Après deux premières éditions timides, en 2017 à New York et en 2022 à Lisbonne, la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan s’est conclue sur un bilan plutôt positif. Adopté en juin 2023, le traité sur la haute mer devrait entrer en vigueur en janvier prochain.

Coorganisée par la France et le Costa Rica, l’UNOC-3 qui s’est déroulée à Nice du 9 au 13 juin, précédée de trois événements spéciaux consacrés à la science, à la finance et aux défis imposés par l’élévation du niveau de la mer, devait être un « accélérateur », un « catalyseur », qui allait permettre d’enclencher une dynamique et de passer de la parole aux actes sur un certain nombre de grands sujets. 

Cette conférence, qui n’avait pas pour objet d’aboutir à une convention liant et obligeant ses signataires, a de fait permis d’avancer de manière significative sur le traité sur la biodiversité au-delà de la juridiction nationale, dit traité sur la haute ou BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction treaty). Adopté il y a tout juste deux ans après quinze ans de négociations, il n’a pas engrangé à Nice les 60 ratifications nécessaires à sa mise en œuvre, comme l’espérait la France. 

 

 

Mais la dynamique est bel et bien là : « 56 pays l’ont ratifié et 14 s’apprêtent à le faire avant le 23 septembre », date de la prochaine assemblée générale des Nations unies à New York, a indiqué Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes et envoyé spécial du Président de la République pour la Conférence des Nations unies pour l’océan, à l’occasion de la conférence de presse de clôture de l’UNOC. Les soixante ratifications requises seront donc bientôt atteintes, ce qui laisse augurer une entrée en vigueur en janvier 2026, et la convocation d’une première COP adossée au traité BBNJ à l’automne de la même année. 

« Immense portée politique »

Un succès à mettre sur le compte « du gros travail de la diplomatie française », se félicite auprès de Mer et Marine André Abreu, directeur plaidoyer et coopération internationale de la Fondation Tara Océan, qui bénéficie du statut d’observateur à l’ONU et participe à ses travaux. « Il faut aussi souligner l’immense portée politique de la Conférence, avec 64 chefs d’Etat et de gouvernement, et la présence de quasiment tous les pays onusiens, sauf les Etats-Unis, qui ne signent de toute façon aucune convention ». Mais qui étaient dans toutes les têtes et à qui un signal a été envoyé par les 37 Etats qui s’affichent désormais comme favorables à une pause de précaution s’agissant de l’exploitation minière des fonds marins, que les Etats-Unis sont prêts à lancer de manière unilatérale.

 

Les nodules polymétalliques qui reposent sur le plancher océanique sont convoités par l’industrie, qui les présente comme nécessaires à la production de batteries électriques, de panneaux solaires ou encore de smartphones.

 

Quatre pays ont rejoint à Nice cette coalition d’Etats qui se retrouveront dans quelques semaines à Kingston (Jamaïque), siège de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), chargée de la gestion de la zone des grands fonds marins dans les eaux internationales et de l’élaboration d’un code minier. Si le nombre de ralliements est faible, il est toutefois suffisant pour constituer une minorité de blocage pour l’adoption d’un code minier à l’AIFM, dont le rôle central a été réaffirmé dans la déclaration politique adoptée à l’issue de l’UNOC par les 175 pays participants.

Pollution plastique et pêche INN

Autre signal, à destination cette fois des pays pétroliers : l’« appel de Nice » pour un traité ambitieux sur la pollution plastique, qui intervient deux mois avant le dernier round des négociations sur le traité mondial contre la pollution plastique, organisé faute d’accord lors du tour précédent. « Sur ce sujets, les adhésions ont été importantes », souligne André Abreu. Le nombre d’Etats partisans d’un traité comprenant des mesures à l’échelle de l’ensemble du cycle de vie des plastiques est ainsi passé à Nice de 67 à 95, soit plus de la moitié des 170 pays impliqués dans la négociation. Sans surprise, l’Arabie saoudite, la Russie et l’Iran, qui veulent protéger leur industrie pétrolière et pétrochimique et bloquent les négociations, ne l’ont pas signé.

 

 

La lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite pêche INN, autre sujet « poussé » par la France, a également avancé. Pour réduire l’impact de ce qui constitue l’une des pressions majeures sur l’océan mondial, le renforcement du cadre international existant était le principal levier. « Cent trois pays ont ratifié l’accord dit Fish 1 de l’Organisation mondiale du commerce, qui doit mettre fin aux subventions à la pêche illégale, dont 14 dans le cadre de la mobilisation internationale autour de l’UNOC », s’est félicité Olivier Poivre d’Arvor. Huit ratifications sont encore nécessaires pour que le texte entre en vigueur.

L’épineux sujet des aires marines protégées

Du côté des ONG, si la tonalité générale est globalement positive à l’issue de la Conférence, voire « dithyrambique » de la part de certaines organisations internationales, la question des aires marines protégées en France métropolitaine constitue une « véritable déception », indique André Abreu. Tout en se félicitant de la création de l’une des plus grandes aires marines protégées au monde en Polynésie française, la Fondation Tara Océan a, aux côtés d’autres ONG comme la LPO, WWF et Greenpeace, a déploré le manque d’ambition du gouvernement sur ce sujet qui mobilise la société civile depuis des mois. 

L’annonce à Nice du passage de 0.1% à 4% de zones placées sous protection forte dans les eaux hexagonales (de 4.8% à 14.8% dans l’ensemble des eaux françaises) en 2026, avec une réduction des pressions, à commencer par l’interdiction du chalutage de fond, n’a pas convaincu les ONG. Celles-ci espéraient atteindre 10% d’aires marines sous protection stricte (sans aucune activité extractive) en France métropolitaine, selon les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), repris par l’Union européenne dans le cadre de la stratégie biodiversité.

 

 

« Nous ne voyons pas trop ce que cela va changer », indique André Abreu, qui regrette que les associations de défense de l’environnement n’aient pas davantage été intégrées à la concertation, « qui a seulement eu lieu entre les pêcheurs et les scientifiques ». La focalisation du débat sur la question du chalutage de fond et les passes d’armes récurrentes entre l’association Bloom – qui affirme, cartes à l’appui, que les futures zones interdites au chalutage de fond le sont déjà, et le gouvernement, donnent l’impression d’une « occasion manquée » sur l’enjeu des aires marines protégées, « dont le rôle ne doit pas se résumer à être un outil de gestion de pêche ».

Le débat est en tout cas loin d’être clos : face aux accusations de Bloom, qui a fait part de son intention d’attaquer l’Etat français en justice « pour qu’il répare et fasse cesser les dommages liés au chalutage », Olivier Poivre d’Arvor a annoncé que le gouvernement lui opposerait ses propres cartes, dès le lundi 16 juin.

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