Au sein de l’un des quartiers les plus pauvres de l’agglomération, les parties communes des tours sont rarement en bon état.
La tour 61 du boulevard Lénine ne fait pas exception. Sa porte d’entrée démagnétisée permet au tout-venant de rentrer sans peine, et la cage d’escalier est jonchée de détritus et sent l’urine sur tout le parcours, du rez-de-chaussée au 15e étage.
Pourtant, GrandLyon Habitat œuvre pour reconnecter les habitants avec leur propre immeuble. Le projet D’ART-naise était né.
C’est ainsi qu’en février dernier, la tour 41 de ce même boulevard Lénine avait accueilli en son sein l’artiste brésilien Dagson Silva et l’équipe d’Ahmed Yahiaoui de Kolor1 pour accompagner les riverains dans la réalisation de fresques participatives.
Le résultat était plutôt réussi, avec des scènes de la vie quotidienne vénissiane inaugurées par la maire de Vénissieux Michèle Picard, le vice-président de la Métropole de Lyon chargé du Logement Renaud Payre et le président de GrandLyon Habitat, François Thévenieau.
Coût de l’opération annoncé à 80 000 euros, financée notamment par la Métropole de Lyon et l’Etat, via l’Agence nationale de renouvellement urbain (Anru).
Un dérapage dans la tour 61 ?
Face à ce succès populaire, la décision a été prise de la renouveler dans les tours voisines. Ainsi, depuis quelques semaines, c’est la tour 61, celle où la porte d’entrée ne ferme pas et où des individus mal léchés se soulagent dans la cage d’escalier, qui a bénéficié de l’intervention de Kolor1.
Là encore, à chaque étage, une scène de vie : un petit vieux revient à son domicile un journal sous le bras, une partie de pétanque entre jeunes, un joggeur, une femme qui jardine…
Mais plus on descend les étages, plus on remarque quelque chose : les personnages n’ont pas de visage. Dans le rond qui leur sert de tête, point d’yeux, de nez ou de bouche. Au sein de la tour 41 pourtant, Kolor1 et le brésilien Dagson Silva les avaient réalisés.
Et puis arrive le 5e étage, où une mère dit au revoir à son fils et à sa fille qui partent à l’école.
La fillette n’a pas plus de 12 ans, elle semble voilée.
Et son frère, qui fait la même taille, semble porter des gants et un collant. Déduction faite parce que son visage est marron, ses mains noires et ses jambes grises.
Une fresque que certains s’empresseraient de qualifier d’islamiste, sensation renforcée par l’absence de visages puisque l’islam interdit la représentation de personnages via le dessin. A noter toutefois que des animaux sont représentés sur d’autres dessins, affaiblissant donc la thèse soulevée par certains habitants.
« On avait été contactés sur cette fresque. Il n’y a aucun doute sur le fait que la petite fille représentée porte un voile, nous explique Patrick Mottet, au nom du comité Loi 1905 du Rhône, une association en cours de constitutionnalisation et qui lutte pour faire respecter le principe de laïcité à Lyon et ses alentours. Nous sommes un peu démunis par rapport à cette affaire, car la fresque existe, a été validée par un collectif d’habitants, mais surtout financée par le pouvoir public et le gestionnaire du bâtiment. C’est un problème. »
Contacté par notre rédaction, GrandLyon Habitat n’a pas la même lecture que ces derniers. « Il a été décidé de ne personnifier aucun personnage et de n’inclure aucun détail pour pouvoir utiliser la technique des pochoirs. Il n’y avait pas de pinceaux de précision, mais des pochoirs et de la bombe pour aller au plus facile et inclure le maximum de monde dans la participation aux fresques. Cette approche ne permet donc pas de dessiner du fin et du précis. L’utilisation de pochoirs ne permet pas de détails et/ou parfois de délimitations vestimentaires, comme sur tous les autres personnages de cette fresque et des autres », se défend le bailleur social, qui a validé les visuels en interne.
Pour la tour 61, ce sont 49 622 euros qui auront été dépensés, dont 20 000 euros pris en charge par la Métropole.
Une rencontre est attendue dans les prochains jours entre GrandLyon Habitant et le comité Loi 1905 du Rhône. « On souhaite leur présenter les choses avec notre regard. On veut également entendre des explications concrètes de la part du président de GrandLyon Habitat, François Thévenieau, et marquer une position en disant qu’ils ont fait preuve de légèreté, d’autant plus que ce n’est pas la première fois que ça arrive », conclut Patrick Mottet. Affaire à suivre…