Avancez désormais dans le temps de près d’un millénaire, salle 227, aile Richelieu. Vous voilà devant l’une des œuvres les plus importantes du Louvre : le Code de Hammurabi, texte juridique antique gravé en écriture cunéiforme sur une stèle en pierre noire. En regardant dans les vitrines voisines, je découvre qu’Hammurabi, roi de Babylone, était plus qu’un roi ayant créé le code juridique le plus complet de l’Antiquité ; il était également bon vivant. (Son mets préféré était une tourte à la caille particulièrement relevée).

Dans une vitrine de la même salle, je remarque un plat rond et peu profond décoré de quatre cercles concentriques et fabriqué à partir d’une argile blanche à la couleur de biscuit. Au centre se trouvent des empreintes en forme d’animaux : quatre aux grandes oreilles qui peuvent être des ânes et six à la queue levée qui ressemblent à des chiens. « Moule de cuisine », indique sobrement l’étiquette. Cet objet simple n’a rien d’insolite, mais sa date me saute aux yeux. Celui-ci est vieux de 3 800 ans et a été découvert dans l’est de l’actuelle Syrie. Les moules – avec des dessins d’animaux et de femmes enceintes – servaient généralement à préparer des tourtes salées et des gâteaux sucrés pour la famille royale. Les Mésopotamiens, connus pour leurs vins, furent les premiers producteurs connus de bière et de glaces également.

Si les royaumes et les dynasties se sont effacés, bien souvent les ustensiles royaux subsistent. Dans une vitrine de la salle 527, dans l’aile Richelieu, je tombe sur un ensemble cuillère-fourchette provenant de Ceylan (actuel Sri Lanka) taillé dans du cristal et serti de rubis incrustés dans de l’or. La cuillère, ustensile le plus ancien, côtoyait la fourchette, une invention plus récente. À cette époque, les artisans ceylanais travaillaient principalement avec de l’ivoire pour fabriquer de tels objets, mais dans ce cas, l’on utilisa du cristal de roche, dans une probable tentative de mettre l’accent sur la rareté et sur le prestige royal.

La galerie d’Apollon, que l’on trouve non loin de la Victoire de Samothrace, abrite les joyaux de la Couronne de France. Plus belle boîte à bijoux du monde, cette galerie dorée fut construite sur ordre du roi Louis XIV pour exhiber sa grandeur. Mais pour la plupart, les joyaux de la Couronne de France furent vendus aux enchères au 19e siècle. La pièce a été donc été comblée avec les exubérantes collections de plats, d’assiettes et de récipients du roi, certains en or et sculptés à partir de minéraux ou d’agrégats de minéraux (lapis-lazuli, agate, améthyste et jade). Ils évoquent le grand couvert, rituel aussi ridiculement artificiel que formel qui se tenait à Versailles : presque tous les soirs, le roi Louis XIV dînait en public en compagnie de la reine et de leur descendance. Son successeur et arrière-petit-fils, Louis XV, préférait dîner seul.

La vaisselle figure également en abondance dans l’aile dédiée aux arts de l’islam. Parmi les près de trois mille objets exposés se trouvent des assiettes en céramique et des bols en jade, des bouteilles en verre et des carafes et bassines en métal. Dans la salle 185 de l’aile Denon, sur une assiette concave en céramique du 16e siècle, on peut lire l’inscription suivante : « Que cette assiette soit toujours pleine, toujours entourée d’amis, qu’ils ne manquent de rien et qu’ils profitent pleinement de toutes choses. » Avec ses fleurs bleues et jaunes nichées dans des feuilles vertes, l’assiette aurait toute sa place dans une cuisine de campagne gaie.

Dans le cadre de mes recherches sur l’univers gastronomique du Louvre, j’ai retrouvé Guy Savoy, que certains critiques gastronomiques considèrent comme le meilleur chef du monde, afin d’analyser les rapports entre nourriture et art.

Avant de l’emmener au Louvre, j’ai commencé par emmener le musée dans son restaurant, de l’autre côté de la Seine.

Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre, s’est joint à nous, à une table nichée dans un coin de la cuisine. Le chef nous a servi son plat emblématique : un velouté d’artichaut épais avec truffe noire en lamelles et de copeaux de parmesan, le tout accompagné d’une brioche grillée aux champignons, à tremper, enduite de beurre de truffe.

Alors que nous étions en train de manger, j’ai sorti un beau livre sur l’art et la gastronomie à la page de La Brioche.