Les fumeurs de cannabis en connaissent déjà bien l’odeur de prune. S’ils se font griller avec un joint en pleine rue, ils s’exposent à une amende de 200 euros avec la possibilité de la payer immédiatement par carte bancaire ou en liquide. L’infraction reste bien sûr un délit inscrit au casier judiciaire mais cette procédure simplifiée d’amende forfaitaire, déployée à partir de 2016 pour certains délits routiers, permet ainsi d’éviter un passage par la case justice.
Présenté par le gouvernement comme un moyen de « désengorger les tribunaux » et de « rendre les sanctions pénales plus effectives », le dispositif s’est depuis élargi à d’autres délits mineurs comme l’occupation illicite d’un terrain, le vol à l’étalage ou le craquage d’un fumigène dans un stade de foot. Depuis lundi, quatre nouvelles infractions sont désormais passibles d’une amende forfaitaire : la vente à la sauvette aggravée et l’exercice illégal du métier de taxi (500 euros d’amende) ainsi que la vente d’alcool à des mineurs et l’outrage sexiste aggravé (300 euros d’amende).
Taper directement au portefeuille
D’abord lancée dans onze grandes villes, parmi lesquelles Lyon, Marseille, Lille, Nice ou Rennes, l’expérimentation sera étendue à Paris le 22 avril et pourrait être à terme déployée sur tout le territoire. Une bonne nouvelle pour le maire de Nice Christian Estrosi qui se réjouit sur X que sa ville ait été retenue. « Nous devons nous battre régulièrement contre ces petites incivilités qui relèvent désormais des quatre amendes forfaitaires délictuelles décidées par le ministère de l’Intérieur », écrit-il, saluant « une mesure bienvenue qui, je l’espère, sera dissuasive. »
Pour Loïc Walder, délégué national du syndicat Unsa Police, taper directement au portefeuille est une bonne idée. « Cela permet déjà d’éviter de longues procédures pénales qui en plus n’aboutissent pas toujours, estime-t-il. Et même si le montant de l’amende n’est pas astronomique, je pense qu’on s’en souvient. » Le syndicaliste voit dans cette procédure « un outil de simplification qui permet de sanctionner immédiatement pour ne pas encombrer les tribunaux. » Il émet toutefois quelques réserves. « Il ne faut pas par contre que ce soit une obligation pour les policiers et que cela devienne un outil de statistiques pour faire du chiffre, prévient-il. On sera très vigilant là-dessus. »
Une amende qui ne va servir à rien, selon les taxis
Chez les taxis, en guerre depuis plusieurs années contre « les clandestins », on se demande en revanche à quoi tout cela va servir. « C’est un énième gravillon au milieu du Pacifique et ce n’est clairement pas ça qui va permettre de faire place nette », ironise Dominique Buisson, secrétaire de la Fédération nationale du taxi. Selon lui, la procédure sera difficilement applicable par les policiers « qui ne pourront pas être derrière chaque VTC » et « devront être équipés de terminaux pour pouvoir verbaliser, ce qui est loin d’être le cas ».
Il trouve aussi le montant de l’amende ridicule. « Elle devrait être beaucoup plus forte que ça avec la saisie directe aussi du véhicule car c’est une activité illégale », souligne-t-il, parlant même « d’un système mafieux » mis en place par les taxis clandestins à Paris et dans les aéroports franciliens. « Et face à cela, les autorités ne font rien du tout ou alors font semblant de taper sans taper », déplore-t-il.
La Défenseure des droits veut supprimer le dispositif
En mai 2023, Claire Hédon, la Défenseure des droits, avait critiqué ce mode de sanction pénale alternatif aux poursuites judiciaires et demandé sa suppression pure et simple. Elle évoquait notamment « de très nombreuses difficultés dans la mise en œuvre de la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle qui compromettent le respect des droits des usagers ».
A commencer par « le risque d’arbitraire et de disparités de traitement contraire au principe d’égalité devant la justice » alors que le choix de recourir ou non à cette sanction repose seulement sur l’appréciation de l’agent. Le gouvernement avait aussitôt répondu en soulignant que le dispositif avait « démontré son efficacité avec 840.000 amendes forfaitaires délictuelles délivrées depuis 2018 dont 330.000 pour des stupéfiants depuis octobre 2020 ».