Cette semaine, nous accueillons Luuk van Middelaar, philosophe et historien néerlandais, ancien conseiller du Conseil européen et à la tête du think tank Brussels Institute for Geopolitics. Face à la menace russe et à l’hostilité des États-Unis envers l’Union européenne, il commente les défis majeurs que les Vingt-Sept doivent relever.
Cette semaine, Donald Trump a annoncé qu’il suspendait pour 90 jours une salve de droits de douane « réciproques » qu’il avait dévoilée une semaine plus tôt à l’encontre de dizaines de pays, dont les États membres de l’Union européenne (UE). Le président américain maintient cependant une surtaxe générale à l’importation de 10%. « Aujourd’hui, nous ne savons plus très bien si ces droits de douane ont pour but de négocier de meilleurs accords avec les partenaires commerciaux des États-Unis ou s’ils sont destinés à rester à long terme », explique Luuk van Middelaar.
En revanche, l’administration américaine porte à 125% les droits de douane contre les produits en provenance de Chine. « Il y a une intensification de la guerre commerciale avec la Chine et un apaisement avec tous les autres. La vraie obsession des Américains, c’est l’émergence de la Chine comme rival stratégique, qui risque de prendre la première place dans le monde au niveau économique, stratégique et militaire », détaille Luuk van Middelaar, également ancien conseiller du premier président du Conseil européen. « Les États-Unis veulent se repositionner dans cette rivalité stratégique avec la Chine et pour cela, ils sont prêts à tout détruire, même l’ordre mondial qu’ils ont construit. »
« Ce qui est en jeu, c’est l’avenir du continent européen »
Au chapitre de la guerre en Ukraine, les États-Unis mènent des négociations avec la Russie, sans inclure les Européens. Une stratégie que déplore le directeur du think tank Brussels Institute for Geopolitics : « Ce qui est en jeu dans ces négociations entre Américains et Russes, c’est l’avenir du continent européen. Il s’agit également de l’Ukraine qui est le premier concerné, mais plus largement, il en va de l’architecture de sécurité du continent européen. »
Il qualifie d’« humiliant » le fait que l’UE ne soit pas à la table des discussions. « Trump et Poutine préfèrent traiter de grande puissance à grande puissance, voire d’homme à homme », pense Luuk van Middelaar. S’il salue les récentes initiatives menées par Emmanuel Macron pour réunir une « coalition de volontaires », il martèle que les Européens doivent « s’organiser ».
« Un vrai effort au niveau de l’UE »
Il reconnaît la nécessité d’un renforcement de la défense européenne : « Trump met un terme à une période de 80 ans pendant lesquels les États-Unis nous ont protégés en Europe : il faut s’armer, savoir mieux se défendre en tant qu’Européens. » Au chapitre du financement, il reconnaît « un vrai effort au niveau de l’UE », se référant au plan de la Commission européenne baptisé « réarmer l’Europe » qui ambitionne de mobiliser près de 800 milliards d’euros pour sa défense et fournir une aide immédiate à l’Ukraine. En ce qui concerne le possible envoi de militaires en Ukraine en cas de cessez-le-feu, il explique que les décisions ne relèvent pas que des Vingt-Sept mais d’une « coalition de pays » comme le Royaume-Uni ou le Canada.
Dans son pays, les Pays-Bas particulièrement rigoristes, le premier ministre Dick Schoof a essuyé un vote négatif pour une rallonge budgétaire « Ream Europe » : « Les Pays-Bas ne sont pas toujours les partenaires les plus constructifs à ce sujet, mais ils ont finalement voté pour », explique le philosophe et écrivain néerlandais. « Les Pays-Bas sont très actifs dans le soutien à l’Ukraine et ont donné beaucoup d’argent en bilatéral », tempère-t-il. « Les Pays-Bas ne sont pas des grands fans des emprunts collectifs, mais une fois que l’Allemagne changera de position, je pense qu’ils suivront le mouvement. »
En effet, en Allemagne, la nouvelle coalition de Friedrich Merz a voté un plan de dépense de 500 milliards pour investir dans les infrastructures du pays et a l’intention d’investir massivement dans la défense. « Face au double choc de Poutine et de Trump qui nous tombent dessus, Friedrich Merz saisit l’occasion pour changer de ligne. C’est peut-être l’une des décisions les plus importantes qui ont été prises cette année au niveau européen », explique Luuk van Middelaar. « Il ne faut pas sous-estimer l’effet que cela peut avoir, car l’argent qui est investi en Allemagne aura un effet sur tous les voisins, y compris la France », conclut-il.