Cela va être le « plus grand programme d’expulsions massives de l’histoire », a promis Donald Trump. Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, le président américain a fait de la lutte contre l’immigration clandestine une de ses grandes priorités. Mais ces derniers jours, des manifestations ont eu lieu à travers tous le pays pour dénoncer les descentes d’agents de la police fédérale de l’immigration (ICE) arrêtant des immigrés illégaux, souvent même sur leur lieu de travail.
À Los Angeles, où les manifestations ont commencé et se sont ensuite envenimées par endroits, le président a déployé 4 000 gardes nationaux et 700 marines, à l’encontre de la volonté du maire de la ville et du gouverneur de Californie. Malgré ces mouvements, Donald Trump ne compte pas s’arrêter là : il a annoncé, dimanche, de nouvelles opérations d’expulsion à Los Angeles, Chicago et New York. Des villes dirigées d’après lui par des « démocrates d’extrême gauche » à « l’esprit malade ».
Pourtant, déporter les immigrés illégaux et ralentir l’immigration pourrait coûter à l’économie américaine. « Sur tous les tableaux, les déportations de masses nuiraient à l’économie américaine », argue Romuald Sciora, chercheur associé à l’Iris et auteur de L’Amérique éclatée, plongée au cœur d’une nation en déliquescence (Armand Colin). D’après les chiffres de Goldman Sachs, le ralentissement de l’immigration ferait perdre 30 à 40 points de base à la croissance du PIB américain par rapport au rythme de 2023-2024.
Des secteurs en manque de main-d’œuvre
Car les immigrés contribuent à l’économie américaine. Romuald Sciora distingue deux catégories chez les immigrés illégaux. Ceux qui sont très bien intégrés : ils sont propriétaires, peuvent avoir une entreprise, sont mariés avec des Américain(e)s, etc. « Ce sont malheureusement bien souvent des cibles faciles pour l’administration Trump car ils savent où les trouver », pointe-t-il.
Les autres sont moins bien intégrés, mais ils servent de main-d’œuvre dans l’agriculture et l’industrie. En l’occurrence, des chefs d’entreprise montent au créneau ces jours-ci pour dénoncer les expulsions d’immigrés illégaux, notamment dans les fermes ou encore les usines, rapporte le Wall Street Journal (WSJ). « De graves perturbations de notre approvisionnement alimentaire seraient préjudiciables aux Américains », a même commenté Brooke Rollins, secrétaire à l’Agriculture des États-Unis, dans un message posté sur le réseau social X.
D’après les chiffres de Goldman Sachs, les immigrés qui ne détiennent ni visa, ni carte verte, représentent 4 % à 5 % de la main-d’œuvre américaine totale. Et de 15 % à 20 % dans les secteurs agricoles, agroalimentaires et de la construction. Une perte de cette main-d’œuvre « pourrait entraîner des goulots d’étranglement temporaires de la production, des pénuries et des hausses de prix », avance la note de la banque. Certains secteurs ont des besoins criants de main-d’œuvre, comme celui de la construction, qui aurait besoin de 500 000 travailleurs en plus, rapporte le WSJ.
« Si demain, Donald Trump décidait de déporter l’intégralité des immigrés illégaux des États-Unis, ce serait une catastrophe dans beaucoup de secteurs et cela créerait des crises locales, car ces gens consomment, payent leurs impôts… », avance quant à lui Romuald Sciora.
Des déportations qui ont un prix
À la question de savoir si les immigrés remplacent les travailleurs américains, un argument plébiscité par défenseurs d’une ligne anti-immigration, la réponse est plus complexe. Pour le Migration Policy Institute, un think tank non partisan, les immigrés occupent le plus souvent des postes « aux extrémités supérieures et inférieures du spectre éducatif des emplois », c’est-à-dire qu’ils occupent des postes souvent complémentaires. Des emplois qui demandent des compétences spécialisées ou à l’inverse qui proposent des conditions de travail moins enviables avec des salaires beaucoup plus bas.
De son côté, Romuald Sciora estime que cela peut être le cas dans certains États désindustrialisés, avec une « paupérisation plus importante » car les immigrés, ici illégaux, occupent des emplois mal payés que « les employeurs refuseraient de payer plus cher ». Selon lui, la solution résiderait dans la « régularisation de ces immigrés illégaux » dans le territoire. « Si on choisit cette solution, les immigrés pourraient demander des salaires décents, ce qui ne sera pas au goût des entreprises, c’est pour ça que rien ne change depuis quarante ans », argue-t-il.
Par ailleurs, les politiques anti-immigration coûtent également de l’argent. « Les déportations coûtent plus cher que de régulariser ces personnes qui participent à l’économie locale », pointe Romuald Sciora. En effet, d’après le ministère de la Sécurité intérieure, arrêter, placer en détention et expulser une personne du territoire américain coûteraient 17 121 dollars (15 104 euros). Dans le méga projet fiscal du président américain, plus de 46 milliards de dollars sont prévus pour la construction du mur entre le Mexique et les États-Unis. 70 milliards sont aussi réservés pour la sécurité aux frontières.
Il n’empêche, l’administration Trump n’a pas l’air de vouloir faire marche arrière. Outre le programme d’expulsions en cours, elle envisage également d’étendre ses restrictions d’entrée à 36 nouveaux pays (20 sont pour le moment concernés). Ce qui représenterait en tout 18 % de la population mondiale.