Arbitre formateur référencé à la Fédération française de basket-ball (FFBB), Johann Jeanneau a été mis à pied à titre conservatoire en raison d’accusations de harcèlement sexuel et moral. Une enquête en interne est en cours, suite à la réception de cinq signalements, depuis fin décembre.
Une véritable déflagration. Johann Jeanneau, 49 ans, arbitre formateur salarié à la Fédération française de basket-ball (FFBB) depuis 2005, a été mis à pied à titre conservatoire, mercredi 12 février. Dans un signalement transmis à la Fédération, fin décembre, que nous avons pu consulter, Léo (le prénom a été modifié), un arbitre, lui reproche des messages à connotation sexuelle, remontant à 2016. « C’est pas parce qu’on est au régime qu’on ne peut pas regarder le menu ! » ; « Ils m’ont dit de te payer en nature » ; « Je te trouve très gay… » : ce genre de SMS, que France Télévisions a pu lire, auraient été envoyés à plusieurs arbitres de sexe masculin.
Selon certains officiels, ces messages laissent à penser qu’il a monnayé des faveurs sexuelles, en contrepartie de bonnes notations de sa part, ou d’autres avantages. Contacté, Johann Jeanneau n’a pas donné suite à nos sollicitations. À ce stade, il ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire et il bénéficie de la présomption d’innocence.
L’arbitre formateur Johann Jeanneau, en 2023. (France Télévisions)
Frère de l’ancien international français Aymeric Jeanneau (56 sélections) qui est aujourd’hui general manager du Stade Rochelais, Johann Jeanneau est une référence dans le milieu : arbitre en première division depuis 2004 et sur la scène internationale, entre 2007 et 2017. Formateur réputé, il est également l’adjoint au chef de service des officiels du pôle formation et emploi de la FFBB.
Depuis son élection à la tête de la FFBB et sa prise de fonction à la mi-décembre, Jean-Pierre Hunckler indique que la Fédération a reçu cinq signalements visant un salarié de la FFBB pour des accusations de harcèlement moral et/ou sexuel, et qu’une enquête a été ouverte en interne lors de la troisième semaine de décembre. « Je suis ce dossier de très près et même s’il y a des décisions très dures à prendre, elles seront prises », affirme à France Télévisions le nouveau patron du basket français.
Fin décembre 2024, une publication sur le réseau social LinkedIn met le feu aux poudres. Neuf ans après les faits dénoncés, Léo, un arbitre, explique avoir été victime de « propos inacceptables » et « d’avances explicites », « émanant d’un cadre formateur en position d’autorité » . Il dit ensuite avoir subi des situations s’apparentant à du harcèlement moral et à de la diffamation de cette même personne, « avec des propos dénigrants et mensongers visant à nuire à sa réputation ».
Publication sur le réseau social LinkedIn, de décembre 2024. (LINKEDIN)
Début 2025, un nouvel élément s’ajoute au dossier : deux femmes arbitres relatent des « propos totalement déplacés et inappropriés », dixit Jean-Pierre Hunckler, à la suite d’un stage à Bourges (Cher), mi-décembre. Ce qui a poussé la Fédération de basket – également sous pression médiatique – à agir et à suspendre Johann Jeanneau « dans l’urgence » .
Si la FFBB a essayé de garder cette affaire en interne jusqu’au bout, le dossier Johann Jeanneau n’est pas nouveau dans les arcanes du basket français. Selon nos informations, il est connu par les services de la Fédération et du Ministère des Sports depuis plusieurs années. Il a déjà fait l’objet d’un signalement il y a deux ans sous la présidence de Jean-Pierre Siutat. Une première enquête interne n’avait pas donné de suite, ni à une sanction ou à un signalement auprès du Ministère des Sports. Contacté, le cabinet de la ministre confirme, cette fois, qu’il « a bien été saisi par la FFBB » , tout en indiquant qu’il « ne communiqu[e] pas sur les affaires en cours d’instruction » .
Dans ce dossier instruit en interne depuis décembre qui, cette fois, semble recueillir des éléments plus factuels, le directeur général, Alain Contensoux, et les services fédéraux n’ont, pour l’heure, pas jugé nécessaire d’avertir la justice, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. Ce dernier prévoit que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit » doit en informer le procureur de la République, « sans délai » .
La Fédération a préféré mener ses investigations de son côté. « On voulait des compléments d’information et des témoignages avant de transmettre [le signalement] mais s’il y a besoin, on aura recours à l’article 40 », se justifie Jean-Pierre Hunckler.
La Fédération française de basket dans la tourmente (NICOLAS GOISQUE / MAXPPP)
En dehors de cinq signalements entre fin 2024 et début 2025, plusieurs arbitres de championnat de France, ayant suivi des séances de formation sous la direction de Johann Jeanneau, relatent également des « situations troublantes » . Lors d’un stage en 2019, Johann Jeanneau avait léché une sucette « de manière tendancieuse » après une question posée en fin de séance par un jeune officiel, expliquent plusieurs stagiaires. Il y a trois ans, certains arbitres placés sous son autorité rapportent qu’il avait invité un arbitre à venir retirer son lot, après une victoire à un quizz, sur le pas de sa porte de chambre, à la tombée de la nuit. Déjà, à cette époque, “des suspicions » concernant de possibles cas d’harcèlement moral et sexuel circulaient parmi les arbitres, rapporte l’un d’entre eux.
Le début d’une nouvelle ère avec l’élection en décembre de Jean-Pierre Hunckler, premier vice-président de l’instance fédérale entre 2010 et 2024, semble cependant participer à la libération de la parole. Le président de la troisième plus grosse fédération sportive de France espère que « les gens aient confiance [dans le système fédéral] parce qu’il faut crever l’abcès » . « Quand il y a des problèmes, il est hors de question de les masquer ou de les cacher » , ajoute-il, dans un message d’espoir.
Pourtant décrit comme une personne joviale, avenante et qui sait se faire aimer de tous, Johann Jeanneau, d’après le témoignage de certains de ses collègues, ne fait pas l’unanimité au sein du service formation et emploi de la FFBB.
Ils racontent avoir reçu des SMS sur leur téléphone personnel à des heures indues, parfois sur leurs jours de congés, et avoir subi du dénigrement du travail de son équipe dans le dos des principaux concernés, et qu’il cultive un « double visage ». « C’est la définition d’un pervers narcissique : il veut être aimé de tous et que ses collègues se détestent entre eux pour mieux diriger et régner » , avance l’un d’entre eux, éléments matériels à l’appui, que France Télévisions a pu consulter.
Arbitre formateur référencé à la Fédération française de basket-ball (FFBB), Johann Jeanneau a été mis à pied à titre conservatoire en raison d’accusations de harcèlement sexuel et moral.
(Tout le Sport – Thierry Vildary)
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Ils dénoncent aussi un management toxique de certains cadres de la FFBB dont le journal Libération faisait déjà état en décembre dernier, décrivant un climat de travail peu propice à l’épanouissement professionnel où des salariés de l’institution fédérale étaient, selon eux, « fracassés et traumatisés » . Deux mois plus tard, l’affaire Johann Jeanneau vient à nouveau mettre à mal le basket français et le système fédéral.