INTERVIEW – Après quatre ans d’éclipse, l’actrice et chanteuse HollySiz, devenue mère, revient dans la lumière avec un album introspectif et une série.
Le rendez-vous est fixé. Au cœur de Paris, dans un studio d’enregistrement. «Je suis en pleine réalisation de mon nouvel album. Il était temps», énonce Cécile Cassel, alias HollySiz, sourire aux lèvres. L’album, autoproduit, réunit un riche panel d’invités – dont Ben Mazué et le compositeur Clément Ducol, qui a remporté l’Oscar de la meilleure chanson pour la BO du film Emilia Pérez. Sur les traces de son père, Jean-Pierre Cassel, formidable comédien, chanteur et danseur, Cécile Cassel s’est frayé un chemin d’artiste éclectique en édictant ses propres lois. Elle a débuté comme actrice au début des années 2000, et a brillé dans une quarantaine de rôles. En 2013, elle a fait une entrée remarquée dans l’univers de la musique, sous le nom d’HollySiz. Au fil de deux albums et un EP – dont le flamboyant Rather Than Talking –, elle a dévoilé son talent de chanteuse, auteure et compositrice. Ce matin, son regard frondeur semble révéler une jeune femme qui a affronté des obstacles et les a surmontés. Cela fait quatre ans que Cécile Cassel n’a pas donné d’interview. L’actrice avait déserté l’écran ; la chanteuse s’était éloignée du micro. Pendant ces quatre années, l’artiste a laissé la place à la femme afin de se consacrer à un rôle unique.
Celui d’une mère devenue « solo», tout entière dédiée à son enfant né prématuré qu’elle continue d’entourer d’une attention toute particulière pour des raisons médicales. Le plus souvent, la vie accorde le temps nécessaire à une femme pour comprendre et apprécier la maternité. Dans son cas, l’apprentissage est passé par un cours magistral en accéléré. En quelques mois, Cécile Cassel avait déjà tout expérimenté : la joie, mais aussi les angoisses, les sacrifices et les combats quotidiens d’une mère célibataire. En juin 2024, pour son 42e anniversaire, son demi-frère, l’acteur Vincent Cassel, lui adressait un hommage sur Instagram : «Happy birthday à ma sœur adorée, la guerrière HollySiz.» Aujourd’hui, Cécile Cassel s’essaye au merveilleux art du funambulisme féminin, qui consiste à se démultiplier. Mère aimante, femme battante et artiste passionnée, elle incarne tous les rôles. À la rentrée, HollySiz livre le premier single de son nouvel album, une ode pleine d’empathie pour les femmes (la sortie est prévue début 2026). L’actrice revient également avec un premier rôle dans la série Culte – 2Be3, dont la diffusion est prévue à l’automne (sur Amazon Prime Video). Un sourire lui échappe pendant qu’elle se livre avec pudeur. Rayonnante. Une femme en mouvement.
Madame Figaro. – Vous réalisez un nouveau disque avec la complicité de Clément Ducol, récemment Oscarisé. Comment a débuté cette collaboration ?
Cécile Cassel. – Je l’ai sollicité en septembre dernier, et il a accepté d’écouter 25 morceaux que je venais de terminer. C’était juste avant le début de la campagne des Oscars pour la BO d’Emilia Pérez, il était à Los Angeles, et nous avons commencé à travailler à son retour. Il avait aimé les titres et commencé à imaginer les arrangements. Clément vient du classique : il est arrivé avec des partitions de cordes et d’instruments acoustiques, ce qui m’a ravie. J’avais commencé à écrire des morceaux pour cet album en 2021, mais j’ai dû tout arrêter peu après être tombée enceinte. Du jour au lendemain, j’ai été contrainte à l’immobilité pendant trois mois et demi, à cause d’une grossesse à risque, avec l’autorisation de me lever une seule fois par jour, puis je suis restée entre quatre murs pendant encore six mois. Cette période m’a laissé le temps de réfléchir, aussi sur mon disque. En réécoutant les ébauches des chansons que j’avais écrites, je les ai trouvées obsolètes. Elles étaient en anglais, comme pour tous mes autres albums. J’ai ressenti le besoin de tout reprendre en français, ma langue maternelle, plus en lien direct avec mes émotions. Le français s’est imposé naturellement. Écrire dans ma langue m’a donné accès à une liberté de création que je n’avais pas expérimentée jusque-là.
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Il y a onze ans, vous décidez de conquérir l’univers de la musique en vous présentant sous l’identité d’HollySiz ? Qu’est-ce qui a dicté cette métamorphose ?
Ça a été un choix viscéral, mais il n’est pas venu de nulle part. Tout comme le pseudonyme. Siz, c’est un surnom qu’on m’a donné quand j’étais gamine. Holly, le «houx» en anglais, est une nuance de rouge que j’ai souvent tenté de transposer en sons dans mes chansons. La musique a toujours été un baume pour moi. La danse occupe également une place centrale dans ma vie depuis mon enfance. J’ai commencé à prendre des cours de ballet toute petite, et mon rêve était d’intégrer l’Opéra de Paris. Chez moi, tout passe par le corps.
Être contrainte à l’immobilité pendant des mois a dû être une épreuve…
Habituellement, je marche 13 km par jour et j’adore danser. L’immobilité forcée s’est révélée dure, mais cette expérience m’a permis de comprendre que toute ma vie, j’ai fonctionné sur un rythme effréné. J’ai toujours ressenti un trop-plein d’énergie difficile à canaliser. Marion Motin, une chorégraphe avec laquelle j’avais travaillé, avait tenté de m’aider à ralentir en me connectant mieux à mes sensations. Ma première réaction avait été un sentiment de frustration. Quand je me suis retrouvée enfermée chez moi, j’ai éprouvé cette même sensation insupportable de sidération et de vertige. Mais une fois passé cet état, j’ai lâché prise et tout a changé. J’ai commencé à voyager dans ma tête, comme jamais auparavant. J’ai écouté énormément de musique, dont l’intégrale des Beatles et les vinyles de jazz de mon père. Mais avec une capacité d’écoute amplifiée. J’ai compris combien le corps vibre à travers le son et que, par sa nature, la musique incarne le mouvement. J’ai compris combien l’immobilité n’a rien à voir avec l’immobilisme. Cette expérience a été thérapeutique.
Après quatre ans d’absence, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
J’aspire à me remettre en mouvement. J’ai envie que cet album raconte tout le chemin parcouru. Il m’importe de trouver les mots justes qui pointent mes (r)évolutions intimes. Les tempos de mes chansons sont devenus langoureux, même lorsqu’ils sont dansants. Mon débit est plus nonchalant et ma palette vocale s’est enrichie, je crois, d’un registre plus incarné. J’ai invité des artistes à chanter, comme Adrien Gallo ou Owlle. Surtout, les textes ont pris une place centrale. Une longue conversation avec Ben Mazué a nourri cet album. Nous avons coécrit un morceau. Il parle d’un cœur brisé en mille morceaux et de ce qu’on peut reconstruire une fois qu’on les a rassemblés.
Cécile Cassel porte une robe frangée brodée de strass et body, 3.1 Phillip Lim. Mules Burberry.
Mathieu Forget
Votre nouvel album parle des combats que doivent mener les femmes. En quoi l’égalité reste un défi quotidien ?
Depuis que je suis maman, je me confronte à l’inégalité folle entre hommes et femmes. J’ai l’impression que mon féminisme a volé en éclats avec la maternité. Le constat est cruel : tous les choix d’une mère sont liés au bien-être de son enfant, ce qui n’est pas toujours le cas des pères. Quoi qu’on fasse, la société porte un jugement sur nous, les femmes. Si nous retournons au travail trop vite, la culpabilité nous gagne, car on nous fait sentir qu’on ne s’occupe pas suffisamment de notre enfant. Mais si nous prenons le temps de rester avec notre bébé, des petites remarques fusent à propos d’une prétendue oisiveté… Je crois que nous, les femmes, sommes nées coupables. Coupables de tout… J’ai écrit une chanson, intitulée Coupables, à ce sujet. Elle détaille la liste de tous nos «crimes et délits», qui remontent au temps d’Adam et Ève.
De quoi les femmes sont-elles coupables ?
Coupables de devenir mère trop tôt, ou trop tard, ou encore d’avoir choisi de ne pas vouloir être mère. Coupables d’être trop dépendantes d’un homme, ou trop autonomes. Coupables d’avoir fui une relation toxique de couple ou,
à l’inverse, d’y être restée. Coupables d’être trop sexy, pas assez naturelles ou, à l’opposé, de se laisser aller. Par exemple, je lisais le commentaire d’un homme sous une vidéo, postée par Kate Winslet sur son compte Instagram : «For God’s sake, put Botox on your face» (Nom de Dieu, injectez-vous du Botox), sans comprendre que la démarche de Kate Winslet est exactement
à l’opposé. Bref, la liste est sans fin et impitoyable. Aujourd’hui, il faudrait être mère, cheffe d’entreprise, faire du sport trois fois par semaine, avoir une vie sexuelle épanouie, tout cela avec le sourire et sans jamais se plaindre. Et les hommes dans tout ça ?
Quelle image avez-vous eu des hommes dans votre enfance ?
J’ai grandi avec un père très présent, qui adorait être avec moi. Enfant, à mes cours de danse, il n’y avait que des femmes sur le banc où les parents attendaient et, au milieu d’elles, mon père. J’ai gardé en tête cette image, et aussi celle de mes frères qui étaient très investis dans l’éducation de leurs enfants. La répartition des tâches était donc une évidence à mes yeux. Mais, depuis la naissance de mon enfant, toutes mes certitudes se sont envolées. Le diktat qui commande aux mères de s’arrêter de travailler, pour gérer un nouveau-né, est ancré dans la société, alors que les règles devraient s’appliquer dans le respect de la parité, parce qu’on est deux à faire un enfant. Pourtant, autour de moi, je vois beaucoup de pères démissionnaires. Quand on se rend dans les services de soin des hôpitaux avec un enfant malade, on constate que 90 % des aides-soignants sont des femmes. Et dans les chambres, ce sont presque toujours des femmes qui accompagnent et restent avec leurs enfants.
Cécile Cassel porte une robe en mousseline, N°21. Coiffure Tié Toyama. Maquillage Tatsu Yamanaka. Manucure Julie Villanova.
Mathieu Forget
Comment vous êtes-vous libérée du sentiment de culpabilité en reprenant vos activités ?
D’abord, je n’ai pas eu le choix, car je dois payer mes factures. Mais je ne me suis pas totalement libérée de la culpabilité, même si j’y travaille. J’ai cessé toute activité professionnelle pendant plus de trois ans, parce que ma place était près de mon enfant qui a encore des fragilités. Ensuite, je me suis dit que la meilleure éducation est l’exemplarité. Être une maman solo, c’est difficile, mais je veux transmettre à mon enfant l’idée que l’on se sort de tout. J’ai envie de véhiculer l’image positive d’une femme joyeuse et affranchie, qui travaille et qui est portée par une passion.
Cet automne, on vous retrouve dans la série Culte – 2BE3, où vous jouez la compagne du chanteur de ce boys band des années 1990. Qu’est-ce qui vous a intéressée chez elle ?
Sa modernité. Quand Filip Nikolic l’a rencontrée, Valérie Bourdin était une femme déterminée, en avance sur son temps. C’était une mère célibataire très indépendante, qui avait été mannequin et photographe ; elle avait vécu aux États-Unis et élevait sa fille tout en exerçant un métier. Il l’a aperçue de dos, dans la boutique qu’elle dirigeait, et il en est tombé amoureux. Elle avait six ans de plus que lui et il a épousé sa vie, en s’occupant de sa fille comme un père. Ils ont eu une autre enfant ensemble. Il s’agit de l’un des premiers couples médiatisés où la femme est la plus âgée. Je trouve important de porter cet écart à l’écran.
Dans le métier d’artiste, votre polyvalence a-t-elle été une alliée ou un obstacle ?
Au départ, je me suis montrée radicale dans mes choix : quand je me suis lancée dans la musique, j’ai arrêté d’être actrice pendant douze ans, de peur de ne pas être crédible dans les deux rôles à la fois. Dans l’univers anglo-saxon, dans lequel j’ai grandi, la polyvalence était saluée comme un atout, mais pas en France. J’ai changé d’avis, parce que la société a évolué : Pomme tourne des films en parallèle de sa carrière de chanteuse, tout comme Juliette Armanet ou Benjamin Biolay. Dans le même temps, une génération de réalisatrices a émergé : elles ouvrent une nouvelle voie dans laquelle je me reconnais, comme Yaël Langmann, Rebecca Zlotowski, Monia Chokri ou Justine Triet… Grâce à ces figures, je m’autorise davantage. À la rentrée, je vais jouer dans une pièce de théâtre, dont je compose la BO. Ce que je me serais interdit il y a quelques années…
Les mouvements de l’âme sont-ils une condition essentielle à la création ?
Je me méfie de l’idée romantique qui associe la création à la souffrance. Il est vrai que dans les instants de difficulté profonde, on est dépourvu de tout artifice. Mais j’ai pour ambition de pénétrer cette zone de l’authenticité également via les moments de joie. Ces dernières années m’ont appris que le bonheur et la tristesse sont des états en constante mutation. Je me sens proche du concept d’amor fati, de Nietzsche, tendu vers l’acceptation du destin. Il nous invite à embrasser ce qui nous arrive, à s’adapter et danser avec le chaos. J’ai parfois l’impression de pratiquer à répétition l’art du kintsugi, cette technique japonaise de réparation à l’or qui permet aux objets de vivre une deuxième vie, puis d’autres encore…