Notre pays joue avec le feu budgétaire. Ni le président, ni le gouvernement, ni le Parlement ne semblent avoir compris l’enjeu, bien que tous s’en défendent. Je n’en peux plus d’entendre en coulisses les uns et les autres m’expliquer qu’on ne peut pas réduire la dépense publique puisque « l’Etat est à l’os » et que « les Français ne veulent pas qu’on touche au social ». C’est être aveugle au contexte financier mondial, qui a radicalement changé depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, et qui menace, justement, notre Etat-providence.

La première conséquence de l’installation de Trump dans le bureau Ovale, c’est le quasi-alignement des positions américaines sur les positions russes. Nous avons, avec Trump et Poutine, deux dirigeants qui s’inscrivent dans une logique impérialiste et pour lesquels la géopolitique n’est jamais affaire de droit mais toujours de rapports de force médiatisés par des entretiens, éventuellement conflictuels, entre chefs d’Etat.

Tensions sur le marché obligataire

Face à la menace russe, l’Europe n’a d’autre choix que de se réarmer massivement. C’est très exactement la stratégie de Friedrich Merz, l’excellent chancelier allemand, dont la lucidité et la compétence tranchent radicalement avec son prédécesseur. L’Allemagne a assoupli son frein à l’endettement public afin de dépenser plusieurs centaines de milliards d’euros pour se protéger, et protéger l’Europe.

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Ce changement majeur de doctrine aura une conséquence financière dont nos gouvernants n’ont pas assez conscience. L’Allemagne va revenir sur le marché obligataire et proposer aux investisseurs des obligations parfaitement sûres, et donc très bien notées. A l’inverse, les obligations françaises risquent de passer ces prochains mois dans une catégorie de notation qui en fera un investissement de deuxième ordre en termes de qualité. Les obligations allemandes et françaises vont se retrouver en concurrence, ce qui va pousser les taux d’intérêt vers le haut, et chez nous davantage que chez eux. Danger pour un pays, le nôtre, pour lequel la charge de la dette avoisine déjà 60 milliards d’euros.

L' »année blanche », un pis-aller

La deuxième conséquence de l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, c’est, indépendamment de la question des dépenses militaires, d’avoir fragilisé les marchés obligataires mondiaux. Entre sa passion protectionniste qui ravive les craintes inflationnistes et son « big and beautiful bill » qui ajouterait 2 300 milliards de dollars de dette aux Etats-Unis, partout les taux d’intérêt se tendent, l’Amérique donnant le la. La politique de l’administration Trump, qui a réussi à rendre son propre marché de la dette nerveux et instable, a des conséquences jusqu’au Japon. Les marchés ont été désagréablement surpris de constater que l’Etat japonais, certes moins aidé par la Banque du Japon, ne parvenait plus à placer ses obligations à très long terme (vingt ou trente ans) aux taux d’antan. Sur les marchés, les taux obligataires à trente ans du Japon et du Royaume-Uni sont au plus haut depuis plus de trente ans. Le marché obligataire des pays développés est sous stress, en raison d’un rythme d’endettement qui semble de plus en plus dépasser les capacités d’épargne mondiale.

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Dans ce contexte nouveau, le gouvernement français, comme son prédécesseur, ne sait pas nous proposer autre chose que des rabotages de niches fiscales et des idées d’augmentation d’impôts. Un désert intellectuel dans lequel la perspective d’une « année blanche », qui gèlerait les dépenses publiques et les seuils de l’impôt sur le revenu, et qui rapporterait environ 20 milliards d’euros, semble l’une des moins mauvaises solutions.

L’impossibilité de la baisse durable de la dépense publique n’existe que dans l’esprit de ceux qui refusent de s’y atteler. Pourquoi ne pas réintroduire, par exemple, la politique du « un sur deux » que Nicolas Sarkozy, alors président, avait mise en place et qui consiste à ne pas remplacer un départ en retraite d’un fonctionnaire sur deux ? Cette mesure avait rapporté, selon la Cour des comptes, 4,2 milliards d’euros entre 2008 et 2012. En 2012, le taux de non-remplacement était même monté à 60 %, ce qui avait permis une économie de quasiment 1 milliard d’euros. François Bayrou pourrait convertir ce « un sur deux » en « deux sur trois », en intégrant les contractuels. Qui peut sérieusement faire gober aux Français que l’on manque de fonctionnaires ?

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères

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