Pour comprendre leur engagement mortifère, ce documentaire interroge d’anciens nazis en proie aux remords ou, hélas, à la nostalgie.
« Effroyablement normaux. » Face à l’attitude des tortionnaires des camps de concentration et d’extermination, Hannah Arendt avait eu recours à cette expression, qui exprime en d’autres mots le concept fameux de banalité du mal théorisé en 1963. L’étaient-ils, effroyablement normaux, les soldats zélés du Troisième Reich ? Dans la tête des SS, un documentaire sorti en 2018 que rediffuse la toute jeune chaîne T18 apporte de précieux éléments de réponse. Cette heure et demie de narration historique est entrecoupée d’entretiens avec d’anciens hommes de la Schutzstaffel.
Hitler, dès les années 1930, leur avait fait croire qu’ils deviendraient des seigneurs. L’élite d’une Allemagne ivre d’elle-même. Les images, pour certaines colorisées, montrent les défilés géants, les visages et les costumes illuminés par des torches, les bras qui se lèvent au passage du Führer. « On ne peut plus comprendre ces émotions d’alors (…) L’idéologie inculquée nous faisait penser que nous n’étions rien et que le peuple était tout », se souvient un ex-SS qui s’est racheté en devenant pasteur.
À force d’archives et de contextualisation, le documentaire s’emploie à faire comprendre ces « émotions ». Cette fierté germanique érigée en religion – on baptisait devant des portraits de Hitler – née des cendres de la guerre précédente, qui a conduit l’Allemagne à se chercher un nouvel amour-propre. « Le Traité de Versailles de 1918 a été une humiliation », s’énerve ainsi un ancien SS autrichien, à la nostalgie sinistre. Il n’a visiblement pas fait le deuil des cérémonials pseudo-mythologiques nazis et de la notion d’« honneur » que les SS brandissaient comme un couteau.
Absence de culpabilité
À les entendre, tout les poussait à l’obéissance. Et d’abord une haine des Juifs, présentés comme l’origine du mal. Après s’être déchaînée en 1934 contre les hommes de la SA, la section d’assaut rivale des SS, leur violence éclate lors des pogroms de la Nuit de Cristal, en 1938. L’idée même de culpabilité n’effleure visiblement pas les esprits. Comme leur indiquent les discours de propagande, ils s’estiment victimes du « judéo-bolchévisme ». Alors, lorsqu’on demande à Hans Friedrich ce qu’il ressentait en donnant la mort par balle en 1941 à des Juifs soviétiques, il répond : « Je me disais juste : vise bien ».
La SS, à laquelle des Français, des Belges ou des Bosniaques ont d’ailleurs appartenu, s’est distinguée par sa sauvagerie. En France, à Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944, en assassinant 643 habitants. À Distomo, en Grèce, à la même époque, en tuant 218 civils. Ou en administrant les camps de la mort. Quelque 40 000 gardiens, en tout, dont beaucoup n’ont jamais été inquiétés après guerre. Certains anciens SS montrent dans le film de la lucidité. Comme cet homme, devenu syndicaliste de gauche, qui a mis en garde au cours de son existence contre les dangers de la propagande. D’autres affirment face à la caméra que les crimes nazis n’ont jamais existé. Herta Bothe, elle, ne peut les nier puisqu’elle travaillait dans les camps de Ravensbrück et Stutthof. Mais cette vieille dame, aujourd’hui disparue, considère qu’elle « ne pouvai(t) rien pour eux ». Pour les déportés. D’une effroyable banalité.