En recourant au dispositif légal que sont les Obligations réelles environnementales (ORE) via un contrat entre une association de protection de l’environnement et des propriétaires privés. Il « cale » dans le temps, jusqu’à 99 ans, tout usage des terrains selon des règles établies à la signature visant le maintien de la biodiversité. En faisant appel à l’association nationale Agir pour l’environnement, dans la Loire, deux particuliers voisins, à Saint-Médard-en-Forez ont fait ce choix. 10 ha sont concernés.
Vue sur une prairie bordée de haies de la propriété de Solange Menigot. Photo transmise par cette dernière.
Faut-il assouplir les exigences de la Zéro artificialisation nette (ZAN) ? Le cheminement qui doit amener en 2050 à cette obligation décidée par le législateur pour s’imposer aux collectivités, « gardiennes » de l’usage futur des terrains, est, lui, bien plus que lancé dans le département. Comme If Saint-Etienne en a parlé à plusieurs reprises à l’échelle des deux tiers du Sud Loire, et plus précisément, aussi, à l’échelle de Saint-Etienne Métropole. Le Schéma de cohérence territorial (Scot) Sud Loire qui chapeaute les Plans locaux d’urbanisme intercommunaux (Plui et donc derrière les Plu communaux) a adopté fin 2024 sa révision pour intégrer les obligations progressives devant amener au fameux ZAN. Saint-Etienne Métropole poursuit derrière sa propre procédure pour en tenir conformément compte dans son futur Plui.
Cependant, avec l’adoption le 18 mars par le Sénat de la proposition de loi dite Trace, pour « Trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux », l’assouplissement réclamé par beaucoup d’élus locaux estimant la loi irréaliste, trop stricte vis-à-vis des impératifs de développement ou ne serait-ce que de maintien de la dynamique de leur territoire, un net assouplissement – mais pas une suppression de la neutralité foncière en 2050 – semble aussi en chemin. Ses auteurs, les sénateurs Guislain Cambier (UC-Nord) et Jean-Baptiste Blanc (LR-Vaucluse) seront d’ailleurs à Veauche ce jeudi soir pour en débattre avec les élus municipaux, à l’invitation de la sénatrice PC Cécile Cukierman et des sénateurs Hervé Reynaud (LR), Pierre-Jean Rochette (LIRT) et Jean-Claude Tissot (PS). La première ayant déclaré, selon cet article publié par la banque des Territoires que « la proposition de loi rassurera les élus locaux sans les exonérer de leurs responsabilités », a ainsi estimé la sénatrice Cécile Cukierman
Les ORE, un outil « puissant »… si volontaires
A part le PC, l’assouplissement ne semble guère enchanter les autres groupes politiques de gauche. Encore moins, évidemment, les associations environnementales. Pour être définitivement adoptée, Trace devra sortir d’un prochain vote à l’Assemblée nationale (qui a déjà intégré une dérogation). Infiniment moins sous les projecteurs médiatiques car il faut dire, dans les faits, moins impactants, alliant exigences et souplesse, les Obligations réelles environnementales (ORE) s’adressent, elles, aux propriétaires privés pour les inciter à graver dans un marbre assuré jusqu’à 99 ans leur préservation de l’artificialisation. Un « outil puissant », estime l’association nationale Agir pour l’environnement, issu de la loi biodiversité votée en 2016. « Puissant » mais « trop méconnu », ajoute-t-elle. Outre le fait qu’il incombe une motivation personnelle, le volontariat (hors les ORE imposées en mesures compensatoires à des aménageurs, lire plus bas) et se heurte à cette problématique financière : pour acter le « contrat », qui paie les frais de notaires ?
Notre association prend en charge les frais de notaires dans une démarche de développement de ce type de petites réserves naturelles partout en France lancée en 2021.
Lucie Pelous, Agir pour l’environnement (APE)
Car il s’agit bien d’un contrat visant le maintien de la biodiversité des terrains désignés. Il est conclu entre une association de protection de l’environnement et des propriétaires privés « calant » pour quasiment un siècle maximum tout usage des terrains selon des règles établies à la signature. Celles-ci peuvent donc survivre au signataire. « Les frais de notaire peuvent vite facilement tourner autour de 1 000 € et cela, forcément peut refroidir l’envie d’y aller. Notre association prend en charge ces frais dans une démarche de développement de ce type de réserves partout en France lancée en 2021 », explique Lucie Pelous, coordinatrice des campagnes Biodiversité à Agir pour l’environnement (APE). Les premiers ORE de l’association ont été signés en 2022. Elle en compte 42 à ce stade dont les 25 premières « réserves » qui en découlent ont été présentés à l’occasion de la dernière Fête de la Nature (du 21 au 25 mai 2025).
Une des plus vastes « réserves » d’APE dans le Forez
Dans un souci de diffuser ce volontariat à bloquer l’usage des terres, du moins à leur attacher des règles favorables à la biodiversité, APE proposait en effet au public de venir les visiter à l’occasion de la Fête de la nature fin mai. Elle a édité un livret détaillant chaque cas, tous différents, du grand jardin semi-sauvage de quelques centaines de mètres carrés aux terres agricoles et sylvestres de plusieurs hectares. « Avant de passer un contrat, précise Lucie Pelous, nous effectuons évidemment un diagnostic préalable pour nous assurer de l’intérêt de la demande et des motivations : par exemple mais très souvent la crainte de la pression immobilière à leur succession et de l’exploitation amenant la destruction d’espèces présentes sur place, de haies ou de zones humides, riches en biodiversité. Les règles et leur durée de vie (jusqu’à 99 ans donc avec possibilité de révisions mais donc survivantes aux propriétaires cédant, NDLR) qui engagent ces futurs terrains sont variables et discutées avec le propriétaire. L’interdiction d’utiliser des pesticides ou d’y construire quoi que ce soit, sinon sur un zone bien ciblée, réservée, etc. »
Vue sur le vallon face à la propriété de Solange Menigot. Photo transmise par cette dernière.
Parmi ces 25 premières réserves mise en avant fin mai, les secondes créées l’ont été à Saint-Médard-en-Forez (et en petite partie sur Saint-Galmier) dans la Loire par deux voisins propriétaires : pas moins de 5 ha chacun font l’objet d’une ORE avec APE. Ce qui en fait, de très loin, la superficie la plus vaste des réserves listées par Agir pour l’environnement. Face aux pressions immobilières et d’exploitation potentielle, « ils ont notamment fait le choix d’interdire l’exploitation ou l’artificialisation des sols, l’abattage des haies et des arbres, les atteintes à la faune, à la flore, sur des zones humides notamment, l’épandage de pesticides de synthèse ou de produits chimiques quelconques », décrit l’association arguant qu’il ne faut pas voir dans cette décision un renoncement mais un atout pour l’avenir, y compris pour vendre un sol qui sera garanti préservé, non pollué, de qualité. Elle espère multiplier le nombre de cas : 350 autres sont en discussions dont 7 dans la Loire.
Les ORE peuvent aussi procéder d’une mesure compensatoire
C’est le contexte d’une tentative d’extension d’une carrière lancée en 2020 contre laquelle elle s’était engagée – via l’association CECS (Contre l’extension de la carrière de Savy) – touchant prairies et bois autour d’un vallon aux limites de Chambœuf, Saint-Galmier et Saint-Médard-en-Forez, face à ses terres, qui a poussé Solange Menigot à solliciter le dispositif ORE sur 5 ha dont elle est propriétaire. Elle a convaincu son voisin, agriculteur, lui aussi opposé au projet impliquant une modification de PLU (l’affaire est aux mains de la justice administrative, en appel) de faire de même. « Dans ce vallon, comme chez nous, la flore et la faune sont riches, assure Solange Menigot. Ici, peut s’entendre le grand-duc (hibou, Nldr) ! Tout cela est harmonieux et on ne veut pas le voir disparaître ou se dire qu’après nous cela disparaîtra. Or, vous le savez, dans cette zone du Forez, la pression de l’urbanisation est forte. Comment en protéger au mieux au moins ce que nous maitrisons, ce qui est en notre possession ? C’est là que l’on a découvert les ORE et APE que j’ai contactée. Ils ont pu m’orienter vers un notaire à Saint-Chamond parfaitement au fait du sujet. »
Ici, peut s’entendre le grand-duc ! Tout cela est harmonieux et on ne veut pas le voir disparaître ou se dire qu’après nous cela disparaîtra.
Solange Menigot, habitante de Saint-Médard-en-Forez
APE a cet atout convainquant pour les particuliers de payer les frais incombant au contrat des ORE (qui par ailleurs, peuvent très bien être conclues avec une collectivité). Manquant de moyens, entre autres, pour cela, les associations environnementales déployant des structures départementales autonomes, comme FNE et la LPO, semblent davantage se concentrer sur des surfaces plus vastes que les grands jardins de particuliers listés par APE et dont les cas ligériens décrits plus hauts sont un peu plus que cela de par leur exceptionnelle étendue. Vice-président de la LPO Auvergne-Rhône-Alpes, référent dons, legs, assurances-vie et ORE, Jean Deschâtres évoque une vingtaine de projets ORE en cours à l’échelle de la région dont le plus petit s’étend sur 8 ha et le plus grand 50. « Il est compliqué d’engager des frais pour vérifier la valeur écologique petite parcelle par petite parcelle », explique-t-il.
Et il y a le souci des frais à la charge du propriétaire : « Une tentative de dispositifs d’allègement fiscaux pour compenser a échoué dans le passé. Contrairement à ce qui se passe dans les pays anglo-saxons comme les Etats-Unis, l’Australie où des incitations fiscales à ce sujet autour de dispositifs analogues ont des succès formidables, parfois sur des milliers d’hectares. » Alors, « on se concentre sur des priorités. Nous avons signé notre premier contrat ORE en 2018. Nous en sommes à 14 dont huit « patrimoniaux ». Car des ORE peuvent aussi procéder d’une mesure compensatoire obligatoire faite à un aménageur. « C’est le cas avec nous à Lorette, dans la Loire pour une Zac de 4 ha. Nous avions parfois aussi des projets dans le sud Loire avec des particuliers mais qui n’ont pas abouti. »