Des célèbres « Nanas » et « Tirs » à la carabine qui font « saigner » la peinture de Niki de Saint Phalle (1930-2002) aux machines « inutiles » de Jean Tinguely (1925-1991), une grande exposition revisite à partir de vendredi à Paris, la joyeuse radicalité de ce couple d’artistes.
Quelque 200 oeuvres – sculptures, machines automates, installations, tableaux – de la Franco-Américaine et du Suisse ainsi que nombre de photographies, films d’archives rares et lettres-dessins, sont présentés sur 2.000 m2 de galeries rénovées du GrandPalaisRmn.
L’exposition inaugure la collaboration entre l’édifice à la grande verrière, récemment rénové, et le Centre Pompidou qui doit fermer pour cinq ans de travaux à son tour à partir du 22 septembre et dont les collections voyagent.
Elle met en lumière les moments clés de la carrière des deux artistes, leurs liens indéfectibles et leur vision de l’art comme acte de rébellion contre les normes établies à travers le prisme de Pontus Hulten (1924-2006), leur ami.
Ce tout premier directeur du grand musée national d’art moderne du Centre Pompidou a porté une approche muséale radicale et novatrice.
Il favorisera l’acquisition de leurs oeuvres par les institutions et organisera leurs premières rétrospectives en 1980 et 1988, partageant fondamentalement leur part d’utopie et de rêve.
– Carabine –
Parmi les pépites exposées, l’une des premières « Nanas » noire de Niki de Saint Phalle, « Black Rosy » (1965) est « très emblématique de l’ouverture de l’artiste aux problématiques sociétales comme la place de la femme dans la société ou celle des personnes racisées », explique à l’AFP Sophie Duplaix, conservatrice en chef des collections contemporaines au musée d’art moderne du Centre Pompidou, et commissaire de l’exposition.
A ses côtés, trois autres personnages sculptés attirent immanquablement le regard: un couple de personnages difformes et endimanchés, promenant en laisse une immense arraignée, « symbole de la mère, avec laquelle l’artiste entretenait des relations difficiles », souligne la commissaire.
Insolites aussi ses tableaux des « Tirs », retracés dans un film montrant l’artiste à l’oeuvre et dont plusieurs sont exposés.
« Alors que jusque-là, elle réalise des oeuvres dans la veine de l’art brut et des reliefs, elle débute en 1961 une nouvelle série décapante: elle fixe des poches de couleurs et des oeufs voire des tomates sur des panneaux qu’elle recouvre de plâtre blanc immaculé. Elle les place ensuite à la verticale et tire dessus à la carabine jusqu’à ce que les poches de couleurs explosent, générant des coulées de peinture », explique Mme Duplaix.
« Critique très acerbe de la peinture de chevalet, c’est aussi une manière d’exprimer la puissance féminine puisque la carabine est associée à la masculinité et qu’elle s’en empare pour faire un art très novateur », ajoute-t-elle.
– « défis » –
« Techniquement, Tinguely a toujours été aux côtés de Niki de Saint Phalle mais ils se lançaient sans cesse des défis », poursuit Mme Duplaix.
« Lorsqu’ils se rencontrent en 1956 et se mettent en couple en 1960, ils s’installent et travaillent impasse Ronsin (dans le sud de Paris), où (le sculpteur) Brancusi a un atelier.
Vers le milieu des années 1960 ils déménageront dans une ancienne auberge de l’Essonne, qui sera leur atelier pendant des années » avant leur séparation, raconte-t-elle.
Jean Tinguely est mort en 1991. Ses obsèques à Fribourg, sa ville natale, auxquelles assistent 10.000 personnes, selon la commissaire, sont retracées dans un film tel « une oeuvre en soi avec fanfare, clique de carnaval, machine automate ».
Après sa mort, Niki de Saint Phalle lui rendra hommage par une série de « tableaux éclatés », présentés dans l’exposition: des éléments peints aux couleurs vives s’assemblant et se séparant grâce à un mécanisme intégré.
Parmi les oeuvres exposées les plus spectaculaires de Jean Tinguely, « l’Enfer » (1984) met en mouvement à intervalles réguliers quantité d’objets – sculptures sonores et mobiles, objets manufacturés et de récupération – sur une immense plateforme, critique féroce de la mécanisation et du progrès technologique de la société industrielle des Trente Glorieuses comme nombre de ses oeuvres.
Après sa mort, aidée par Pontus Hulten, Niki de Saint Phalle parachèvera « Le Cyclop », monstre de métal visitable et oeuvre de toute sa vie.
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