Au cours de l’interview alors publiée dans nos colonnes, ce docteur en biologie marine, ancien chercheur à la station CNRS de Roscoff, évoque « une dizaine d’autres cas traités » dans les hôpitaux français au cours de l’année. Il cite notamment celui d’une jeune femme âgée de 28 ans « qui allait perdre ses doigts », brûlés par une colle. « En moins d’un mois, la peau des doigts a repoussé, alors qu’ils étaient brûlés jusqu’à l’os. Cette femme refait de l’escalade alors qu’on allait lui couper les doigts ! », savoure le biologiste. Qui entrevoit avec HEMhealing (c’est le nom commercial du pansement), une solution pour de très nombreuses plaies : chirurgicales, traumatiques, ulcères, escarres… « Des millions dans le monde ! », appuie-t-il.

« Des milliards d’euros » en jeu

Ce traitement n’est que l’une des applications inventées par Hemarina. Les autres sont tout aussi prometteuses (préservation des greffons, traitement des AVC et infarctus…), selon Franck Zal. Toutes ont la même origine. La poule aux œufs d’or du scientifique morlaisien est… un ver marin : l’arénicole, dont tout le monde connaît les tortillons de sable qu’il laisse sur les plages à marée basse. C’est en l’étudiant, il y a près de trente ans, que le chercheur a découvert les incroyables propriétés de son sang. Ce petit ver survit six heures en apnée grâce à son hémoglobine, qui délivre 40 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine, tout en étant 250 fois plus petite qu’un globule rouge ! « Une révolution pour la science et la médecine », répète inlassablement le scientifique. À la clé : l’espoir de très nombreuses vies sauvées, et moins de séquelles. Et aussi « des dizaines, voire des centaines de millions d’euros économisés pour l’État, et des milliards d’euros de contrats ».

« Réglementation kafkaïenne »

Qui ne serait pas séduit, emballé, et même euphorique en écoutant Franck Zal ? C’est d’ailleurs le cas de tous les interlocuteurs rencontrés pour cette enquête. Le scientifique sait vendre ses innovations. Au moins aux médias. On ne compte plus les pages dans la presse locale et nationale, et les invitations sur des plateaux TV.

L’aspirine serait impossible à développer dans le contexte réglementaire actuel. Son expérimentation serait arrêtée avant même d’avoir été testée sur un patient !

Et pourtant, à ce jour, hormis des autorisations au cas par cas (« à titre compassionnel ») pour le pansement HEMhealing, aucun des produits développés par Hemarina ne bénéficie d’un feu vert des autorités françaises ou européennes. La faute à qui ? « À la réglementation kafkaïenne française et européenne !, mitraille Franck Zal. Elles sont un véritable frein à l’innovation. On a 400 000 normes en France, contre 38 000 en Allemagne ! L’aspirine serait impossible à développer dans le contexte réglementaire actuel. Son expérimentation serait arrêtée avant même d’avoir été testée sur un patient ! »

« Il a fini par braquer tout le monde »

Franck Zal dénonce aussi des bâtons qui lui seraient délibérément mis dans les roues, « les arguments aberrants des agences d’État », « les lobbies pharmaceutiques », « notamment celui du sang » qui se sentirait menacé par son produit transporteur d’oxygène universel.

À Paris, le sujet fait se fermer toutes les portes. Personne n’accepte de parler. Sauf en off, pour quelques-uns. Ces derniers mettent en cause la personnalité de Franck Zal. L’homme est atypique, entier, exigeant, très pugnace. « Il veut brûler les étapes. Il a fini par braquer tout le monde ! », lâche un politique ayant « remué ciel et terre pour mettre les projets du chercheur morlaisien dans les bons tuyaux ». « Contester le système, à la limite du complotisme, n’aide pas », ajoute une autre source qui évoque « un comportement à la Didier Raoult », le professeur marseillais déchu, promoteur désavoué de l’hydroxychloroquine lors de la crise du covid.

« Leur efficacité n’a plus à être démontrée ! »

Voilà pour la forme. Sur le fond – plus inquiétant -, le blocage serait lié à des démonstrations scientifiques jugées « insuffisantes » par les organismes décideurs, selon nos informations. Le sujet provoque des poussées d’urticaire à Franck Zal. « Nous avons franchi toutes les étapes nécessaires. Tout fonctionne ! Pour les greffes, nous avons remis un dossier technique de 14 000 pages aux autorités compétentes ! Notre innovation a permis d’en réaliser déjà près de 600. Nous avons aussi réalisé avec succès des greffes de faces et de bras », s’agace le patron d’Hemarina. Le scientifique tranche net : « La preuve de l’efficacité de nos produits n’a plus à être démontrée. Nous avons publié des dizaines et des dizaines d’études sur les sites en ligne de référencement scientifique. »

L’étude que tout le monde attendait

Pour son produit phare Hemo2life (préservation des greffons), Hemarina avait même décroché, en septembre 2022, l’indispensable sésame européen – le marquage CE – pour le commercialiser. Un an plus tard, patatras ! L’agrément était retiré (*). Pourquoi ? Selon nos informations, ce retrait et l’extrême frilosité des autorités sanitaires françaises seraient directement liés à l’absence de publication d’une étude clinique qui devait trancher la question de l’efficacité et évaluer le calcul médico-économique d’Hemo2life.

Lancée en juillet 2020 « pour une durée maximale de trente mois », cette étude très attendue n’a toujours pas, à ce jour, cinq ans plus tard, été publiée. Les résultats espérés devaient consacrer Hemarina et rassurer tous les acteurs du dossier. Las ! L’étude est devenue la source d’un différend manifeste entre son promoteur, le CHU de Brest, et Hemarina…

« On n’est pas à « The Voice » »

« Franck Zal a beaucoup de pistes et de projets. Mais il faut qu’il aille au terme de chaque procédure, oppose l’un de ses interlocuteurs. Chaque utilisation, chaque indication, même pour un produit déjà approuvé, doit être démontrée. C’est la règle. On n’est pas à « The Voice », quoi… »

« Il y a aussi une dimension psychologique, ajoute une autre source. On parle tout de même de sang de ver marin… Le principe de précaution est aujourd’hui, pour tous les nouveaux produits, beaucoup plus poussé… » Interrogé par nos soins, un spécialiste de la recherche clinique et de l’évaluation des thérapeutiques, le Pr Dominique Mottier, jeune retraité du CHU de Brest, insiste : « L’exigence de démonstration scientifique doit impérativement être respectée, même si les résultats isolés sont spectaculaires et très encourageants ». Impensable de passer outre après les scandales du sang contaminé, du Mediator, de l’hydroxychloroquine pour traiter le covid, etc.

« L’équivalent du prix Nobel ! Que faut-il de plus ?! »

Même le professeur nantais Pierre Perrot, dont l’équipe a sauvé, avec le pansement d’Hemarina (HEMhealing), le grand brûlé de 2023 qui, « aujourd’hui, va très bien », appelle à la mesure : « Oui, les résultats sont très positifs et enthousiasmants avec, de surcroît, une cicatrice beaucoup plus blanche et discrète. Mais ce patient jeune, sans facteur de risques, était un très bon candidat à la cicatrisation. On ne peut pas généraliser avec un seul cas. Il en faut beaucoup plus. »

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a bien demandé à Hemarina de mettre en place un essai clinique, « afin de disposer de données robustes sur ce médicament ». La startup bretonne indique la préparer.

À Morlaix, où est basée Hemarina, le maire, Jean-Paul Vermot, dit son amertume : « Le terrain pour une usine est réservé. Cela fait quinze ans qu’on accompagne la startup, et au moment où le projet devient bankable, il manque la décision finale… Cette tétanie de l’État, je n’arrive pas à l’expliquer. On a ici une biotech d’ampleur mondiale ! Toutes les cases sont cochées. Franck Zal a même reçu, fin 2023, le très prestigieux prix Galien, décerné par des sommités mondiales, pour son produit pour les greffes (HEMO2Life). C’est l’équivalent du prix Nobel pour la pharmacie ! Que faut-il de plus ? ! »

* Hemarina indique avoir formé appel de la décision de retrait et redéposé, en avril dernier, un dossier pour obtenir de nouveau cet indispensable agrément européen.