Relations Suisse-UE –
L’accord sur l’électricité fait disjoncter les socialistes
Pierre-Yves Maillard et Eric Nussbaumer s’affrontent publiquement au sujet des négociations avec Bruxelles. Le premier craint une catastrophe écologique, le second y voit une opportunité historique.
Publié aujourd’hui à 13h58
Le courant ne passe plus entre Pierre-Yves Maillard et Eric Nussbaumer.
DR
Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.BotTalkEn bref:
- Eric Nussbaumer (PS/BL) se sent provoqué par Pierre-Yves Maillard (PS/VD).
- Le Bâlois estime que l’accord sur l’électricité avec l’UE est extrêmement important.
- Le patron des syndicats, en revanche, s’y oppose et met en garde contre les black-out.
Cette semaine, la tension était palpable sur X. Le conseiller national Eric Nussbaumer (PS/BL), politicien chevronné dans le domaine de l’énergie, y a vivement critiqué certains membres de son parti: «C’est effrayant ce qui se raconte à l’extrême gauche de la social-démocratie. C’est une combinaison d’ignorance en matière d’économie énergétique et de mauvaise foi pour dénigrer le projet européen.»
Eric Nussbaumer est un ardent défenseur de l’Union européenne (UE). Au sein du Parti socialiste (PS), il constitue une force motrice pour un rapprochement entre la Suisse et l’UE. Il préside également le Mouvement européen Suisse, dont l’objectif est l’adhésion de la Suisse à l’UE. Sa récente colère exprimée en ligne visait directement son collègue de parti Pierre-Yves Maillard, à la tête de l’Union syndicale suisse (USS).
Le conseiller aux États vaudois, eurosceptique et syndicaliste dans l’âme, avait précédemment critiqué l’accord sur l’électricité négocié par le Conseil fédéral avec l’UE. Le chef des syndicats a particulièrement ciblé les «milieux écologiques» qui soutiennent cet accord. Sa critique visait – sans qu’il ne mentionne de noms – notamment son collègue de parti Eric Nussbaumer. Ce dernier compte en effet parmi les défenseurs les plus ardents de cet accord. Le Bâlois s’est manifestement senti visé par les propos de Pierre-Yves Maillard.
Fossé dans le camp de gauche
La querelle entre ces deux figures socialistes révèle une scission au sein du parti sur la question européenne, du moins concernant l’accord sur l’électricité. Les deux protagonistes défendent leurs convictions avec passion: Pierre-Yves Maillard défend les citoyens ordinaires, tandis qu’Eric Nussbaumer se bat pour l’environnement et l’idéal européen.
Tous deux ne font pas cavalier seul. Ils dirigent chacun un camp au sein de leur parti. Derrière Pierre-Yves Maillard, on trouve avant tout des conseillers nationaux issus du monde syndical comme Benoît Gaillard (PS/VD), David Roth (PS/LU) et Martine Docourt (PS/NE), mais également l’ex-présentateur de télévision Ueli Schmezer (PS/BE).
L’accord sur l’électricité négocié entre Berne et Bruxelles prévoit l’intégration de la Suisse au marché européen de l’électricité, renforçant sa sécurité d’approvisionnement. Principale nouveauté pour les consommatrices et consommateurs: tous les ménages pourront choisir librement leur fournisseur d’électricité au lieu d’être assignés à un distributeur local. Ceux qui préfèrent ne pas choisir resteront dans un système d’approvisionnement de base régulé. Ceux qui optent pour un opérateur privé mais souhaitent revenir après coup dans le système régulé devront respecter un délai d’attente ou s’acquitter de frais.
Cet accord ne fait pas partie du paquet d’accords principal signé avec l’Union européenne, destiné à stabiliser les relations bilatérales. Il vise à développer les relations avec l’UE, tout comme deux autres accords concernant la sécurité des denrées alimentaires et la santé. L’ensemble est soumis au référendum facultatif sous la forme de quatre arrêtés fédéraux distincts, a indiqué vendredi le Conseil fédéral.
Des mesures d’accompagnement spécifiques sont prévues dans les domaines de la protection des salaires, de l’immigration, des transports terrestres et de l’électricité. Le parlement devrait se saisir du dossier au début 2026. Les débats s’annoncent tendus, les opposants – UDC en tête – fustigeant haut et fort un «traité de soumission à l’UE». AGR
La plupart des spécialistes en énergie du Parti socialiste devraient en revanche soutenir Eric Nussbaumer. Le conseiller national Jon Pult (PS/GR) a déjà discrètement manifesté son appui au camp Nussbaumer. Cette semaine, l’élue Gabriela Suter (PS/AG) a également apporté son soutien à Eric Nussbaumer dans un article d’opinion publié par nos confrères du «Tages-Anzeiger». Elle a notamment qualifié les arguments de Pierre-Yves Maillard de «bêtises».
On peut supposer que les récents échanges animés n’étaient que le prélude d’un conflit plus conséquent au sein du PS.
La crainte de Pierre-Yves Maillard
Tout comme Eric Nussbaumer, Pierre-Yves Maillard dispose lui aussi d’un sens aigu de la répartie. La semaine dernière, il a provoqué le Bâlois en qualifiant l’accord sur l’électricité de «catastrophe écologique». Le Vaudois reproche aux membres de son propre parti de freiner la transition énergétique en appuyant cet accord. Il les tient même indirectement responsables du risque que, dans le pire scénario, on doive recourir à nouveau à la production d’électricité à partir de gaz, de pétrole ou même de charbon – une conséquence du manque d’investissements des fournisseurs dans les énergies renouvelables.
Pierre-Yves Maillard voit les choses ainsi: l’accord sur l’électricité obligerait la Suisse à ouvrir le marché aux ménages privés. Sans garantie de vente, les producteurs suisses hésiteraient alors à investir dans les énergies renouvelables, notamment l’hydroélectricité. Selon le patron des syndicats, cette situation représente non seulement un désastre écologique, mais entraînerait aussi une instabilité des prix et un risque accru de panne généralisée.
Pour Pierre Yves-Maillard, l’accord sur l’électricité pourrait freiner les investissements dans les énergies renouvelables, notamment l’hydroélectricité (ici l’aménagement à accumulation et de pompage-turbinage des Forces Motrices Hongrin-Léman SA, en juin 2021).
Chantal Dervey
Mais selon Eric Nussbaumer, cette argumentation est «tout simplement fausse et trompeuse». Selon lui, l’accord représente «une chance unique». La Suisse négocierait depuis quinze ans avec l’UE pour obtenir un accord stable sur l’électricité. L’ancienne ministre de l’Énergie Doris Leuthard aurait tenté sans succès de conclure une telle entente. Aujourd’hui, on serait enfin parvenu à négocier un «contrat extrêmement avantageux».
«L’accord sur l’électricité a pris en compte toutes les préoccupations importantes de la Suisse», estime Eric Nussbaumer. Cet accord permettrait à la Suisse d’assurer un approvisionnement électrique fiable et durable. Selon le conseiller national bâlois, la Suisse pourra continuer à subventionner la construction de nouvelles centrales utilisant des énergies renouvelables. Il n’y aurait donc pas de risque de pénurie d’infrastructures. «On a le droit d’avoir une opinion différente, mais il ne faut pas affirmer des choses qui ne sont pas vraies», conclut-il.
Traduit de l’allemand par Olivia Beuchat
Mischa Aebi est rédacteur au Palais fédéral pour la «SonntagsZeitung». Auparavant, il a travaillé comme journaliste à la rubrique Suisse de la «Berner Zeitung». Avant de devenir journaliste, il a notamment enseigné les mathématiques et la physique à l’école professionnelle de Berne.Plus d’infos@mischa_aebi
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
0 commentaires