Journaliste et critique de cinéma à la RTS, Rafael Wolf publie un deuxième roman, « L’ombre d’une faille », qui allie au récit catastrophe les intrigues intimes et politiques d’une série de personnages confrontés à une crise climatique sans précédent. 

Elle en sait des choses, depuis qu’elle est là. Elle, c’est Kernel, presqu’île fictive cernée par la mer en furie. Dès le prologue, c’est son récit qu’on découvre, parole d’un petit bout de terre témoin du drame à venir.

Critique de cinéma à la RTS, Rafael Wolf lorgne ici du côté du théâtre. Son île est une scène où s’ébattent, face à la tempête, une poignée de personnages à l’agitation dérisoire. Dans « L’ombre d’une faille », son deuxième roman, la vanité des querelles humaines se déploie de manière impitoyable sous l’œil omniscient, tour à tour sarcastique ou empathique, d’une île-narratrice chahutée par le changement climatique.

Ce qui m’intéressait, c’était ce point de vue double, quelque chose d’impossible à restituer au cinéma: être à la fois dans un point de vue subjectif et objectif. C’est un des bonheurs que peut m’offrir la littérature.

Rafael Wolf, auteur de « L’ombre d’une faille »

Maire de Kernel, Pénélope Bloch doit faire face au plus grand défi de sa carrière: partout dans le monde alentour, l’eau monte, et des vagues gigantesques menacent d’anéantir sa ville. L’édile prend alors la décision d’ériger une gigantesque digue de béton, rencontrant les résistances d’une partie de la population, toute affairée à démontrer que l’imminence du danger ne serait que fake news.

Une satire mordante

A travers les destins croisés d’une dizaine de personnages, Rafael Wolf livre une satire mordante de notre époque, prise à la gorge par des menaces que préfère ignorer une part importante de la population. Du polémiste de gauche à l’influenceur d’extrême-droite, de la journaliste ambitieuse au gourou stellaire, de l’enseignante, adepte des théories du complot, à l’entrepreneur « cancellé », toutes et tous jouent leur partition orgueilleuse, comme autant de micro-organismes s’agitant dans le confinement d’une boîte de Petri. Jusqu’à ce que la température monte…

Ce que j’essaye de te dire, c’est qu’en dépit de toutes les digues que l’on pourra construire, il y aura toujours une faille, une petite fissure, une minuscule brèche qui nous rappellera que notre fantasme de sécurité absolue n’est que ça: un fantasme. Et quand bien même aucune faille n’apparaîtrait, nous ferions en sorte de l’imaginer, parce que l’absence complète de danger est inconcevable pour l’être humain.

Extrait de « L’ombre d’une faille » de Rafael Wolf

Un jour, une faille apparaît au cœur du barrage marin, et le petit monde de Kernel se fissure, conduisant ses habitants à des décisions radicales. Récit-catastrophe, le deuxième roman de Rafael Wolf n’a pourtant rien d’une dystopie dépressive. Né dans une ère où la perspective d’une apocalypse nucléaire était dans tous les esprits, l’auteur genevois constate, à travers la voix mi-ironique, mi-optimiste de sa narratrice: « Une autre aptitude dont vous faites preuve, bien plus que n’importe quelle espèce animale, tient à votre capacité d’adaptation. Vous vous habituez à tout, même au pire. »

Menée avec un sens du crescendo remarquablement maîtrisé, la fable n’offre ainsi pas à l’humanité le seul spectacle de sa dévastation programmée. Le monde d’après est toujours à venir, ouvrant aux survivants un faisceau de possibilités… d’une île.

Nicolas Julliard/mh

Rafael Wolf, « L’ombre d’une faille », ed. Favre, mai 2025.

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