Par
Amandine Vachez
Publié le
15 juin 2025 à 7h34
Le projet est louable, sur le papier. Tout le monde est d’accord là-dessus. Mais la réalité est bien moins séduisante sur le terrain. Depuis fin 2023 à Lomme (Nord), l’association Alore traite les biodéchets pour les transformer en compost, dans l’entrepôt Les EnchanTerres, basé rue Jacquart. Les riverains décrivent « des odeurs nauséabondes, insoutenables. » En juin 2025, le ras-le-bol est trop fort, ils veulent que ce soit relayé par voie de presse. La mairie œuvre pour que le site ferme. L’association assure qu’elle cherche une solution pour quitter le site.
« Un compost n’a rien à faire au milieu d’habitations »
Fin mai 2025, un mail est arrivé à la rédaction de Lille actu. Un habitant confie son ras-le-bol. Ce père de famille n’apprécie plus les petites choses du quotidien à cause des nuisances de l’activité qui se tient dans un entrepôt tout proche de sa maison. « Chaque jour, chaque minute, l’odeur est pestilentielle, les riverains sont sans cesse embêtés par cette odeur, ne peuvent pas profiter de leur jardin, aérer leur maison… », décrit Pierre Guillaumin.
Le 11 juin, il nous attend sur place avec d’autres habitants du quartier. Une vingtaine de personnes viennent à notre rencontre et parlent de leur quotidien. Le sujet des odeurs est sur toutes les lèvres. « On n’ose même plus inviter des amis, des fois, mon potager, je n’y mets pas les pieds tellement c’est insupportable », confie un habitant. « C’est insoutenable ! », ajoute un autre. « On se sent impuissants, on a fait circuler une pétition, on a contacté la mairie, il n’y a rien à faire, ça bloque », peste une riveraine. « Un compost n’a rien à faire au milieu d’habitations ! », ajoute son voisin.
Rue Jacquart à Lomme (Nord), le site des EnchanTerres, qui composte des déchets, crée des nuisances que le voisinage ne supporte plus. ©Amandine VachezDeux écoles toutes proches, « les enfants demandent à rentrer pendant la récré »
Plusieurs des personnes rencontrées ont des enfants dans les écoles élémentaires voisines du site. « Parfois, ils n’aèrent pas les classes, tellement ça sent mauvais, les enfants demandent à rentrer pendant la récré », assure une représentante des parents d’élèves. « À chaque conseil d’école le sujet est sur le tapis. »
Une mère de famille ajoute : « Tous les matins je pose mes enfants à l’école à 8h, on a l’impression d’être dans du vomi. »
À peine contactée, Sonia Rainaud, la directrice de l’association Alore, nous a répondu. Sur les odeurs, elle entend que les relents sont « désagréables, oui. Mais ce n’est pas tous les jours, tout le temps. Il y a des moments plus pénibles que d’autres, bien sûr. Mais de là à dire que c’est ‘insoutenable’, il ne faut pas exagérer ! » Elle précise que, sur le site, on ne stocke pas de denrées alimentaires. « Les déchets arrivent [dans des camionnettes, NDLR], sont triés et déversés dans des machines à compost. »
« Ce n’est pas une poubelle à ciel ouvert. »
Sonia Rainaud, des EnchanTerres.
Des mouches et des rats dans les jardins et les maisons
Une habitante qui veut taire son nom (elle craint les représailles) vit dans l’autre rue adjacente au site, la rue Vaugirard. « Ça fait 35 ans que j’habite ici. Je n’ai jamais vu ça ! » Ce qui l’effraie particulièrement : la présence de rats. La Ville a engagé une campagne de dératisation il y a quelques semaines, mais le problème n’est pas réglé. Les habitants font avec leurs moyens pour éviter qu’ils n’entrent chez eux. Ils mettent la prolifération des rongeurs sur le compte de l’entreprise.
Sonia Rainaud remet les choses en perspective : « Des rats, il y en a malheureusement partout. A Lille, à Lomme, c’est un enfer pour tout le monde. » La mairie confirme que des campagnes sont régulièrement organisées sur la commune. « C’est malheureusement un problème récurrent dans les villes, particulièrement aux abords de friches. Et c’est bien connu, les rats adorent le compost. »
Autre sujet sensible : les mouches. Christian Elslander, qui vit rue Jacquart depuis 2014, accroche au plafond depuis deux étés des rouleaux de scotch pour attirer les mouches. « C’est dégoûtant, mais il y en a tellement que je ne sais pas quoi faire d’autre. Il n’y en a jamais eu autant. »
« Nous serons ravis de partir »
« C’est une situation extrêmement désagréable pour tout le monde », concède la directrice d’Alore. À l’accusation des riverains que l’entreprise n’est pas dans les normes au niveau des équipements et process, elle répond : « Ces propos sont évidemment mensongers. C’est, comme vous vous en doutez, une activité très réglementée. Nous avons des contrôles drastiques de l’autorité sanitaire, de l’Etat. »
« Les salariés sont tous les jours agressés, insultés. Et le week-end, des personnes s’introduisent et dégradent les locaux. »
Sonia Rainaud, directrice d’Alore.
Elle dénonce aussi de son côté des agressions verbales régulières envers les salariés, qui ont « une grande patience pour supporter ça. Nous sommes une entreprise de réinsertion, et embauchons des personnes éloignées de l’emploi. Nous faisons tout pour faciliter leur parcours. Pour eux c’est très désagréable. » Elle pointe aussi du doigt des dégradations faites sur le site : colle dans les serrures, sciage de cadenas, tuyauterie endommagée… « Pour nous, c’est devenu insoutenable. »
Elle l’assure, l’entreprise cherche à partir. « Nous serons ravis de partir, mais nous n’avons à l’heure actuelle pas de solution. » Le défi est de trouver un site adapté à l’activité, plus isolé d’habitations.
Les riverains alertent sur les nuisances créées par le site des EnchanTerres, situé à Lomme. Plusieurs habitants de la rue Jacquart (ici) et d’une autre, adjacente, nous ont confié leur ras-le-bol. ©Amandine VachezLa mairie en soutien aux riverains, mais impuissante
Le maire Olivier Caremelle n’a jamais été favorable à l‘installation de l’activité en pleine zone urbaine. On ne l’a d’ailleurs pas vu à l’inauguration des EnchanTerres. Mais il s’agit d’un terrain privé. La Ville n’a pas donc de levier pour empêcher l’activité. « On constate les désagréments. Il faut le dire, ça pue, surtout quand il fait chaud ! Il y a des rats, le déversement dans les égouts… Et la proximité avec les écoles est un vrai soucis », appuie-t-on au service communication.
Comme constaté sur le terrain, les relations sont très tendues. L’heure est plus à l’affrontement qu’au dialogue. L’association a vite compris, à regrets, qu’elle n’était pas la bienvenue dans le quartier.
La mairie estime que le « temps de se retourner » pour la structure est écoulé : le dossier a été transmis à la Ville de Lille, au service des risques naturels urbains, et auprès de la MEL et de la préfecture. L’objectif : « faire fermer le site au plus tôt pour le bien-être des habitants. »
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