald's de Montrabé, au nord-est de Toulouse, était bien criminel, confirme le parquet de la Ville rose
L’incendie du futur restaurant McDonald’s de Montrabé, au nord-est de Toulouse, était bien criminel, confirme le parquet. (©G.L. / Actu Toulouse)

Deux mois plus tard, les travaux ont repris et l’enquête se poursuit. Si le flou demeure sur l’identité des incendiaires, il n’en reste pas moins que le projet de McDo dans cette commune de 4 300 habitants faisait débat de longue date.

Une association de parents d’élèves, inquiets de voir le « symbole de la malbouffe » débouler à quelques centaines de mètres du collège, avait déposé une pétition ainsi que des recours gracieux en mairie. 

« Ce n’est pas cohérent d’installer un fast-food face à une école »

Une pétition, et même plusieurs, c’est aussi ce que viennent de lancer les habitants de Colombes (Hauts-de-Seine), après avoir appris l’arrivée prochaine d’un Burger King dans la principale artère commerçante de la ville. Une annonce qui suscite des craintes en matière de santé publique mais également de sécurité, alors que là aussi le restaurant devrait s’implanter à proximité d’une école. 

Ce n’est pas cohérent d’installer un fast-food face à une école, alors qu’on promeut le bio et l’équilibre alimentaire dans les cantines. C’est même contradictoire.

Amélie Delattre
Conseillère municipale d’opposition à la mairie de Colombes

Jugeant l’offre suffisante en la matière, un McDonald’s étant déjà implanté à 300 mètres, l’élue d’opposition espérait plutôt la création d’un nouveau commerce local. « Ce genre d’implantation donne une mauvaise image du centre-ville. On veut un cœur de ville vivant, diversifié, pas une enfilade de fast-foods et de bazars. »

À quelques kilomètres de là, dans le quartier de Pigalle à Paris, le mal est déjà fait. C’est en tout cas le constat amer dressé par certains riverains qu’actu Paris est allé rencontrer en décembre. L’implantation d’un KFC en avril 2024, s’ajoutant à tous les autres établissements du même genre déjà présents, a été la goutte de trop.

Sur le boulevard de Clichy, les fast-foods sont légions.
Sur le boulevard de Clichy, les fast-foods sont légion. (©TN / actu Paris)« On ne peut plus ouvrir les fenêtres »

Pour investir le rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation, les travaux du KFC auraient même engendré des dégâts dans ce dernier. Les résidents ont assigné l’enseigne pour abus de pouvoir. À ces dégradations s’ajoutent aujourd’hui les nuisances en tous genres : bruits, odeurs, défilés de livreurs chaque soir, sentiment d’insécurité… 

Jusqu’au 4e étage, on ne peut plus dormir. Le magasin est ouvert jusqu’à 2 heures. Ensuite, ils font le ménage en tirant les chaises, puis c’est au tour des camions de livraison d’arriver. En fait, c’est du 24h/24. […]  Et en été, on ne peut plus ouvrir les fenêtres. L’odeur du poulet, ce n’est pas terrible quand même.

Yvette (*)
une résidente du 16, boulevard de Clichy, à Paris

Sara, une autre riveraine, ne reconnaît plus son quartier. « Quand on s’installe à Pigalle, on choisit de vivre dans un quartier animé. » Mais, aujourd’hui, ce bruit est devenu « un brouhaha permanent ». « Avant, c’était animé, maintenant, c’est dégradé», tranche-t-elle.

« C’est une incitation permanente à la malbouffe »

Ce sont justement les nuisances en cascade qui ont poussé à bout les riverains du McDonald’s de Ronchin, dans la métropole de Lille. De 2019 à mars 2022, le fast-food pouvait servir jusqu’à 4h30 du matin. « À partir d’1h du matin, ça devenait n’importe quoi. Des klaxons, des gens qui hurlent, des jets de glace sur les voitures, de la musique à fond, des pétards… », listait alors Jérôme (*), un voisin, à Lille actu. Après des signalements, la mairie a fini par prendre un arrêté pour imposer la fermeture à minuit.

Les Déambulateurs56 ont organisé un pique-nique devant l'ancienne Caf de Ploërmel (Morbihan) pour manifester leur opposition au futur projet.
À Ploërmel (Morbihan), un collectif d’habitants a organisé un pique-nique géant en avril 2024 pour manifester leur opposition au futur projet de Burger King. (©Déambulateurs56)

La multiplication de ces points de vente faisant la part belle aux hamburgers, frites et sodas pose aussi des questions en termes de santé publique. D’autant qu’il est bien difficile d’échapper à l’intense publicité que font ces enseignes. « C’est une incitation permanente à la malbouffe et à la consommation d’aliments transformés », dénonce auprès de La République-de-Seine-et-Marne le Dr Pierre Vladimir Ennezat, cardiologue au CHU Mondor et à l’hôpital de Fontainebleau. 

Au-delà de la présence des fast-foods dans la ville francilienne, le médecin s’inquiète du pullulement de panneaux publicitaires qui en font la promotion.

Je parcours chaque semaine à pied les 2,7 km qui séparent la gare de Fontainebleau-Avon à l’hôpital de Fontainebleau. Il m’est arrivé alors de compter ces publicités et d’en dénombrer pas moins de 16 sur ce court trajet !

Dr Pierre Vladimir Ennezat
cardiologue

Le Dr Pierre Vladimir Ennezat, cardiologue au CHU de Mondor, mais qui consulte aussi à l'hôpital de Fontainebleau, s'indigne de la multiplication des campagnes publicitaires pour des produits alimentaires de chaînes de fastfood, directement liés à l'épidémie de maladies chroniques
Le Dr Pierre Vladimir Ennezat, cardiologue au CHU de Mondor, appelle les pouvoirs publics à réguler les campagnes publicitaires pour des produits de chaînes de fast-food, directement liés à l’épidémie de maladies chroniques. (©JVC/RSM7)Quand les élus engagent un bras de fer

Mais alors, face à la contestation de leurs concitoyens, que peuvent faire les élus ? Il n’est pas rare que des municipalités s’opposent elles aussi à certains projets de fast-foods. Et parfois, leur détermination à repousser les multinationales l’emporte. Comme à Toulouges, commune de 7 300 habitants située à côté de Perpignan, où le conseil municipal a voté à l’unanimité, en avril 2024, une motion contre l’installation d’un McDonal’ds

La commune avait dégainé de nombreux arguments : localisation du projet – à proximité d’un complexe sportif – peu adaptée, « impact néfaste sur l’environnement avec l’augmentation de la production de déchets en bord des routes, des pistes cyclables et dans les parcs », nuisances diverses, augmentation de la circulation, mais aussi « protection des commerces de proximité et du bien-manger ». 

Si la motion était « plus symbolique que prohibitive », de l’aveu du maire (LDIV) Nicolas Barthe, il semblerait qu’elle ait réussi à décourager le créateur de l’iconique big mac… Qui n’avait cependant pas dit son dernier mot.

En effet, un an plus tard, McDonald’s a ouvert son 17e restaurant des Pyrénées-Orientales, une vingtaine de kilomètres plus loin, à Ille-sur-Têt.

Mardi 27 mai 2025, le département des Pyrénées-Orientales comptera 17 restaurants McDonald's sur son territoire.
D’après Nicolas Barthe, maire de Toulouges, le département des Pyrénées-Orientales affiche l’un des taux de fast-foods par habitant les plus élevés du pays. (©Thibaut Calatayud / Actu Perpignan) Droit de préemption, prix des loyers…

Si d’autres municipalités ont engagé un bras de fer contre l’un de ces géants américains, à l’instar de Grenoble qui a fermé la porte au nez de KFC au terme d’une longue bataille judiciaire, force est de constater que leur marge de manœuvre est faible. Comme l’expliquait à actu Toulouse le maire de Montrabé, quelques mois avant l’incendie du McDonald’s en chantier : 

Dans la mesure où le projet est conforme aux prescriptions légales d’urbanisme, je ne peux que me baser sur la conformité du dossier.

Jacques Sebi
maire de Montrabé (Haute-Garonne)

L’élu ajoute que « les arguments évoquant la malbouffe » n’ont pas de valeur pour refuser un permis de construire.

Il existe toutefois quelques solutions pour éviter une concentration trop importante de ces chaînes, en particulier dans les centres-villes. La Ville de Nancy, par exemple, a créé un « périmètre de sauvegarde » du commerce et se réserve la possibilité d’utiliser un droit de préemption sur les fonds de commerce à vendre.

Concrètement, le vendeur d’un fonds de commerce doit informer la Ville à qui il envisage de céder son bien et cette dernière pourra, si elle ne souhaite pas voir ce projet se réaliser, préempter le fonds. Objectif pour le maire (PS) de Nancy Mathieu Klein : faire en sorte que les centres-villes ne deviennent pas des « halls d’aéroport » où seules les enseignes internationales se développent. 

La Ville de Strasbourg souhaite développer un nouvel outil : le droit de préemption des fonds de commerce, ce qui pourrait lui permettre d'avoir plus de marge de manœuvre sur l'implantation des nouveaux commerces et restaurants.
À Strasbourg, certains habitants et restaurateurs estiment que la multiplication des fast-foods « dénote avec le charme typique du centre ». (©Actu Strasbourg / Aline Duchêne)

Une volonté de défendre la diversité commerciale que partage Strasbourg, pointant une autre problématique : le coût prohibitif des loyers en ville qui favorise l’installation de grandes enseignes. 

La fast-food ou la fast-fashion, ça tire les prix des loyers vers le haut, donc c’est tentant pour les propriétaires de céder leurs locaux à ce type de projet.

Joël Steffen
Adjoint au commerce à la Ville de Strasbourg

Reste néanmoins, comme le concèdent les élus, que le « modèle du fast-food répond à une attente des consommateurs« . Un argument, avec celui de la création d’emplois entraînée par l’ouverture de ces restaurants, souvent brandi par leurs défenseurs. La bataille est loin d’être terminée.

(*) Prénoms d’emprunt

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