Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale.

Pol Jimenez, figure montante de la jeune génération catalane, présente Lo Faunal en ouverture du Festival de Marseille, lequel, comme lui, a 30 ans cette année. Il incarne, à sa façon, le faune créé par Nijinski (1889-1950). C’est au centre
de la Vieille-Charité qu’évolue son corps d’éphèbe, gainé dans une camisole de blanche. À ses mollets, d’incongrus porte-chaussettes ne parviennent pas à l’enlaidir.

Il joue de castagnettes qui claquent comme les sabots d’un cheval. Ce faune à contre-emploi, à la barbe noire et aux yeux clairs, enroule son corps autour de multiples sons divers (musique de Jaume Clotet), dont ceux des castagnettes, aussi noires qu’était blanche l’écharpe de la nymphe sur qui se couchait le faune originel.

Une danse loin des canons classiques

Jimenez se chevauche lui-même, en somme, dans un frémissement de tout l’être. Le mouvement, à fort potentiel d’animalité, puise ses racines dans la danse espagnole revisitée, boléro, flamenco, jusqu’à la ligne classique et bondissante. Loin de Nijinski de profil, Jimenez invente une autre grammaire.

Dans l’Onde (2021), Nacera Belaza (née en Algérie, en France depuis ses 5 ans) plongeait ses interprètes dans l’obscurité, n’en laissant voir que le cou et les mains. Pour la Nupoée, ils sont dix en tenue noire dans la pénombre. Ils s’imposent une lancinante rotation du bassin et des épaules. Ils tournent bientôt à vive allure, formant un grand cercle de vitesse où l’on distingue à peine les visages et les corps, formant ainsi une cohorte de fantômes s’effaçant en fond de scène pour mieux revenir.

Des sonorités de tambours et des cris jaillissent de cette muraille de nuit où la lumière s’éteint, puis se rallume. Nacera Belaza a eu l’idée de la Nuée en 2022, dans le Minnesota, lors d’un pow-wow, rassemblement en pleine nature de centaines de personnes autour d’un cercle gigantesque. Outre la rotation, on note, au milieu de bonds successifs, un haussement du col discret comme la respiration.

Quand 80 habitants du quartier de la Belle de Mai font scène commune

Le geste tend vers le haut. Le groupe se resserre autour du rythme vertical, tandis qu’un corps dissident, brûlant ses réserves, retourne au mouvement rotatif. Les visions hallucinées de Nacera Belaza font une trouée de mouvement dans l’abîme du temps.

Avec Mère(s) (d’après la pièce de Brecht, inspirée du roman de Gorki), l’Organon Art Cie implantée à Marseille, animée par Valérie Trebor et Fabien-Aissa Busetta, propose un vrai théâtre d’agit-prop avec les habitants du quartier de la Belle de Mai. Ils sont 80 sur scène, de 5 à 74 ans, dont une trentaine de musiciens dirigés par Vincent Beer-Demander, Aurélien Desclozeaux étant en charge des parties dansées.

En près de deux heures, ils tiennent le public en haleine à l’aide de chants, d’une vaste collecte de récits forts et l’énergie belle d’enfants et d’adolescents, afin que s’impose la figure de la mère, trop volontiers dépolitisée, « récupérée, malmenée », qui soudain, comme chez Brecht, s’émancipe.

 Jusqu’au 6 juillet. Rens. : 04 91 99 00 20. www.festivaldemarseille.com

Au plus près de celles et ceux qui créent

L’Humanité a toujours revendiqué l’idée que la culture n’est pas une marchandise, qu’elle est une condition de la vie politique et de l’émancipation humaine.

Face à des politiques culturelles libérales, qui fragilisent le service public de la culture, le journal rend compte de la résistance des créateurs et de tous les personnels de la culture, mais aussi des solidarités du public.

Les partis pris insolites, audacieux, singuliers sont la marque de fabrique des pages culture du journal. Nos journalistes explorent les coulisses du monde de la culture et la genèse des œuvres qui font et bousculent l’actualité.

Aidez-nous à défendre une idée ambitieuse de la culture !
Je veux en savoir plus !