L’événement organisé ce week-end va multiplier les débats avec les professionnels du secteur sur les risques et les opportunités de la création assistée par intelligence artificielle.

Accusé, procureur, témoins et avocats réunis autour du chef d’accusation suivant : un blockbuster entièrement créé par une intelligence artificielle, sans acteurs, ni techniciens humains, a-t-il le droit d’être projeté dans les salles de cinéma françaises ? Ce procès fictif — mais qui pourrait ressembler à un futur proche — imaginé par l’agence Aura Éloquence ouvrira ce vendredi à Nice la première édition du World AI Film Festival, consacré à l’intelligence artificielle (IA) et à l’innovation dans le cinéma.

Une entrée en matière «rigolote mais qui soulève des questions bien sérieuses sur les enjeux de l’IA» selon Sarah Lelouch, coorganisatrice de l’évènement, suivie d’une cérémonie de remise de prix. À la clé, 10 000 euros pour le participant qui produira le meilleur court-métrage en utilisant au moins trois logiciels d’IA, mais aussi pour l’auteur du meilleur synopsis de long-métrage créé à l’aide de cette technologie.

Des débats autour de l’IA

Sur les quatre prix décernés par le festival, le jury a examiné près de 1600 films provenant de 66 pays. «Je suis convaincue que l’IA peut être une alliée précieuse pour démocratiser et enrichir la production cinématographique», estime Sarah Lelouch. «L’avenir appartient à ceux qui savent manier ces nouveaux outils, autant techniquement qu’éthiquement.»

Si plusieurs festivals, à l’instar de ceux organisés par Artefact ou Runway, récompensent déjà la création cinématographique assistée par IA, le World AI Film Festival affiche d’autres ambitions : favoriser le dialogue entre les parties prenantes à coups d’évènements de networking et de tables rondes entre professionnels de l’audiovisuel. L’objectif ? Cerner les opportunités, mais aussi les risques induits par l’émergence de l’IA au cinéma.

Par exemple, une table ronde sera consacrée à la question du consentement et de la rémunération des auteurs d’œuvres servant à entraîner les modèles d’IA. Alexandra Bensamoun, membre de la Commission interministérielle de l’IA, y participera. «La culture doit se saisir de l’IA mais sans ignorer les dangers, notamment sur la question de la propriété intellectuelle. On m’a demandé de venir pour faire état de ces risques», explique la professeure de droit privé à l’université Paris-Saclay, spécialiste du droit d’auteur.

«Accorder des voix discordantes»

Parmi les intervenants figurent en outre quatre cinéastes de la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF), «qui a marqué très tôt sa distance vis-à-vis de l’utilisation de l’IA», explique Axelle Ropert, membre de la SRF et autrice d’une tribune critique sur les dangers de cette technologie publiée dans Le Monde. «Crier au miracle technologique à propos de l’IA me paraît très imprudent», poursuit la réalisatrice. «Le World AI Film Festival a eu l’intelligence d’accorder ces voix discordantes.» Invitée à s’exprimer au festival, la cinéaste entend elle aussi insister sur les artistes qu’elle considère comme victime d’un «pillage mondial» pour nourrir les modèles d’IA.

«Il y a urgence à multiplier les plateformes de débat sur l’IA au cinéma », martèle Sarah Lelouch. Pour elle, «lutter ’contre’ est une perte de temps, il faut réfléchir à comment ’faire avec’.» Et pour cause, cette technologie pénètre déjà dans cette industrie. Aux Oscars 2025, deux des films en compétition (The Brutalist et Emilia Pérez) faisaient ainsi l’usage de ces outils, l’un pour améliorer les dialogues prononcés en hongrois par l’acteur Adrian Brody, et l’autre pour améliorer le chant de Karla Sofía Gascón.