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La campagne présidentielle en Pologne a révélé de nombreux clivages et différends au sein de la classe politique polonaise. Cependant, sur une question, les politiciens étaient plutôt unanimes : la Pologne ne devrait pas, du moins pour l’instant, rejoindre la zone euro.
« Il n’y a jamais eu en Pologne de débat approfondi, honnête et factuel sur l’adoption de l’euro », explique Jakub Borowski, économiste en chef au Credit Agricole Bank Polska et assistant professeur à l’École des hautes études commerciales de Varsovie. « La campagne présidentielle en est un bon exemple. En fait, aucun des candidats n’a abordé ce sujet de manière positive », poursuit-il.
Dans une interview accordée à Slawomir Mentzen avant le second tour, Rafal Trzaskowski, candidat de la Coalition civique (KO), considéré comme un libéral pro-européen, et Karol Nawrocki, président élu soutenu par le parti Droit et Justice (PiS), ont tous deux exprimé leur opposition à l’euro.
Cela reflète l’aversion du public polonais pour la monnaie unique. Selon une étude du Warsaw Enterprise Institute, 74 % des Polonais interrogés sont opposés à l’introduction de l’euro. Cela s’explique en partie par le fait que l’équilibre entre les avantages et les risques liés à l’adhésion à l’euro est difficile à appréhender d’un point de vue analytique, note Jakub Borowski.
« Cependant, il y a un élément dans ce débat que le public comprend. Il s’agit des inquiétudes concernant l’augmentation des prix après l’entrée dans la zone euro », explique-t-il. « Pour chaque pays qui est entré dans la zone euro, des études ont été réalisées pour déterminer si les prix avaient augmenté. Si les prix augmentaient, c’était de quelques dixièmes de pourcentage », explique l’économiste.
Quels sont les pays qui n’utilisent pas l’euro, à part la Pologne, et pourquoi ?
20 des 27 États membres de l’UE ont adopté l’euro. Le dernier pays à avoir rejoint l’Union monétaire est la Croatie, en 2023. Sept pays de l’UE ne font toujours pas partie de la zone euro. Il s’agit de la République tchèque, du Danemark, de la Hongrie, de la Pologne, de la Roumanie, de la Suède et de la Bulgarie, qui rejoindra l’euro le 1er janvier 2026. Il convient de noter que la Bulgarie a rattaché le taux de change du lev, sa monnaie, à l’euro en 1999.
L’adhésion à l’euro est théoriquement requise par l’UE, bien que les traités ne fixent pas de date limite. Certains pays n’ont pas rejoint la zone euro en raison d’une opposition exprimée par référendum ou par manque de volonté politique.
« Pour entrer dans la zone euro, il faut modifier la constitution et obtenir un vote des 2/3 à la Diète polonaise. Ces 2/3 ne seront plus atteint pendant de très nombreuses années » note Jakub Borowski.
En 1993, après un référendum, le gouvernement danois a négocié un mécanisme dit d’option de retrait dans le cadre de l’accord de Copenhague, qui exempte le pays de certaines politiques communes de l’UE, y compris la monnaie unique. Les Suédois ont également voté contre l’euro lors d’un référendum en 2003, bien que le pays n’ait pas formellement négocié une « option de retrait » comme le Danemark.
D’autres pays, comme la Pologne, ne remplissent pas les critères formels d’adhésion à la monnaie unique, tels qu’un faible endettement et une faible inflation.
« Si nous devons entrer dans la zone euro, la dette peut être supérieure à 60 % (par rapport au PIB), mais elle doit descendre assez rapidement pour atteindre ces 60 %. Ce n’est pas du tout notre cas. Nous nous éloignerons des 60 %. Nous avons beaucoup de dépenses d’armement, il y a une forte pression pour augmenter d’autres dépenses et réduire les impôts », explique Jakub Borowski.
En République tchèque, le soutien de l’opinion publique à l’adoption de l’euro était élevé lorsque le pays a rejoint l’UE en 2004. Cependant, dès avril 2019, 75 % de la population s’y opposait, craignant une hausse des prix. Certains hommes politiques ont un point de vue différent. Jeudi, le président tchèque Petr Pavel a appelé son pays à adopter l’euro pour faciliter le commerce et éviter une situation de marginalisation économique.
En Hongrie, le soutien à l’euro, autrefois important sous les gouvernements socialistes, a fortement diminué. Aujourd’hui, après une période de déficits et d’inflation élevés, la Hongrie ne remplit plus les critères.
La Roumanie semble être sur la bonne voie pour rejoindre l’euro, avec un fort soutien public pour le projet. C’était également le cas de la Croatie, dont la monnaie avait été rattachée à l’euro avant son adoption définitive en 2023.
Quatre pays non membres de l’UE (Andorre, Monaco, Saint-Marin et la Cité du Vatican) utilisent l’euro en vertu d’accords formels avec l’Union. En revanche, deux États des Balkans occidentaux, le Monténégro et le Kosovo, ont unilatéralement adopté l’euro en 2002, qui, bien qu’il n’ait pas cours légal, fait office de monnaie de facto sur leur territoire.
Avantages et inconvénients d’une monnaie commune
Les économistes débattent depuis longtemps des avantages et des inconvénients de l’adhésion à l’euro. « En cas d’adhésion à l’euro, les revenus et les dépenses des Polonais augmenteront plus rapidement. L’accès au crédit sera plus important », analyse Jakub Borowski.
« D’autres avantages sont mineurs par nature ou ont des effets significatifs mais indirects. Par exemple, le commerce entre la Pologne et la zone euro augmentera en raison de l’élimination des fluctuations des taux de change. L’intensification de nos échanges commerciaux favorisera le transfert de connaissances et de technologies. Le PIB et les revenus seront alors plus élevés. La baisse des taux d’intérêt après l’adoption de l’euro se traduira par une augmentation des investissements et de la croissance économique. Mais comment les citoyens ressentiront-ils l’effet de ces mécanismes ? Indirectement. Ils ressentiront le fait qu’ils sont plus riches, mais cela ne se fera pas sentir immédiatement », explique l’économiste.
« D’autre part, la Pologne conserve une plus grande autonomie grâce au comportement du zloty. Elle peut mener une politique monétaire et fiscale indépendante, ce qu’elle ne pourrait pas faire si elle était dans la zone euro. Voilà donc le coût de l’adhésion à l’euro », souligne Peter De Grauwe, économiste à la LSE de Londres.
« Le coût (de l’adhésion) est la perte du taux de change en tant que facteur pouvant stimuler les exportations », note Jakub Borowski. « Sauf que ce rôle (de la dévaluation du taux de change) a considérablement diminué. Nous avons une part beaucoup plus importante d’exportations qui font partie de chaînes de création de valeur mondiales », explique t-il, en donnant l’exemple de l’industrie automobile.
« Nous devons d’abord importer des pièces et assembler ces voitures, ajouter des composants nationaux et les envoyer à l’étranger, et si nous importons beaucoup pour exporter, alors ces exportations ne sont plus sensibles au taux de change. En d’autres termes, si le zloty s’affaiblit, les biens intermédiaires importés sont plus chers, ce qui réduit l’impact de l’affaiblissement du zloty sur la compétitivité des constructeurs automobiles », ajoute-t-il.
La monnaie unique : crises et réformes
Les échos de la crise financière qui a frappé la zone euro au début de la décennie précédente, et en particulier des pays comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal, résonnent encore. Si le surendettement a été l’une des principales causes de la crise, certains mécanismes de la monnaie unique y ont également contribué.
L’un d’entre eux est la politique monétaire unique menée par la Banque centrale européenne (BCE) en dépit des différences économiques entre les pays. De plus, la politique controversée dite « d’austérité », qui vise à réduire les déficits principalement par des coupes dans les dépenses publiques, a été imposée aux pays en crise. Cette politique a contribué à une faible croissance économique et à un taux de chômage élevé dans ces pays.
L’Union européenne a procédé à un certain nombre de changements afin d’accroître la résistance aux crises. « La première grande étape a été l’annonce par la BCE en 2012 du programme dit OMT (opérations monétaires sur titres), qui consistait en un engagement à acheter un nombre illimité d’obligations souveraines », explique De Grauwe.
Il explique aussi que la BCE est alors devenue de facto le « prêteur en dernier ressort », ce qui a réduit la panique sur le marché. Une situation similaire s’est produite lors de la pandémie de coronavirus, lorsque la BCE a mis en place un programme appelé Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP).
Un autre problème est l’absence d’une politique budgétaire unifiée au niveau de l’UE pour répondre aux chocs économiques dans les différents pays par le biais des dépenses et des investissements publics. Certains programmes ont été mis en place, comme le fonds « Next Generation EU » (NGEU), doté d’environ 800 milliards d’euros pour la relance post-pandémique, mais certains économistes estiment que ce n’est pas suffisant.
« Je pense que nous devons avancer dans cette direction, pas à pas, vers une union fiscale », déclare Peter De Grauwe.
« Deuxièmement, nous devons réformer les règles fiscales qui permettent aux gouvernements de réaliser des investissements publics et de les financer en émettant des obligations. Aujourd’hui nous avons besoin d’investissements publics dans les domaines de l’environnement, du climat et de la transition énergétique. Le fait que ces investissements doivent (actuellement) être financés par des impôts ou par une réduction des dépenses publiques ailleurs, est un fardeau pour le système », conclut l’économiste.