L’État vient investir 50 millions d’euros dans la relance et le capital de Chapelle Darblay [une papeterie fermée en 2019, ndlr]. Est-ce une bonne façon d’utiliser des fonds publics ?
Ce qui est bien, c’est que l’Etat le fait avec discernement. Il n’a pas voulu le faire sur Vencorex, ni pour ArcelorMittal. Historiquement, l’Etat a déjà volé à la rescousse de Chapelle Darblay. Il faut un Etat agile et pragmatique. L’État doit aussi savoir faire respirer son portefeuille de participations et céder certaines participations non stratégiques.
Le gouvernement cherche 40 milliards d’euros pour boucler le budget 2026. Croyez-vous à la promesse d’Éric Lombard, qui assure qu’il n’y aura pas de hausse des impôts ?
Je suis interrogatif. L’effort sur les dépenses courantes doit porter sur la sphère publique et ne pas affecter, de nouveau, les entreprises. Malheureusement, ce que j’avais dénoncé au moment du vote du budget 2025 se confirme : nous avons une croissance atone, un investissement en berne et un début de destruction d’emplois dans le secteur privé marchand. Je suis surtout frappé par le décrochage qui s’amplifie par rapport à nos voisins européens, pourtant soumis aux mêmes règles européennes. La croissance française devrait être proche de 0,6% cette année, alors que l’Espagne approche les 3% et la Pologne est à 3,5%. Et le redémarrage de l’Allemagne est impressionnant.
Percevez-vous déjà ce redémarrage ?
Au premier trimestre, la croissance allemande a été quatre fois plus forte que celle de la France, à +0,4%. La chimie européenne reste en souffrance, mais des acteurs du secteur disent que les commandes s’accélèrent vers l’Allemagne. Et le programme de relance de la coalition de Friedrich Merz est impressionnant : il prévoit de baisser à 10% le taux de l’impôt des sociétés, d’instaurer un amortissement accéléré sur les investissements, des exonérations d’impôts et de charges sur les heures supplémentaires… L’Allemagne est en train de se renforcer avec une politique de l’offre, de l’attractivité et de la compétitivité. Elle y consacre 46 milliards d’euros. Elle en a, certes, les moyens budgétaires. Nous devons être attentifs à ne pas décrocher, tout en prenant en compte la dangerosité de l’état des finances publiques françaises.
Le gouvernement veut s’attaquer aux niches fiscales. Raboter le crédit impôt recherche serait une ligne rouge ?
Nous sommes favorables à un grand «reset» sur la fiscalité et les charges sociales, mais il ne faut pas jouer sur les mots : une réduction de niches fiscales, c’est en fait et réellement une augmentation d’impôts. Le crédit d’impôt recherche a déjà été sérieusement écorné en 2025. J’observe que le gouvernement a reculé sur d’autres dispositifs fiscaux qu’il envisageait de réduire, en particulier la TVA sur les micro-entrepreneurs. Il ne faut pas qu’il y ait deux poids, deux mesures. Pour revenir à l’Allemagne, la nouvelle coalition prévoit un renforcement du crédit d’impôt pour la recherche. Nos débats franco-français ne prennent pas compte la réalité du monde !
Craignez-vous un retour en arrière sur le pacte Dutreil ?
À deux reprises, mon entreprise aurait dû être vendue s’il n’y avait pas eu le pacte Dutreil. Je sais donc de quoi je parle. Il y a une hypersensibilité des actionnaires patrimoniaux à tout ce qui touche à la fiscalité du patrimoine. Il a pu y avoir un certain nombre d’utilisations extensives du pacte Dutreil. Mais au motif de faire des économies budgétaires immédiates, on risque de déstabiliser tout un écosystème d’entreprises patrimoniales.
Relancer le débat autour de la TVA sociale vous semble-t-il une bonne idée?
57 milliards d’euros de TVA servent déjà à financer la protection sociale. Je suis un peu surpris que certains s’opposent à ce qui existe déjà.
Le premier avantage de la TVA sociale, c’est de permettre aux entreprises de gagner en compétitivité. Le deuxième, c’est d’améliorer les salaires nets des salariés. L’Etat est par ailleurs doublement bénéficiaire : si les résultats des entreprises s’améliorent, il percevra plus d’impôt sur les sociétés et la mesure aurait un effet mécanique sur les allègements de charges. Je souhaite qu’on engage la discussion, avec les organisations syndicales et l’Etat, sur le partage des gains. 57 milliards d’euros de TVA servent déjà à financer la protection sociale. Je suis un peu surpris que certains s’opposent à ce qui existe déjà. Il ne faut pas se laisser enfermer dans un débat idéologique. Ce qui importe, c’est que les gains en salaire net permettent a minima de compenser une éventuelle augmentation de l’inflation ponctuellement provoquée par cette TVA.
Vous croyez que le débat peut aboutir ?
Le moment serait d’ailleurs plutôt bien choisi, car l’inflation est retombée à un niveau bas, proche de 0,7%. Mais on entend une autre musique qui consisterait à instaurer une TVA sociale uniquement pour combler les déficits. Ce serait clairement une ligne rouge pour nous car cela voudrait dire zéro gain pour la compétitivité et les salaires. J’ai été un peu déçu que la CFDT s’oppose à cette TVA sociale. Mais il existe une prise de conscience collective chez les partenaires sociaux que le modèle social est à bout de souffle. La seule solution que nous n’accepterons jamais, c’est une hausse des cotisations, y compris des salariés.
Peut-on atteindre les 40 milliards d’euros d’économies sans travailler plus, c’est-à-dire en levant le verrou des 35 heures ?
Non ! C’est mon côté marxiste : il y a le capital et le travail. On a un vrai problème de capital et il est impératif, en France, d’assurer une meilleure rentabilité des capitaux investis. Mais il faut résorber les poches d’inactivité. Nous avons déjà fait 14 propositions sur l’orientation des jeunes, qui ont inspiré, je crois, la ministre de l’Eduction Elisabeth Borne. Nous allons être beaucoup plus offensifs sur la réforme des lycées professionnels, l’accueil des stagiaires. Il faut tendre la main aux jeunes ! Y compris dans nos rangs, tout le monde n’est pas suffisamment au rendez-vous. A l’autre extrémité de la pyramide des âges, nous avons signé un accord important en novembre dernier, repris dans la loi. Et bien sûr, pour augmenter le taux d’emploi des seniors, il y a les règles de la retraite…
A quoi a servi ce conclave sur les retraites qui doit se conclure le 17 juin ?
J’ai dit dès le début que rouvrir ce débat me paraissait inapproprié. Beaucoup de nos concitoyens, même ceux qui étaient mécontents, avaient tourné la page. La réforme des retraites est devenue le symbole de la capacité qu’a la France à se réformer ou pas pour les investisseurs étrangers. Envoyer un signal contraire à ceux qui détiennent la moitié des 3300 milliards d’euros de dette de la France, c’est prendre un risque considérable. Ce serait aussi un mauvais signal pour nos concitoyens. On ne peut pas dire qu’il faut travailler plus, et de l’autre côté signifier qu’on peut travailler moins.
Vous avez proposé de réintroduire dans le compte pénibilité les trois critères retirés en 2017. C’est inattendu, alors que le Medef s’est beaucoup battu contre ces critères…
C’est vous dire si on est constructif ! Cette proposition a fait l’objet de débats très approfondis dans nos rangs, parce qu’effectivement ce n’était pas jusque-là notre position. Elle a été validée à l’unanimité ! Ce qu’on propose sur la pénibilité, ce n’est pas la restauration de l’usine à gaz paperassière qui a existé à une époque. Si cette mesure est retenue, elle améliorera la prévention, les reconversions et donc permettra de rester en emploi dans de meilleures conditions. Nous avons par ailleurs proposé des avancées sur les invalidités et les carrières des femmes. On a vraiment fait un pas considérable. J’espère que les syndicats qui sont encore autour de la table du conclave l’apprécieront ainsi.
Ce qu’on propose sur la pénibilité, ce n’est pas la restauration de l’usine à gaz paperassière qui a existé à une époque.
Un an après la dissolution, l’immobilisme politique pèse-t-il sur les entreprises ?
Difficile de faire la part des choses entre les conséquences de la dissolution de ce qui résulte des annonces intempestives de Donald Trump et de l’accélération de l’offensive commerciale chinoise. En tant qu’entrepreneur, je confirme que j’ai suspendu des décisions d’investissement et de recrutement.
Emmanuel Macron veut enterrer la directive sur le devoir de vigilance au niveau européen. N’y a pas un risque pour les entreprises françaises d’être désavantagées par rapport à leurs concurrents?
Oui et c’est notamment le raisonnement d’Éric Lombard, le ministre de l’Economie. L’alternative serait que la directive européenne s’aligne sur la législation française, ce que l’Allemagne et l’Italie ne veulent pas. Donc, nous sommes favorables à son annulation pure et simple. Je l’ai redit à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission lorsque je l’ai rencontré début juin et mes homologues du BDI allemand et de la Confindustria étaient sur la même ligne. Dans mon entreprise, je ne pourrais plus continuer à travailler en Afrique ou au Moyen-Orient avec cette directive, car je suis incapable de garantir de bonne foi que les standards européens sont respectés par tous nos partenaires.
L’Europe est toujours sous la menace de droits de douane américains en juillet. Avez-vous l’impression qu’elle prépare une riposte adaptée ?
Dans ce type de négociation, il y a du bluff et de la dissimulation. La stratégie de l’Europe consiste plutôt à ne pas réagir aux provocations et à s’armer à bas bruit. Je pense que c’est la bonne méthode. Notre meilleur allié dans cette affaire, ce sont les Américains eux-mêmes, qui risquent une hausse de l’inflation, une déstabilisation des marchés financiers, des tensions sur le marché de l’emploi… C’est une vue de l’esprit d’imaginer rapatrier aux Etats-Unis tout ce qui vient d’Europe, du Mexique ou du Canada. Ce qui me rassure, c’est que les Américains ne peuvent pas se passer du marché européen. Je pense que nous trouverons un accord.
Propos recueillis par Cécile Maillard, Solène Davesne et Emmanuel Duteil