Installer un «dôme de fer» à Berlin, comme en Israël, pour intercepter les obus de Vladimir Poutine ? La proposition du président du groupe parlementaire conservateur (CDU) au parlement régional de la capitale allemande, Dirk Stettner, a fait sourire dans les milieux de la défense et de la sécurité. Mais elle a bel et bien fait, ce vendredi 13 juin, la une du très sérieux quotidien local Der Tagesspiegel, révélant le niveau d’inquiétude des Allemands face à la menace russe. «L’Allemagne est la première cible d’attaques hybrides en Europe», rappelle le député écologiste Konstantin von Notz, président de l’organe de contrôle parlementaire des services du renseignement allemand.
Dans ce contexte d’inquiétude sur un possible retour de la guerre, l’Allemagne inaugure dimanche 15 juin sa «Journée des vétérans» qui rend hommage aux anciens combattants pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale. «Beaucoup de soldats en Afghanistan se sont sentis seuls face, notamment, aux conséquences psychologiques de leur mission», rappelle Sönke Neitzel, historien militaire à l’université de Potsdam. Mais c’est avant tout aux 10 millions de soldats de la Bundeswehr, actifs ou à la retraite, que cette journée rend hommage.
A Berlin, autour du bâtiment du Reichstag, l’armée a dressé un vaste «village des vétérans» avec des estrades pour des débats, des stands d’information qui côtoieront les food-trucks, le tout rythmé par des concerts. Une vaste opération de communication pour redorer le blason de la Bundeswehr, longtemps mal aimée de la population.
Depuis la guerre en Ukraine, il y a trois ans, ces soldats sont des héros. L’Allemagne a non seulement décidé de remettre son armée debout mais elle veut aussi se doter de l’armée conventionnelle «la plus puissante d’Europe», selon les termes du nouveau chancelier, Friedrich Merz.
Le lieutenant-général Alfons Mais, actuel inspecteur général de l’armée de Terre (équivalent de chef d’état-major en Allemagne) a qualifié la Bundeswehr, d’«exsangue». Son redressement va engloutir des sommes colossales. Ignorant superbement la rigueur budgétaire à laquelle les Allemands sont traditionnellement attachés, Merz a arraché au Bundestag une réforme constitutionnelle historique pour faire sauter le verrou de la dette sur toutes les dépenses concernant la défense. «Quoi qu’il en coûte», martèle le chancelier. Au moins 500 milliards d’euros, avancent les experts.
Berlin a promis de suivre les exigences de Donald Trump sur ses dépenses militaires en consacrant 3,5 % du PIB à son armée et 1,5 % aux infrastructures logistiques (routes, casernes, chemins de fer). Le programme de réarmement est tellement gigantesque qu’il pourrait devenir le moteur de la croissance de l’économie stagnante.
Pour répondre aux exigences de l’Otan, l’Allemagne prépare une montée en puissance de ses effectifs militaires. D’ici 2031, la Bundeswehr devra passer de 180 000 soldats actuellement à plus de 250 000. Un objectif ambitieux, qui soulève une question sensible : faudra-t-il rétablir la conscription, suspendue en 2011 ? C’est inévitable, estime le porte-parole de la politique extérieure de la CDU, Norbert Röttgen : «Le service sur la simple base volontaire ne suffira pas à répondre à la pénurie.»
L’écologiste Joschka Fischer qui a lutté toute sa jeunesse contre la conscription va même plus loin en réclamant la mobilisation des femmes. L’ancien ministre des Affaires étrangères veut un service obligatoire et mixte : «L’Allemagne doit être prête à se battre pour la liberté.» Sa position est celle de tout le parti Die Grünen, le seul à être favorable à la livraison de missiles de croisière à Kyiv.
Le ministre de la Défense, qui confirme que les nouveaux objectifs de l’Otan nécessiteront 60 000 soldats allemands supplémentaires (contre une estimation de seulement 20 000 il y a un an), prépare pour cet été le vote d’un texte comprenant un «plan B» important : si le recrutement sur la base volontaire ne suffit pas, la conscription sera rétablie.
Ce positionnement va-t-en-guerre provoque évidemment des réactions épidermiques du côté des anciens pacifistes. L’aile gauche du SPD, menée par une vieille garde sociale-démocrate qui fait référence à la stratégie de détente d’un Willy Brandt ou à Gorbatchev, a publié mercredi un «manifeste» – un grand mot pour un document de quatre pages, appelant à une reprise du dialogue avec Moscou. Les 100 signataires du SPD, dont cinq députés, dénoncent la «course aux armements» du gouvernement Merz et la rhétorique guerrière de leur camarade SPD chargé de la Défense dans la coalition au pouvoir, Boris Pistorius qui a déclaré que l’Allemagne devait de nouveau être «capable de faire une guerre». Kriegstüchtig, en allemand dans le texte.
«N’importe quel idiot est capable de parler d’armes. En revanche, la diplomatie, c’est plus difficile. C’est de l’art», a grincé Ralf Stegner, l’un des initiateurs du manifeste. Le jour de sa parution, Boris Pistorius était à Kyiv pour annoncer une nouvelle aide militaire de près de 2 milliards, taclant le «déni de réalité» d’une partie de son parti.