Par
Léa Pippinato
Publié le
14 juin 2025 à 17h38
En 1995, à Montpellier, le mot d’ordre était « Sortons de nos placards. » Trente ans plus tard, la Pride bat encore le pavé, portée par une mémoire militante et une vigilance constante.
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Rencontre avec Olivier Vaillé, président de Fierté Montpellier Pride, à l’occasion des 30 ans de l’association.
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Qu’est-ce que Fierté Montpellier Pride, et quelles sont ses missions principales ?
Fierté Montpellier Pride a été fondée en 1995. Au départ, elle avait un objectif très ciblé : organiser la marche des Fiertés à Montpellier, qui était une nouveauté à l’échelle locale. C’était notre seule mission à l’époque. Mais avec le temps, l’association s’est transformée, enrichie. Elle a gagné en importance, en complexité, en impact aussi. Cela s’est fait en réponse aux luttes politiques du moment mais aussi à des besoins concrets des personnes de notre communauté. En 2002, le centre gay et lesbien de Montpellier a fermé. Cela a été un tournant. Fierté Montpellier Pride a alors endossé le rôle de centre LGBTQIA+. Cela veut dire que nous avons multiplié les activités : accompagnement, prévention, soutien psychologique ou juridique, projets culturels, actions militantes. Nous répondons autant que possible aux demandes et aux besoins exprimés.
Comment décririez-vous le contexte LGBTQIA+ à Montpellier et en France en 1995 ?
C’était une période très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Personnellement, j’étais jeune adulte et je n’avais pas encore fait mon coming out. Donc j’avais une vision partielle. Mais ce que je peux dire, c’est qu’il existait déjà une communauté active, avec des bars, des clubs. Mais tout restait très discret. Les premières Pride en France ont été organisées à Paris dans les années 80. En 1994, Marseille et Lyon ont suivi. Mais la visibilité était encore très faible. Peu de gens osaient marcher dans la rue en se tenant la main. Sur le plan des droits, on était au début d’une deuxième phase. La première, c’était la fin de la pénalisation de l’homosexualité, la sortie du statut de maladie mentale. La deuxième phase, c’était la revendication de droits concrets : le PACS, puis le mariage, la reconnaissance des familles. Il s’agissait d’obtenir une égalité réelle avec les personnes hétérosexuelles, sans pour autant leur retirer quoi que ce soit.
Quels ont été les premiers soutiens de votre association ?
Au départ, nous avions surtout des soutiens individuels, souvent discrets. Beaucoup de gens n’étaient pas out, mais ils nous soutenaient comme ils pouvaient. Progressivement, les choses ont changé. La Ville de Montpellier, avec Georges Frêche et son équipe, nous a très vite soutenus publiquement. Cela a été déterminant. La mairie a accordé des subventions, autorisé la marche, collaboré avec nous. Les lieux communautaires, bars, boîtes, restaurants, ont joué un rôle essentiel. Beaucoup étaient tenus par des personnes LGBTQIA+ ou sensibilisées. Ils ont apporté un soutien financier, logistique, humain.
Vidéos : en ce moment sur ActuLa première marche des fiertés a-t-elle été un tournant ?
Oui, clairement. Il y avait un besoin de visibilité. Le mot d’ordre à Montpellier était : « Sortons de nos placards. » Il fallait s’afficher, exister publiquement. Il y avait des lieux de sociabilité comme le Café de la Mer, mais la présence dans l’espace public était quasiment inexistante. La marche, c’était une révolution. Montrer qu’on existe, qu’on est fiers. Cela donnait une forme de légitimité à nos vies, à nos identités. 1995, ce n’est pas si vieux. Et pourtant, à l’époque, beaucoup vivaient encore cachés.
Quels événements ont marqué l’histoire de Fierté Montpellier Pride en trente ans ?
L’association a connu plusieurs grandes phases. Il y a eu des changements de direction : longtemps présidée par Fabienne Larrivière, puis par Vincent Autain, qui a marqué un tournant. Il est devenu une figure politique nationale et internationale, et a été le premier marié de France. Au fil du temps, nous avons développé nos actions au-delà de la marche : accompagnement juridique, aide aux victimes de violences, projets culturels, engagement dans des réseaux internationaux comme InterPride. Mais l’association reste tributaire de ses bénévoles. À chaque départ, de nouvelles personnes arrivent, avec leur énergie, leur regard. Cela renouvelle notre identité collective.
Est-ce que le profil des bénévoles a évolué ?
Oui. Beaucoup de jeunes nous rejoignent plus tôt, parce qu’ils font leur coming out plus jeunes. Fierté Montpellier Pride est une association politique, au sens où nous revendiquons des droits. Mais nous sommes apartisans. Cela veut dire que nous ne nous rattachons à aucun parti. En interne, nous avons souvent des débats, notamment sur l’intersectionnalité. Comme nous luttons contre les discriminations, nous sommes concernés aussi par les luttes contre le racisme, le sexisme, l’islamophobie, l’antismétisme, etc. Notre représentation doit être inclusive et à l’image de toute la communauté.
Nous avons mis en place plusieurs pôles pour répondre à des demandes particulières. Par exemple, le pôle trans existe depuis 2014. Il a toujours été porté par des personnes concernées et permet un accompagnement dans le respect des parcours individuels. Chaque transition est unique, et l’idée est de créer un espace sûr où poser ses questions, trouver du soutien, partager des expériences. Nous avons aussi un pôle pour les personnes migrantes. Il ne concerne pas uniquement les demandeurs et demandeuses d’asile, mais aussi celles et ceux qui vivent depuis plusieurs années en France et souhaitent, par exemple, se marier. Leurs pays d’origine peuvent ne pas reconnaître leur orientation ou leur identité, ce qui rend certaines démarches administratives très complexes.
Observez-vous un recul des droits pour les personnes LGBTQIA+ en France ?
Pas au niveau législatif, pas encore. En France, pour le moment, les lois protègent nos droits. Mais ce n’est pas le cas partout en Europe ou dans le monde. Et même en France, dans les faits, il existe des inégalités. Par exemple, changer de prénom à l’état civil à Montpellier, c’est plus simple que dans certaines communes rurales. L’accès aux soins aussi est inégal. Certaines CPAM traînent, certains médecins ne sont pas formés. Quand on est LGBTQIA+ en milieu rural, il peut être difficile d’être pris en charge sans jugement ou incompréhension. La loi peut être la même, mais son application ne l’est pas.
Est-ce que la haine en ligne est un sujet de préoccupation pour vous ?
Oui, très clairement. Le harcèlement en ligne est massif et difficile à contrer. On reçoit des vagues de commentaires haineux sur les réseaux sociaux, souvent quand on publie des contenus visibles ou relayés par des médias. Parfois, les modérateurs ne font rien, donc on est obligés de signaler à Pharos ou de porter plainte. Mais c’est un travail titanesque. Il y a une véritable libération de la parole haineuse. Et nous ne pouvons pas faire le travail des autres, même si la loi leur impose des obligations claires.
Quel est le sens du slogan de la marche de cette année : « Nos fiertés dans ta haine » ?
Ce slogan, c’est notre réponse à toutes celles et ceux qui disent que les Pride ne servent plus à rien. Nous voulons dire que nos fiertés, nos existences, notre visibilité sont la meilleure réponse à la haine. Depuis trois ans, nos mots d’ordre sont de plus en plus combatifs. Il y a eu : « Unis pour ne pas crever », « Révolté.e.s. » Cette année, « Nos fiertés dans ta haine », c’est un cri de résistance. Aucun droit n’est jamais définitivement acquis. Il suffit d’un changement politique pour que des libertés soient remises en cause. On l’a vu aux États-Unis, où les droits des personnes trans régressent. Une loi peut être inscrite dans la Constitution, mais son application peut être bloquée ou vidée de son sens. La vigilance est permanente.
Montpellier est souvent citée comme un modèle de ville LGBTQIA+ friendly. Est-ce justifié selon vous ?
C’est une ville jeune, dynamique, avec un bon tissu associatif et des institutions à l’écoute. Oui, on peut y organiser des choses plus facilement qu’ailleurs. Mais ce n’est pas un paradis. Il y a des agressions, des discriminations ici aussi. Montpellier n’est pas une bulle isolée. Elle est traversée par les mêmes tensions que le reste de la société : sexisme, racisme, haine des minorités. Rien n’est jamais totalement sûr.
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