Après “West Side Story” en 2022, Barrie Kosky revient à l’Opéra national du Rhin faire un sort au cultissime musical de Stephen Sondheim, précipitant un plateau vocal hétérogène mais enthousiasmant dans les affres de Fleet Street.

“Sweeney Todd” de Sondheim à Strasbourg

© Klara Beck

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Du Fleet Street de penny dreadful victorien il ne reste rien ou presque. Exit le coupe-gorge à la Dickens, le gothique dont s’était emparé Tim Burton… Si le metteur en scène évoque dans les notes de programme l’Angleterre des années Thatcher et le Berlin des années 1930, difficile en réalité de déceler un quelconque ancrage temporel ou géographique dans cette société privée de repère, dont le désenchantement perce à travers les décors imaginés par Katrin Lea Tag. Plongés dans la grisaille post-moderne, le diabolique barbier Sweeney Todd et sa complice Mrs. Lovett tiennent un macabre commerce : lui fait parler ses rasoirs, décidé à se venger de la bonne société londonienne et du juge Turpin qui, quinze ans auparavant, le condamna injustement à l’exil ; elle, pragmatique, saisit l’opportunité de cette abondance inespérée de chair fraîche pour relancer son affaire de tourtes à la viande. Juteux business.

Intelligence, efficacité

Au fantasque du livret conçu par Hugh Wheeler répond donc l’univers doucement barré d’un Barrie Kosky passé maître dans l’art du décalage, du contraste, de l’insolite. Et, surtout, du divertissement ! Un divertissement léché dans ses moindres détails, pas démonstratif pour un sou voire plutôt sobre, qui se paye même le luxe de prêter à la virtuosité les atours de la simplicité. Mais ne nous y trompons pas : derrière la légèreté et l’impertinence se dissimule une mécanique parfaitement rodée – fluidité des transitions, direction d’acteur au cordeau, rythme de la scène qui toujours épouse celui de la fosse… Redoutable d’efficacité et d’intelligence musicale, la qualité de la réalisation compense donc en partie la relative sagesse d’un Kosky qu’on a connu plus déjanté, ici davantage en maîtrise qu’en prise de risque. D’aucuns regretteront en outre une proposition sans tiroirs dissimulés, ni ce second niveau de lecture qu’autorise pourtant la pièce originale de Christopher Bond – féroce satire sociale dans laquelle puise Sondheim.

Jour nouveau

Purs produits de la comédie musicale et grands noms du répertoire lyrique partagent l’affiche, sans que cette diversité n’empiète sur la cohérence du plateau. Entre les deux Natalie Dessay, définitivement reconvertie dans le musical et pas piquée des hannetons en inénarrable Mrs. Lovett, démontre une gouaille irrésistible, y compris lorsque çà et là pâlit l’accent cockney. Et si les aigus – faute d’un belting assez poussé dans le haut de la tessiture – manquent encore un peu de chair, quel plaisir de découvrir sous un jour nouveau ces bas médiums délicieusement poitrinés par la soprano qui sait comme nulle autre communier avec le public le plaisir de la scène et de la prise de rôle – vivement Follies l’année prochaine ! Pour lui donner la réplique, le Sweeney de Scott Hendricks s’appuie sur un baryton généreux, tour à tour explosif ou élancé, qui fera passer sur une posture quelquefois gueularde, au contraire du salace juge Turpin campé par Zachary Altman, tout en vice rentré et en lutte intérieure dans « Johanna (Mea Culpa) ». Cette dernière peut compter sur une touchante Marie Oppert : timbre solaire, incarnation lumineuse, la pensionnaire de la Comédie-Française rayonne à travers la morosité ambiante. Tirent également leur épingle du jeu la truculente Mendiante de Jasmine Roy et le tendre Anthony de Noah Harrison, sans oublier un Chœur maison irréprochable.

A la baguette, Bassem Akiki coordonne tout ce beau monde de main de maître, mais peine parfois à déployer tout le luxe de la partition : obligé de lutter contre une amplification envahissante et désagréable, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg se voit réduit à la portion congrue avant que l’équilibre des micros ne s’ajuste après l’entracte. Menu détail qui ne détournera pas d’un spectacle sans faiblesse.

Sweeney Todd de Sondheim. Strasbourg, Opéra national du Rhin, le 17 juin. Représentations jusqu’au 24 juin, puis les 5 et 6 juillet à Mulhouse.