Deux visions, un même objectif pour la France et le Canada dans le nucléaire.

Le 9 juin 2025, un accord discret sur le papier pourrait bien avoir des répercussions planétaires. EDF, géant public français de l’électricité, et AtkinsRéalis, fleuron canadien de l’ingénierie nucléaire, scellent une alliance stratégique. Leur but ? Répondre ensemble aux appels d’offres pour construire de nouveaux réacteurs nucléaires, grands formats comme miniatures, partout sur la planète.

Ce partenariat ne se limite pas à une opération de communication. Il engage l’ensemble des compétences industrielles : ingénierie, fabrication de combustible, gestion des déchets, réhabilitation de centrales… Une union technique et politique qui arrive au bon moment, dans un monde où la sécurité énergétique et la neutralité carbone sont devenues indissociables.

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Il y a quelque chose de presque poétique dans cette alliance. D’un côté, l’EPR2 d’EDF, un colosse technologique européen, conçu pour durer 60 ans, et capable de produire des quantités massives d’électricité. De l’autre, le Candu d’AtkinsRéalis, un réacteur à eau lourde qui fonctionne avec de l’uranium naturel et dont la flexibilité permet un rechargement sans arrêt de production.

Deux approches, deux héritages, mais une complémentarité technologique très recherchée.

En croisant leurs savoir-faire, les deux entreprises prévoient de mutualiser leurs logiciels d’ingénierie, de synchroniser leurs chaînes d’approvisionnement et de créer des équipes mixtes de conception et d’installation. Pour accélérer les délais, limiter les erreurs et réduire les coûts, chaque site de production, au Canada comme en France, sera interconnecté numériquement.

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Un marché estimé à 1 000 nouveaux réacteurs pour 4 000 milliards d’euros d’ici 2050

La demande mondiale explose : selon Ian Edwards, directeur général d’AtkinsRéalis, plus de 1 000 réacteurs devront être construits d’ici 2050 si l’on veut électrifier les économies tout en respectant les engagements climatiques. Cela ne concerne pas que les mégacentrales et de nombreux pays se tournent désormais vers les SMR (Small Modular Reactors), plus simples à installer dans des régions isolées ou des infrastructures industrielles.

Sur la base des 1 000 réacteurs à installer d’ici 2050, le marché mondial des réacteurs nucléaires représenterait un volume d’investissement supérieur à 4 000 milliards d’euros, si l’on considère un coût moyen de 4 milliards d’euros par réacteur, en tenant compte des écarts entre par exemple un EPR2 qui pourrait coûter à la France la bagatelle de 15 milliards d’euros et un SMR dont le coût serait plus proche des 1 milliards (probablement dégressif au fur et à mesure de la maitrise technologique acquise) !

Actuellement, la part de la France dans la construction mondiale de réacteurs nucléaires ne dépasse pas 5 %, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et du World Nuclear Association. EDF est un acteur reconnu mais peine à convertir ses projets en commandes à l’export, notamment face à une concurrence plus offensive.

Acteurs actuels dans la construction de réacteurs nucléaires

Pays / Entreprise Nombre de réacteurs en construction Part estimée du marché mondial Technologie dominante Chine (CNNC / CGN) 24 Environ 40 % Hualong One, ACP100 Russie (Rosatom) 20 Environ 30 % VVER-1200, RITM-200 Inde (NPCIL) 8 Environ 10 % PHWR, VVER Corée du Sud (KHNP) 4 Environ 7 % APR-1400 France (EDF / Framatome) 3 (hors France) Environ 5 % EPR, EPR2 États-Unis (Westinghouse) 2 Environ 3 % AP1000, eVinci Japon / Canada / Autres 1 à 2 chacun Inférieur à 5 % SMR divers

La France souffre d’un retard à l’international, notamment face à Rosatom, qui propose des offres clés en main avec financement russe, et la Chine, qui impose ses technologies dans des pays en développement à coup de crédits publics. La Corée du Sud, avec KHNP, s’est imposée récemment aux Émirats arabes unis, preuve qu’un acteur plus agile peut percer même face à la Chine et la Russie.

Le retour discret mais réel du nucléaire canadien

Longtemps en retrait, la technologie Candu revient sur le devant de la scène. Ses atouts sont loin d’être anecdotiques : pas besoin d’enrichissement de l’uranium, flexibilité de rechargement, robustesse éprouvée dans des contextes variés. Ces réacteurs continuent de tourner en Roumanie, en Argentine, en Chine, en Corée du Sud et au Canada.

AtkinsRéalis, qui détient la licence exclusive du Candu, a aussi développé une expertise dans la prolongation de vie des centrales, une activité très demandée pour éviter d’investir dans du neuf tout en sécurisant les approvisionnements.

En s’alliant avec EDF, l’entreprise compte bien revenir sur les grands marchés internationaux, avec des offres combinées capables de s’adapter aux spécificités locales – que ce soit en matière de ressources, de réseau électrique ou de réglementation.

Souveraineté énergétique : le mot-clé de 2025

Ce partenariat ne relève pas uniquement de l’économie. Il s’inscrit dans un contexte géopolitique lourd, où la dépendance au gaz russe, révélée par la guerre en Ukraine, a modifié en profondeur les stratégies énergétiques. La France relance sa filière EPR2, investit dans le combustible via Framatome, et développe le petit réacteur SMR Nuward.

Le Canada, de son côté, intègre les SMR dans son plan de transition énergétique à l’horizon 2050. En combinant leurs forces, EDF et AtkinsRéalis veulent se positionner comme une alternative occidentale face aux offres chinoises et russes, souvent jugées opaques ou politiquement sensibles.

L’idée est claire : proposer une technologie fiable, pilotable, déployable rapidement, et fabriquée dans des pays démocratiques. Un argument qui, dans le climat actuel, vaut bien plus que quelques kilowatts.

Et si la France abandonnait la course aux semi-conducteurs pour fournir plutôt les 3 gaz indispensables à leur production comme le fait Air Liquide à Singapour ?

Un vent politique favorable à l’atome

Ce partenariat s’inscrit dans une tendance plus large : le nucléaire revient dans les débats, et pas qu’en France. La Finlande, la Hongrie ou la République tchèque développent de nouveaux projets. Même l’Allemagne, longtemps opposée, voit émerger un débat sur une possible réintégration du nucléaire dans son mix énergétique.

Aux États-Unis, des projets comme le Natrium de TerraPower (en partie financé par Bill Gates) obtiennent un soutien gouvernemental. En Asie, le Japon relance certains de ses réacteurs. Bref, les digues cèdent. Et EDF, avec AtkinsRéalis, entend bien profiter de cette fenêtre d’opportunité mondiale.

Comparatif des expertises EDF / AtkinsRéalis

Compétence
EDF
AtkinsRéalis
Technologie de réacteurs EPR, EPR2, SMR Nuward Candu (eau lourde, uranium naturel) Implantation géographique Europe, Afrique, Asie Amérique, Asie, Europe de l’Est Expérience dans le cycle du combustible Oui (via Framatome) Oui (surtout sur Candu) Réhabilitation de centrales existantes Oui (France, Royaume-Uni) Oui (Canada, Roumanie, Corée) Capacité d’ingénierie conjointe Oui (bureau commun prévu) Oui (centres technologiques au Canada)

Source :

  • https://www.atkinsrealis.com/fr-FR/media/press-releases/2025/2025-06-09
  • https://www.usinenouvelle.com/article/la-facture-des-six-futurs-epr2-de-edf-pourrait-couter-jusqu-a-100-milliards-d-euros.N2227847
  • https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/energie-nucleaire-smr-petits-reacteurs-modulaires

Image : Vue aérienne de deux centrales électriques pendant le coucher du soleil à Vilnius (Freepik)