DISPARITION. L’artiste américain s’est détaché du courant minimaliste pour créer son univers de formes et de couleurs, plus proche des vibrations de l’être humain. Il est mort le 14 juin à 83 ans.

C’est la puissante galerie new-yorkaise, la Pace Gallery, qui a annoncé la mort, le 14 juin à 83 ans, du sculpteur post-minimaliste, Joel Shapiro (1941 – 2025). Ce natif du Queens, le 27 septembre 1941, emprunta son langage abstrait à l’héritage constructiviste et au code minimaliste la géométrie des formes et leur chorégraphie dans l’espace. Danser, s’allonger, s’écrouler. Son œuvre disait quelque chose de l’être humain dans sa stylisation, l’énergie pure, si chère à ses prédécesseurs. Il y ajouta l’usage de la couleur intense, peut-être l’héritage de ses deux ans passés en Inde dans les Peace Corps. The New York Times, le journal de sa ville, là où longtemps s’est tenu son vaste atelier en forme d’usine, a révélé qu’il était mort des suites d’une leucémie. Après la disparition de Carl Andre, le 24 janvier 2024, Frank Stella, le 4 mai 2024, l’art dit « postwar » perd ainsi une autre de ses grandes figures.

Graveur, dessinateur, Joel Shapiro était surtout connu pour ses sculptures monumentales qui ont pris d’assaut l’espace public -plus de 30 commandes ! -, du Holocaust Memorial Museum à Washington au consulat américain à Canton, en Chine, de l’ambassade américaine à Ottawa, au Canada, de la place centrale d’Orléans, en France, à la terrasse de Sculpture International Rotterdam depuis 2001. L’Amérique a particulièrement chéri cet artiste à son image : on le retrouve au Denver Art Museum dans le Colorado, au Des Moines City Hall en Iowa, au Kennedy Center de Washington. « Dynamisme, complexité et élégance formelle », voici les qualificatifs qui résument ses 60 ans de sculpture. Du Kunstmuseum Winterthur en Suisse à the Nasher Sculpture Center de Dallas, les institutions avaient toutes leur Shapiro.

Devant le Moynihan Train Hall à New York en 2020.
Lev Radin/Sipa USA/Reuters

« Ses premières sculptures ont élargi les possibilités de l’échelle en art et ses œuvres figuratives de maturité contiennent toutes les forces de la nature en elles-mêmes », a salué Arne Glimcher, 87 ans, fondateur et président de la Pace Gallery qui le représente depuis 1992 et l’expose depuis 1993. Dès la fin des années 1960, Joel Shapiro «a cherché à transcender, par son inventivité, les contraintes du minimalisme et à introduire une forme d’art plus intime, plus allusive et plus chargée psychologiquement».

En 1969, l’année où il acheva son Master of Arts, le jeune Joel Shapiro fut inclus dans une exposition de groupe au Whitney Museum of American Art, Anti-Illusion : Procedures/Materials. Sa première exposition personnelle date de 1970 chez Paula Cooper Gallery, grande référence new-yorkaise. Les premières œuvres de Shapiro ont souvent eu pour thèmes des sculptures simplifiées d’objets du quotidien, maisons, chaises et autres formes identifiables qui défiaient le dogme minimaliste alors dominant. Shapiro en parlait comme « une manifestation physique d’une pensée en matière et en forme ». Dans les années 1980, il se tourna vers ses premières sculptures grandeur nature dont beaucoup rappelaient la forme humaine et ses mouvements. Il se passionna pour le bronze, sa fonte, en essayant de lui garder les qualités plus tendres de ses premières œuvres en bois.

Au fur et à mesure que ses sculptures devenaient plus grandes, plus complexes, plus ambitieuses, Joel Shapiro a accru sa reconnaissance internationale. D’où une série d’expositions majeures à la Whitechapel Gallery de London, au Whitney Museum de New York et au Stedelijk Museum d’Amsterdam. Dans les années 1990 et 2000, il a logiquement atteint les grands lieux de la sculpture et de l’art du XXe siècle que sont le Louisiana Museum of Modern Art, à Copenhague (Danemark), l’Ivam Centre Julio González à Valence (Espagne), au Walker Art Center de Minneapolis (Minnesota)… Jusqu’au « roof garden » du Metropolitan Museum of Art à New York et, en contrepoint contemporain, le Musée d’Orsay à Paris.

Depuis vingt ans, notamment sous l’impact du 11 septembre 2001, Joel Shapiro a démonté nombre de ses sculptures en bois pour les réassembler autrement dans des combinaisons vigoureuses et pleines de couleurs à grand renfort de colle et de pistolets à broches industriels. En retravaillant et en suspendant ces nouvelles formes dans l’espace, il se libéra complètement du sol et de la table. « Les sculptures de Shapiro génèrent des images chargées d’émotions, comme en procure la littérature romanesque, forme parallèle de la figuration », analysa alors l’historien d’art et critique Richard Schiff lors de son exposition personnelle de 2007-2008 chez Pace. On l’a vu longtemps à Paris grâce à la galerie Templon, Daniel Templon ayant été un des défenseurs convaincus de la scène américaine d’après-guerre, d’Edward Kienholz (1927-1994) à George Segal (1924-2000). En 2005, il avait été fait chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres. Daniel Templon l’a exposé six fois entre 1986 et 2012.