« Le tableau n’a pas encore dévoilé tous ses secrets… » Caroline Fillon, directrice du musée des Beaux-Arts de Libourne, aime à définir l’aventure comme une enquête policière. Une enquête faite d’hypothèses, de fils à dérouler, d’analyses scientifiques, d’indices parfois mystérieux à exploiter, les faits rassemblés formant un faisceau de preuves suffisant pour établir une conviction. Et celle du comité scientifique réuni autour de cette représentation d’« Atalante et Hippomène », illustration d’un récit issu des « Métamorphoses » d’Ovide, est désormais résolue. La toile retrouvée dans les réserves du musée des Beaux-Arts de Libourne, à l’occasion du récolement des collections, est un original. Une œuvre du maître italien de la peinture baroque du XVIIe siècle Guido Reni. « Le Guide ».

« Non seulement il s’agit d’un original, mais elle pourrait être la première version de ce chef-d’œuvre, à partir desquelles ont été élaborés les autres exemplaires connus », s’enthousiasme Philippe Buisson, maire de Libourne. L’élu ne veut y voir « ni une proclamation, ni une vantardise », mais le fruit d’un travail pluridisciplinaire, du collège international d’experts réuni autour de l’œuvre du Guide, mais aussi du laboratoire d’analyses scientifiques.

La preuve par 1110

Les éléments de preuve ? La présence de repentirs, trahissant l’intervention du maître, des changements de composition peu compatibles avec une copie, mais aussi l’utilisation de pigments spécifiques précieux, « onéreux à l’époque », et d’une toile sans coutures « rare et précieuse ».

Sophie Jarrosson s’est complètement investie dans la restauration de cette œuvre exceptionnelle du XVIIe siècle. « Un acmé dans ma carrière. »

Sophie Jarrosson s’est complètement investie dans la restauration de cette œuvre exceptionnelle du XVIIe siècle. « Un acmé dans ma carrière. »

archives Thierry DAVID/SO

Il y a également ce numéro cryptique, « 1110 », découvert en bas à gauche de la toile. Une énigme encore il y a quelques mois. Et finalement un allié précieux dans le travail d’authentification. Ce numéro d’inventaire, rappellent les experts, a permis d’identifier la toile comme appartenant au marquis de Leganés en 1641, puis à la famille Madrazo, avant de devenir propriété du marquis de Salamanca, dont la collection sera dispersée en 1867. La toile est réputée rachetée par son mandataire avant de disparaître dans la nature. Elle ressurgit lors de la donation effectuée à la Ville de Libourne en 1949 par la veuve de Guillaume Chastenet de Castaing, ancien député de Gironde.

« Originaux multiples »

La question d’une œuvre réalisée de la main même de l’artiste reste entière. Mais pas rédhibitoire. Guido Reni avait autour de lui, rappellent les experts, un groupe d’élèves et de collaborateurs de grand talent. « Les œuvres de l’époque étaient souvent collaboratives », rappelle Corentin Dury, chargé des collections anciennes au musée des Beaux-Arts d’Orléans, qui a dirigé une exposition consacrée au Guide. « L’imagerie du peintre travaillant son art seul dans son atelier remonte au XIXe siècle. Cela se passait différemment au XVIIe. »

« C’est un sujet rare au XVIIe siècle. Avec une part de nu importante, même pour l’époque… »

Le peintre n’hésitait pas, de fait, à réaliser plusieurs versions de ses toiles. Des « originaux multiples », reprend Corentin Dury, qui sont même une marque de fabrique. Trois autres versions de cet « Atalante et Hippomène » sont aujourd’hui identifiées. L’une est conservée au musée de Capodimonte à Naples, l’autre au musée du Prado à Madrid, le dernier ayant été identifié au sein d’une collection particulière italienne.

Qui est le commanditaire ?

Ce formidable travail de documentation de l’œuvre, « mal fait au moment de la donation, ce qui a laissé penser qu’il s’agissait d’une copie », rappelle Matthieu Dussauge, conservateur en chef du patrimoine, a été essentiel. Ce dernier loue le travail de Caroline Fillon, « avec une pensée pour Estelle Moulineau », régisseuse du musée qui s’est posé les bonnes questions au moment du récolement. Mais aussi des experts du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), dont les recherches ont permis de faire avancer la datation de l’œuvre.

Des questions subsistent malgré tout. Qui a commandé ce tableau exceptionnel à cet artiste très en cour ? À quelle fin ? « C’est une œuvre coûteuse, rappelle Corentin Duty. C’est aussi un sujet rare au XVIIe siècle. Avec une part de nu importante, même pour l’époque… » L’enquête n’est pas terminée.

Un appel au mécénat
« Le tableau va rester à Libourne et trouver sa place au musée des Beaux-Arts », assure le maire Philippe Buisson. Sa restauration par Sophie Jarrosson, plus longue qu’envisagée, va désormais se poursuivre à huis clos. Il faudra ensuite la protéger et l’encadrer. « Tout cela va coûter quelques dizaines de milliers d’euros supplémentaires », estime l’élu. Il lance aujourd’hui un appel à mécénat pour boucler le budget. « Nous avons déjà des propositions émanant de quelques personnalités. » Rendez-vous est donné mi-novembre pour un accrochage officiel.