Ne jamais abandonner, tel est l’état d’esprit d’Yves Wansi, « aventurier social et solidaire » atteint de trou maculaire et doté d’une résilience hors du commun. De son handicap, il en a fait une force en créant l’association Vue (d’) Ensemble. L’ambition de ce Strasbourgeois, sage mais déterminé, est sans faille… Surtout quand il s’agit de faire bouger les codes du handicap ou de porter la flamme olympique !
« La vie donne ses plus durs combats à ses plus forts soldats » : qui mieux qu’Yves Wansi pour illustrer cette citation ?
Né en 1983 au Cameroun, il a vu son enfance fortement perturbée par la découverte d’une maladie oculaire. « Au détour d’une conversation avec ma tante Solange, je lui ai dit qu’on avait tous une jambe, une main ou un oeil plus fort que l’autre. Alertée par mes propos, Solange m’a vite incité à consulter pour faire un test de vue », précise-t-il.
Yves Wansi, portant la flamme olympique. © Vue (d’) Ensemble / Document remis
On lui diagnostique alors une maladie qui se traduit par un trou maculaire bilatéral, ne lui permettant qu’une vision périphérique. Il perd très rapidement un œil, puis la vision de l’autre se dégrade car la vision centrale de cet œil encore actif devient impossible.
Aucun traitement n’est possible et une intervention chirurgicale – impraticable au Cameroun – s’avère nécessaire.
© Adrien Labit / Pokaa
Le jeune et courageux Yves stoppe dès lors sa scolarité et se rend en France en tant qu’évacué sanitaire pour y débuter ce qu’il nomme « son pèlerinage médical ». Il espère alors trouver un chirurgien susceptible de l’opérer d’une vitrectomie afin de stopper l’évolution de la perte de la macula. Il cherche aux quatre coins de la France, mais en vain… Jusqu’à cette consultation à l’Hôpital civil de Strasbourg en 2004, où un chirurgien a pu stabiliser la dégradation rapide de ses capacités oculaires après plusieurs rendez-vous.
Alors installé à Strasbourg, il s’attache vite à cette ville qu’il considère comme sa terre d’adoption et où, depuis, il vit.
1. © Anthony Jilli / Pokaa ; 2. © Coraline Lafon / Pokaa
« Le handicap est une force »
Il reprend ainsi ses études à 23 ans, entame un BTS technico-commercial suivi d’une licence pro marketing-communication avec pour rêve de travailler comme commercial dans les produits de basse vision, nouvelles technologies pour malvoyant(e)s.
Il découvre en même temps la vie professionnelle ainsi que la vie sociale et transforme son handicap en force : « Être handicapé est une chance – non pas pour bénéficier d’avantages sociaux – mais c’est une opportunité de s’autonomiser, de devenir l’entrepreneur de sa propre vie et d’acquérir une expérience de terrain. » Fort de cette découverte, il n’aura de cesse de vouloir la faire partager à d’autres personnes dans sa situation et à les faire adhérer à ce message d’espoir.
En visitant des structures pour jeunes déficient(e)s visuel(le)s dans le cadre de son stage professionnel dans l’optique, il constate que de nombreux/ses jeunes n’ont aucune activité extérieure et ne sont pas intéressé(e)s par les associations déjà implantées à Strasbourg.
« Celles-ci sont essentiellement tournées vers l’accompagnement et non vers l’action et offrent donc une vision trop misérabiliste du handicap visuel », ajoute-t-il. Passionné par l’animation depuis l’obtention de son BAFA, l’idée de créer une association réalisant des activités pour s’émanciper et s’amuser germe dans son esprit.
La naissance de l’association Vue (d’) Ensemble : de l’escalade au trek en Sibérie
La maxime de son père, qu’il fera sienne tout au long de sa vie, a fait écho en Yves en 2012 : « Il ne faut jamais regretter de ne pas avoir essayé, il faut essayer pour ne pas regretter. » Alors déterminé, Yves crée l’association Vue (d’) Ensemble avec la pianiste amblyope Caroline Sablayrolles.
« L’objectif principal est de rendre les déficients visuels acteurs de leur émancipation et de leurs aspirations. Nous voulons avant tout briser les codes et mettre la personne déficiente visuelle, qu’elle soit malvoyante ou non-voyante, en situation de pouvoir passer à l’action. »
Et comment réussir ce pari ? Tout simplement en associant non-voyant(e)s, malvoyant(e)s et voyant(e)s dans différents projets. Des actions ont ainsi pu être réalisées dans des domaines aussi variés que la mode, le cinéma, le sport, les festivals…
L‘association présidée par Yves Wansi s’active au quotidien pour militer contre la stigmatisation des personnes en situation de handicap, pour promouvoir la mixité des déficient(e)s visuel(le)s/voyant(e)s et proposer un encadrement professionnel. Elle vise également à offrir de multiples possibilités de loisirs allant des activités de cuisine à l’escalade, des dîners dans le noir au travail de sensibilisation dans les écoles.
© Vue (d’) Ensemble / Documents remis
Un des principaux leitmotivs de cette association est la lutte contre la sédentarisation. C’est ainsi que Vue (d’) Ensemble organise également des expéditions hors du commun comme un voyage dans les vallées du Kashmir ou une randonnée sur des chemins accidentés en Corse.
Cette deuxième aventure avec des binômes de voyant(e)/déficient(e) visuel(le) a débouché sur un film documentaire projeté au cinéma Odyssée (devenu Le Cosmos) en 2022.
© Vue (d’) Ensemble / Documents remis
Autre expérience insolite et spectaculaire : une traversée pendant 10 jours du lac Baïkal, en Sibérie. Parti du rêve « irréalisable » émis par Nicolas Linder, déficient visuel, ce voyage « inconcevable » réalisé avec des températures de -20°C prend forme et se réalise.
En 2017, des équipes composées de voyant(e)s et de déficient(e)s visuel(le)s ont mélangé leurs compétences sur la banquise où seules étaient visibles d’immenses étendues de glace et de neige dans un paysage monotone et monochrome.
Cette aventure a donné lieu à un film documentaire réalisé de manière professionnelle, présenté dans de nombreux festivals et triplement primé.
© Vue (d’) Ensemble / Documents remis
Entendez-Voir : un festival incontournable conçu avec le comédien Achille Gwem
Constatant que le documentaire réalisé en Sibérie était le seul audiodécrit et sous-titré lors des différents festivals, Yves décide d’organiser un événement permettant de rendre la culture – sous toutes ses formes – accessible à toutes et tous, handicapé(e)s ou non. C’est ainsi qu’est né le festival Entendez-Voir, co-organisé avec le comédien et directeur artistique Achille Gwem en 2019.
« Nous avions à coeur de proposer des actions festives autour du handicap et de faire un pied de nez à celui-ci. Pouvoir dire « Je suis handicapé et je peux ». »
1. Achille Gwem, 2. Yves Wansi et Achille Gwem lors du festival Entendez-Voir. © Vue (d’) Ensemble / Documents remis
En 2025, pour cette 7e édition, le festival se déroulera dans plusieurs endroits insolites, comme le Planétarium, le cinéma VOX, le Musée Tomi Ungerer, mais également dans des endroits plus classiques comme la place Kléber. Le but est de sensibiliser le public à toutes sortes de handicaps avec pour thème « La BD, l’illustration et l’animation : les arts visuels accessibles à tous ».
Pour en profiter, Yves nous donne rendez-vous du 24 au 29 juin !
© Vue (d’) Ensemble / Documents remis
Avec l’appui du désormais incontournable Achille est également née la première édition du festival Les Rencardes qui, le 26 avril 2025, a permis aux personnes handicapées de dévoiler leurs talents cachés et leurs savoir-faire à travers la danse, le chant ou encore le théâtre. La scène leur a été ouverte car « il faut utiliser son handicap comme une force, ça peut être une valeur ajoutée au projet », explique Yves.
Jamais à cout d’idées pour innover, un projet hors norme intitulé « Art vivant » est en préparation pour la rentrée : « Tous les mardis soirs nous nous retrouverons, voyants, malvoyants et non-voyants, pour une initiation au théâtre dans le but de créer une troupe, tout le monde est le bienvenu ! », déclare-t-il, enthousiaste.
Le festival Les Rencardes a été une grande réussite. © Vue (d’) Ensemble / Documents remis
Porteur d’un message d’espoir… et de la flamme olympique !
Yves Wansi, qui se définit comme un aventurier social et solidaire, est devenu une référence sur les sujets d’inclusion en France et dans les pays francophones. Milieux associatifs, médicaux et autres commencent à suivre ses activités, l’association étant reconnue comme centre de ressources.
Devenu au fil du temps, et des événements, conférencier, formateur, créateur de podcasts, accompagnateur de déficient(e)s visuel(le)s, Yves Wansi s’emploie à partager et à développer des actions avec pour mantra : « J’ose, je tente, je teste et j’encourage à oser, tenter, tester ».
© Yves Wansi / Document remis
Il tient surtout à diffuser un message fort, dans les médias mais aussi à la Ville de Strasbourg : il faut co-construire, partager et développer des actions réunissant personnes valides et handicapées, que leur handicap soit physique ou psychique.
D’ailleurs, les femmes en situation de handicap viennent d’être mises en lumière avec Strasbourg-Elles, un film d’une trentaine de minutes réalisé par Achille et Yves. Il est actuellement projeté dans de nombreux établissements scolaires de l’Eurométropole et est actuellement en compétition dans un festival.
Ce message d’inclusion a été entendu par la Ville qui a « estomaqué » Yves en lui proposant d’être porteur de la flamme olympique, en juin 2024.
Yves n’en revient toujours pas d’avoir eu la chance d’être choisi alors même qu’il n’avait pas candidaté. Ce passage de relais de la flamme, il l’a vécu comme un événement extraordinaire et un merveilleux message délivré à toutes les personnes en situation de handicap: « On peut avoir un handicap, mais on peut changer les règles du jeu. Je ne suis pas le meilleur, mais j’ai montré que tout est possible, et que mes projets peuvent changer la société. »
1. © Pokaa ; 2. 3. © Vue (d’) Ensemble / Documents remis
Ainsi a-t-il créé Dv Lancez-Vous, un cabinet de conseil et d’accompagnement social et solidaire, pour donner de la visibilité aux personnes malvoyantes, non-voyantes ou dys, tout en créant du lien social entre personnes handicapées et valides. Avec un objectif : faire passer le message que « quel que soit votre handicap, il y a de quoi faire, alors Lancez-Vous ».
S’il considère que la société n’offre pas beaucoup de possibilités aux personnes handicapées, il prône sa chance d’être polyvalent : « Il faut créer ses solutions soi-même. » Si vous avez besoin d’aide pour créer les vôtres, n’hésitez pas à contacter cet homme passionné et passionnant !
Le plus important n’est pas de posséder les meilleures cartes, mais de jouer au mieux celles qu’on a entre ses mains.
Yves Wansi
Le site web de Vue (d’) Ensemble
Le festival Entendez-Voir