Depuis quelques décennies, nous
vivons plus longtemps. Beaucoup plus longtemps. L’espérance de vie a
littéralement explosé dans une grande partie du monde grâce aux
progrès de la médecine, de l’hygiène, de l’alimentation. En France,
elle a gagné plus de 30 ans depuis 1900. Une prouesse. Et avec
cette longévité accrue, un rêve s’est imposé dans l’imaginaire
collectif : celui de pouvoir ralentir le vieillissement. Voire même, un jour, de
l’arrêter.
Crèmes, compléments, régimes,
jeûnes, biotech anti-âge, cryothérapie, cellules souches… Le marché
mondial de l’« anti-aging » pèse des dizaines de milliards d’euros.
Et il ne cesse de croître, porté par une promesse : celle de
ralentir les effets du temps.
Mais une étude récente vient
bousculer cette croyance de manière inattendue. Oui, on meurt plus
tard. Mais non, on ne vieillit pas plus lentement. Le
vieillissement biologique, lui, continue à suivre sa propre cadence
– implacable.
Vieillir n’est pas
négociable, juste reportable
Dans le cadre de ces travaux dirigés par le chercheur Silvio
Patricio, affilié à l’Université du Danemark du Sud, les données
démographiques de plusieurs pays européens (dont la France) ont été
passées au crible pour tenter de répondre à une question fascinante
: le rythme du vieillissement humain a-t-il changé au fil des
générations ?
En d’autres termes : est-ce
qu’on vieillit aujourd’hui moins vite qu’avant ? Ou est-ce qu’on vieillit
plus tard, tout
simplement ?
Pour cela, le chercheur a
analysé les taux de mortalité liés à l’âge – appelés « mortalité
sénescente » – en filtrant les autres causes de décès (accidents,
maladies infantiles, guerres, etc.). Il s’est basé sur un modèle
mathématique très ancien : la loi de Gompertz, formulée en 1825,
qui décrit comment le risque de décès augmente de manière
exponentielle avec l’âge.
Verdict ? Si l’on retire les
perturbations historiques (épidémies, guerres, famines), le rythme
du vieillissement reste remarquablement stable d’une génération à
l’autre. En revanche, l’âge auquel ce vieillissement accéléré
commence, lui, a été repoussé.
Autrement dit : on vieillit
toujours à la même vitesse… mais on commence à vieillir plus
tard.
Crédit :
iStock
Crédits : Ridofranz/istockLe vieillissement, c’est
comme des intérêts composés
Imaginez le vieillissement
comme un compte bancaire à intérêts composés : au début, la
croissance est lente, presque imperceptible. Mais avec le temps,
les effets s’accumulent, s’accélèrent. C’est exactement ce que
décrit Gompertz : à partir de 40-45 ans, le risque de mourir double
environ tous les huit ans.
Cela signifie que même si une
personne née en 1980 commence à vieillir « visiblement » plus tard
qu’une personne née en 1920, la pente de la courbe est la même. Le
processus est juste décalé.
Cette idée n’est pas
entièrement nouvelle : déjà en 2010, le démographe James Vaupel
avait proposé cette hypothèse de « report du vieillissement »
plutôt que de ralentissement. Mais les travaux de Patricio viennent
la confirmer avec plus de rigueur, en intégrant les effets de
contexte (comme les guerres mondiales ou les pandémies) qui
faussent souvent les comparaisons entre générations.
Pourquoi c’est important (et
un peu déstabilisant)
Cela signifie que tous les
efforts de la médecine moderne et de nos habitudes de vie
(meilleure nutrition, dépistage, soins préventifs…) ont certes
permis de repousser la mort, mais pas de modifier la biologie
fondamentale du vieillissement.
C’est une nuance cruciale. Car
cela implique que les produits, traitements ou régimes qui
prétendent “ralentir le vieillissement” touchent davantage aux
symptômes qu’à la cause profonde.
Et cela explique aussi
pourquoi, malgré tous nos efforts, les maladies liées à l’âge –
cancers, maladies cardiovasculaires, neurodégénérescence – restent
difficiles à éradiquer : elles ne sont pas des erreurs du système,
elles font partie intégrante du processus de vieillissement.
Alors, à quoi bon ? Spoiler :
à beaucoup de choses
Ce n’est pas parce que la
pente ne change pas qu’on ne peut rien faire. En réalité, on peut
agir sur le moment où cette pente commence à grimper.
Bien manger, bouger, dormir,
entretenir ses liens sociaux, réduire le stress… Ce ne sont pas des
recettes miracles, mais des leviers concrets pour repousser les
effets délétères du vieillissement. Cela ne changera pas le rythme
fondamental du déclin, mais cela peut vous permettre de vivre
mieux, plus longtemps – et en meilleure santé.
Et c’est tout l’enjeu de la
recherche actuelle en gérontologie : non pas vivre éternellement, mais vivre plus longtemps
en bonne santé, ce qu’on appelle la “longévité en santé”.
En résumé
-
Non, on ne vieillit pas plus
lentement qu’avant. -
Oui, on commence à vieillir
plus tard. -
Ce décalage est dû aux progrès
sociaux, médicaux, et non à une transformation de notre
biologie. -
Le vieillissement reste une
constante… mais une constante que l’on peut apprivoiser.