13 mars 1943. Alors qu’il débute son travail au restaurant la Daurade, situé sur le Vieux-Port de Marseille, Albert, 20 ans, est interpellé par deux soldats allemands. Ils lui prennent ses papiers.
Avec des centaines d’autres jeunes, le Marseillais est contraint de monter dans un train à la gare Saint-Charles. Choqué et en détresse, il n’apprend sa destination qu’à l’arrivée. Il est débarqué à Ludwigshafen, ville où se trouve la principale usine de l’entreprise chimique allemande IG Farben (on y fabrique notamment le gaz Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz).
Pendant dix-huit mois, le jeune homme est forcé à remplir des wagons de charbon, six jours sur sept, 10 heures par jour. Albert subit également les bombardements des Anglais et des Américains « en pensant chaque jour qu’il va y rester ». Il perd des milliers de collègues. Un jour, il est « pris par une bombe à retardement » qui explose et lui traverse entièrement le bras droit.
Albert Corrieri avait 20 ans quand il a été déporté en Allemagne. Photo DR..
« Des représailles envers ma famille »
À 200 kilomètres de là, c’est au tour d’un autre jeune homme d’être contraint de monter dans un convoi, cette fois-ci en gare de Nice. Erpilio a déjà reçu deux convocations auxquelles il n’a pas répondu. Mais le troisième courrier ne lui laisse plus le choix: « On me priait de me présenter instamment à l’adresse indiquée et si je ne le faisais pas, des représailles pouvaient être exercées envers ma famille. Il citait père, mère, frère ou sœur. »
Après un long voyage, le Niçois descend à Oberkassel, un district de Düsseldorf, à l’est de l’Allemagne, à 1.200 km de la Côte d’Azur. On le conduit dans une usine privée, la Deutsch Delta Metal « qui travaillait certainement pour la défense allemande ». Ayant suivi des cours d’électricité dans une école à Nice, est chargé de s’occuper de réparer les machines qui tombent en panne. Tout comme Albert, Erpilio subit de nombreux bombardements des Américains. « Il y en avait tous les jours, de jour ou de nuit. C’était ce qui était le plus dangereux. »
À la fin de la guerre, Albert et Erpilio sont renvoyés chez eux. Ils auront fait partie des 650.000 jeunes Français déportés dans le cadre du Service du travail obligatoire mis en place par le régime de Vichy. Environ 250.000 ne sont pas revenus.
Erpilio Trovati, alors qu’il avait 20 ans, peu de temps avant d’être déporté en Allemagne. Photo S.B./NM .
Le combat
Albert, dès 1957, débute des démarches pour demander réparation après ce qu’il a subi à cause de l’État français (régime de 1940 à 1944). Mais il peine à se faire entendre. Il y a quelques années, il décide de réunir un historien marseillais, Michel Ficetola et un avocat, Me Michel Pautot, pour l’aider.
Après deux tentatives de démarches à l’amiable auprès de l’ONaCVG (Office national des combattants et des victimes de guerre), Me Pautot décide de porter l’affaire au tribunal administratif de Marseille. Si on ne lui paye pas le préjudice moral qu’il a subi, Albert veut au moins que l’État l’indemnise pour le travail qu’il a effectué. À raison de 10€ de l’heure en tant que travailleur manuel qualifié dans l’usine pendant dix-huit mois, cela représente une réparation financière de 43.200€.
Erpilio et son petit-fils entendent alors parler de la démarche et décident aussi de lancer une procédure avec Me Pautot. La demande de réparation s’élève à 33.400€.
Les demandes d’Erpilio et d’Albert ont été rejetées en première instance, étant prescrites selon la justice.
« En attente d’un geste fort de la République »
La suite pour les deux centenaires se déroulera devant la cour administrative d’appel de Marseille le 24 juin prochain. « Messieurs Trovati et Corrieri ont droit à une indemnisation de la République pour la ‘déportation’ et le ‘travail forcé’ qui leur a été imposé dans les usines allemandes, ces actes étant reconnus et qualifiés de ‘crime contre l’humanité’ par les conventions internationales mais aussi la loi française« .
Et d’ajouter: « Ils sont parmi les seuls survivants de cette sinistre période. Les victimes du STO ne peuvent pas être les ‘oubliés’ ou les ‘invisibles’ de l’histoire. La République est redevable envers ces hommes que le régime de Vichy a contraint et forcé de travailler avec l’ennemi. C’est un devoir, une obligation de notre République de s’en souvenir mais aussi d’indemniser ces déportés du travail. Avec cette procédure, nous sommes en attente d’un geste fort envers ces plaignants de la part de la République française qui vient de célébrer les 80 ans du 8 mai 1945″.