Il vrombit sous les pattes des Parisiens depuis vingt ans, sans que personne s’en rende compte. Un système de 110 kilomètres de tuyaux d’une eau à 4 °C circule dans les tréfonds de la capitale, 24 heures sur 24, pour maintenir au frais quelque 867 bâtiments de la ville comme le Louvre, le musée du Quai Branly, l’Opéra Garnier, le Forum des Halles, les grands magasins ou encore l’Assemblée nationale. Au total, il rafraîchit cinq des vingt millions de mètres carrés tertiaires à Paris (bureaux, grands magasins, musées, salles de spectacles…).
Le réseau, composé de douze centrales de production de froid et considéré comme le plus grand d’Europe, fonctionne via un système d’échangeur thermique entre les canalisations du réseau de froid et celles du réseau interne du bâtiment. Véritable alternative écologique aux climatiseurs, il ne rejette pas d’air chaud dans les rues, et offre d’importants gains de consommation énergétique (-50 %), d’eau (-65 %), d’utilisation de produits chimiques (-80 %) et d’émissions de CO2 (-50 %), précise Fraîcheur de Paris, une société codétenue par Engie, qui gère une centaine de réseaux de froid à l’étranger dont ceux qui circulent sous Barcelone, Singapour et Dubaï.
«Avec les thermomètres qui s’envolent, les villes ont besoin de remplacer les solutions autonomes comme les climatiseurs individuels, qui contribuent à réchauffer encore davantage l’atmosphère», explique Raphaëlle Nayral, secrétaire générale de Fraîcheur de Paris. «A Paris, où les vagues de chaleur pourraient faire monter le thermomètre jusqu’à 50°C en 2050, si on n’offre pas d’alternatives à la climatisation, cette ville sera complètement inhabitable», poursuit-elle.
Dans des zones fortement équipées en climatisations, les études apportent la démonstration que des villes suréquipées en clim voient leur chaleur augmenter de 0,5 degré, une hausse qui pourrait se porter à + 2, voire + 3 degrés si le taux d’équipement continue de progresser. Outre ce dégagement de chaleur, les climatisations sont responsables de 7% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon l’ONU, en raison de la tendance des gaz réfrigérants à fuir.
S’il existe depuis 1991 dans la capitale, ce système est utilisé depuis les années 1950, notamment au siège de l’ONU à New York qui se refroidit avec l’East River. Mais il nécessite tant de planification urbaine et de travaux qu’il reste rare : la France n’en comptait encore qu’une quarantaine en 2023, principalement dans les grandes agglomérations.
Même si ce réseau de froid dessert principalement des bâtiments tertiaires à Paris, l’idée est de l’étendre à des maisons de retraite, écoles ou crèches. «On a un premier hôpital, celui des Quinze-Vingts [à Paris, ndlr], qui vient d’être raccordé. D’ici à 2042, le réseau devrait être plus que doublé, avec 245 km de réseaux de distribution pour offrir de nouvelles coques de fraîcheur quand la ville est en surchauffe», explique Raphaëlle Nayral. Pour les particuliers, cela sera «à plus long terme», en raison des multiples rénovations nécessaires pour raccorder les immeubles d’habitation au réseau.