Concevoir sans imposer, expérimenter avant d’installer. Voilà l’esprit qui anime l’aménagement transitoire en cours sur la place Sébastopol, dans le 4e arrondissement de Marseille. Piloté par l’agence Les Marsiens aux côtés de la Ville, ce projet « pilote » repose sur un processus itératif mêlant concertation citoyenne, test de mobilier, et observation des usages réels.
Au cœur de cette démarche, Margot Fressard, architecte designer, défend une manière plus souple et plus humaine de penser la ville. Elle revient ici sur les étapes du projet, les apprentissages de terrain, les critiques entendues… et les sourires observés.
TPBM : Pouvez-vous vous présenter ainsi que la structure ou le groupement que vous représentez ?
Margot Fressard : Nous concevons du mobilier pour les espaces accueillant du public, et cela peut prendre des formes très variées. Cela va de petits objets pensés pour des musées jusqu’au mobilier urbain destiné à aménager l’espace public. On travaille ainsi sur une large palette d’échelles, en fonction des lieux et des usages.
Nous sommes trois au sein des Marsiens. J’ai suivi une formation en architecture, que j’ai complétée par un CAP en ébénisterie. Mes deux associés, quant à eux, sont passés par les Beaux-Arts, en section design. Ce qui nous réunit, c’est cette double compétence : nous sommes à la fois concepteurs et réalisateurs.
Pourquoi avoir fait le choix d’un mobilier modulable pour cet aménagement transitoire ?
L’objectif, c’est de pouvoir tester. Voir ce qui fonctionne, et ce qui fonctionne moins. C’est tout le principe d’un aménagement transitoire : explorer différentes configurations, observer les usages, ajuster.
Pour cela, il nous fallait un mobilier entièrement modulable. Nous avons donc conçu un module avec une base en béton d’argile bas carbone, réalisé sur mesure. Il est adapté au passage de palettes via transpalette, ce qui permet de déplacer facilement les éléments et de reconfigurer l’espace selon les retours ou les besoins.
© Ville de Marseille – Des éléments modulables qui permettent de reconfigurer l’espace selon les retours ou les besoins.
Les tests sont effectués sur deux ans ?
Oui, l’expérimentation est prévue sur deux ans. Nous avons déjà mis en place une première configuration, puis une deuxième, actuellement en place. Ces dispositions ne sortent pas de nulle part : elles s’appuient sur le travail de concertation mené en amont par la Ville de Marseille, accompagnée d’une assistance à maîtrise d’ouvrage.
Lors de ces ateliers, des groupes d’habitants ont imaginé des scénarios d’aménagement pour la place dans son ensemble. Nous nous sommes appuyés sur ces propositions pour concevoir les différentes configurations de l’aménagement transitoire. L’idée était de traduire certains axes forts issus de ces scénarios citoyens, et de les tester concrètement.
Nous envisageons une troisième configuration, qui synthétisera ce que les deux premières auront permis d’apprendre, en reprenant les éléments les plus pertinents et les mieux accueillis.
Quel usage en faites-vous pour l’instant ?
Pour nous, c’est extrêmement gratifiant. On a passé plusieurs semaines sur le chantier, présents quasiment tous les jours. Dès l’installation des premiers éléments, on a pu constater une appropriation spontanée par le public. C’est particulièrement frappant en fin de journée, à la sortie des écoles : les familles investissent les lieux, les enfants jouent, les adultes s’installent.
Il faut se rappeler qu’il y a encore peu de temps, une partie de la place était occupée par un parking.
Aujourd’hui, les retours sont très positifs, surtout de la part des familles. Beaucoup nous disent qu’un espace comme celui-ci manquait dans le quartier : un endroit agréable pour se poser, avec une dimension ludique pour les plus jeunes.
Comment s’est passée la phase de concertation ?
Ce n’est pas nous qui avons mené la concertation, mais d’après les retours que nous avons eus, la participation a été importante. Comme souvent dans ce type de projet, tout le monde n’était pas d’accord – ce qui est compréhensible.
Certains habitants exprimaient une inquiétude face au changement : la peur que de nouveaux usages s’installent, pas toujours perçus comme positifs. Il y a aussi eu des remarques sur la suppression de quelques places de stationnement. Même si la place était déjà en partie utilisée comme parking, c’était un usage limité : le matin, elle accueillait le marché, et ce n’est que l’après-midi qu’elle servait au stationnement.
Vous mentionnez la participation d’une école du quartier pour une fresque au sol. Pourquoi avoir intégré cette dimension dans le projet ?
Oui, et pas uniquement avec l’école. Nous avons organisé trois temps forts de participation au fil du projet.
Le premier s’est déroulé lors d’un événement porté par la mairie : nous avons invité les habitants à fabriquer eux-mêmes du mobilier, en vissant des assises ou en ajoutant des accessoires sur les blocs en béton.
Le deuxième atelier portait sur la végétalisation : il s’agissait de plantations ouvertes à tous.
Enfin, le troisième temps participatif était plus ciblé : nous avons travaillé avec une classe de CM2 de l’école Chave, voisine de la place Sébastopol. Pendant toute une journée, les enfants ont réalisé une fresque au sol, en peignant directement sur l’espace public.
L’idée derrière ces ateliers, c’était vraiment de permettre aux habitants de s’approprier dès le départ cette métamorphose de la place. Et ça a très bien fonctionné. On a revu, dans les jours qui ont suivi, des participants revenir arroser les plantes qu’ils avaient eux-mêmes mises en terre. C’est une fierté visible, une forme de lien immédiat au lieu.
© D.R. – Les nouveaux modules installés place Sébastopol offrent désormais un espace de pause et de rencontre, là où stationnaient les voitures.
Vous évoquez des contestations autour du projet. Quelles sont-elles exactement ? Qui les porte ?
Il y a effectivement eu quelques contestations, notamment de la part de certains habitants et commerçants.
Les inquiétudes portaient principalement sur la suppression du stationnement : la crainte que les clients venant en voiture ne se détournent du quartier. D’autres redoutaient que le mobilier soit occupé par des personnes sans-abri, ou qu’il attire des dégradations – et, en effet, quelques tags sont déjà apparus.
Comment y répondez-vous ?
D’abord, il faut rappeler que nous ne sommes pas dans une configuration définitive. Cet aménagement est transitoire, justement pour permettre ce temps d’observation et de dialogue. Nous sommes là pour recueillir les avis, les retours d’expérience.
Et pour l’instant, ce que l’on constate, c’est que plusieurs des inquiétudes exprimées ne se vérifient pas. Il n’y a pas d’occupation indésirable du mobilier : ce sont des familles, des personnes âgées, des riverains qui l’utilisent. Quant aux tags, lorsqu’ils apparaissent, nous les effaçons.
Il peut toujours y avoir quelques mésusages, mais ce serait regrettable de priver une majorité d’habitants d’un espace agréable et utile, simplement parce qu’une minorité pourrait en faire un mauvais usage.
Quels enseignements tirez-vous à ce stade du projet ?
Ce que l’on retient avant tout, c’est que ce type d’expérimentation permet d’envisager le projet final avec plus de sérénité. On aura testé des configurations, observé des usages, recueilli des retours : tout cela contribuera à une meilleure acceptation du projet par les habitants.
À titre plus personnel, ce chantier a été très formateur. On a appris ce que cela signifie vraiment de travailler dans l’espace public, au contact direct des usagers, dans un environnement vivant, mouvant. Et c’est d’autant plus gratifiant que ce sont des lieux que l’on fréquente aussi dans notre quotidien.
© Ville de Marseille – Faire participer tous les publics à l’aménagement de la place pour une meilleure appropriation des changements.
Vous mentionnez également un autre projet d’aménagement transitoire autour de la gare Saint-Charles. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est un projet qui fonctionne sur un principe assez similaire, mais à une échelle plus large. Il est porté cette fois par la Métropole Aix-Marseille Provence, et nous intervenons au sein d’un groupement un peu plus conséquent. On y retrouve la même équipe que pour Sébastopol, avec notamment les architectes de l’Atelier Co-co. À cela s’ajoutent des paysagistes et des spécialistes de l’éclairage du groupe Nox Populli.
L’intervention se déploiera autour de deux espaces emblématiques de la gare Saint-Charles : d’un côté, la place des Marseillaises, qui entoure le grand escalier, et à laquelle on souhaite redonner une véritable identité de place. Et de l’autre, la place Victor Hugo, située entre la gare et l’université.
L’esprit reste le même : tester des usages, expérimenter des dispositifs, observer les retours. La démarche est transitoire, mais sur un temps un peu plus long. Cette fois, c’est notre groupement qui prend également en charge la concertation. Nous allons d’abord entrer dans une phase de prototypage interne, avant de passer à l’installation du mobilier et des aménagements.
Pensez-vous que l’urbanisme tactique est en train de devenir une norme dans les politiques publiques locales ?
On sent un véritable essor de l’urbanisme tactique, c’est une approche qui se développe de plus en plus dans les politiques publiques locales. Et ce serait une bonne chose qu’elle tende à devenir une norme, parce qu’elle permet justement de concevoir des espaces qui répondent réellement aux usages, aux attentes, aux besoins du terrain.
En testant, en ajustant, en observant avant de figer quoi que ce soit, on donne bien plus de chances à un aménagement d’être approprié — et donc de fonctionner dans la durée.