REPORTAGE – Dans une pétition, ils s’inquiètent du devenir de cette institution nantaise dont la vétusté se fait sentir à l’approche de ses 90 ans d’existence. De son côté, la mairie se défend de l’abandonner.
C’est une institution à Nantes. Le marché couvert de Talensac fêtera en 2027 ses 90 ans. Labellisé «Patrimoine du XXe siècle», ce bâtiment occupé six jours sur sept, qui hébergea jadis des abattoirs, présente des signes de vieillissement. Sa vétusté inquiète particulièrement les commerçants. En ce mardi matin estival, Ludovic Condroyer, fromager, et Pascal Carol, vendeur d’olives et de gourmandises méditerranéennes, commencent leur journée par une visite guidée des lieux.
Devant un groupe constitué, entre autres, de personnalités politiques locales, ils s’arrêtent régulièrement pour détailler les problèmes d’insalubrité du bâtiment. Fientes de pigeons non nettoyées sur les toiles, installations vétustes, odeurs persistantes… «Ça fait des années qu’on sollicite la mairie», soupire Carol Pascal, gérant du stand Les Délices de Provence.
«Créer un électrochoc»
Déjà, en octobre 2023, Le Figaro s’était fait l’écho du ras-le-bol des commerçants. Vingt mois plus tard, aucune évolution majeure n’a été constatée par les occupants. Lassé, l’un d’entre eux a de nouveau pris l’initiative d’alerter sur la situation. Dans une vidéo diffusée début juin sur NTV Media, Ludovic Condroyer, patron de la fromagerie Beillevaire-Talensac, revient en détail sur les problèmes d’insalubrité, au cours d’une discussion menée avec le conseiller municipal d’opposition (LR) et candidat aux prochaines municipales Foulques Chombart de Lauwe. Dans la foulée, une pétition intitulée «Pour un Talensac vivant et respecté» a été publiée. «Le Marché de Talensac, cœur battant de Nantes depuis 1937, traverse aujourd’hui une crise silencieuse», alerte le manifeste signé par plus de 700 personnes, dans lequel les auteurs réclament des travaux d’urgence, à savoir un plan d’assainissement et de nettoyage renforcé et une rénovation des équipements vétustes.
«Ça me fait mal au cœur de voir ce marché dans cet état-là. C’est une question d’hygiène et de sécurité des clients», s’inquiète Ludovic Condroyer. Arrivé en 2001, il a assisté à des gros travaux de rénovation menés en 2003, soit il y a plus de 20 ans. En 2017, le groupe «Talensac Avenir» a été lancé, preuve selon lui que le sujet n’est pas nouveau. «C’est récurrent», confirme un cafetier voisin, qui en entend parler depuis son arrivée il y a cinq ans. «Ce n’est pas un état admissible pour un marché, alors même qu’on est dans une grande ville avec une politique de proximité et de retour au circuit court». «On a l’impression que c’est laissé à l’abandon», abonde un client régulier depuis 25 ans, caddie à la main.
En l’état, les commerçants ne réclament pas un plan d’investissement de réhabilitation totale, mais des travaux d’urgence. «On veut être constructif», insiste Ludovic Condroyer, précisant que faire de ce sujet un objet politique n’est pas le but. «J’aurais pu faire la vidéo avec n’importe qui. Là on veut créer un électrochoc».
636.895 euros investis en 5 ans
«Nous partageons pleinement les constats et les attentes exprimés, notamment en matière d’hygiène, de sécurité, d’expérience client et d’image du marché, qui rejaillit sur celle de la ville», fait savoir Patrick Albera, président de l’association des commerçants de Talensac, qui n’est pas à l’origine de la pétition. «On ne demande pas la lune, juste que Talensac soit traité à la hauteur de ce qu’il représente pour Nantes. » Et de préciser : «Mon rôle, c’est aussi de maintenir un lien de confiance avec la Ville, au-delà des tensions du moment. Je suis toujours en attente d’un rendez-vous avec la maire.»
Sollicitée par Le Figaro sur le sujet lors d’une conférence de presse lundi, la maire socialiste, Johanna Rolland, a laissé répondre son premier adjoint. «On a deux élus qui ont rencontré les commerçants à plusieurs reprises. Maintenant, nous arrivons sur une période électorale où tout le monde devient fébrile, y compris du côté de l’opposition qui utilise ce sujet», a réagi Bassem Asseh. «Évidemment qu’il y a des travaux à faire, mais vu le sujet dont on parle, cela demande de l’anticipation et de la planification», a ajouté celui qui recevra une délégation mardi prochain.
«Mme Rolland va les recevoir»
«Si les commerçants font appel à nous, c’est parce qu’ils ne se sentent pas écoutés. Ils en ont fait un objet politique malgré eux. La mairie ne bouge que comme cela», constate l’opposant Foulques Chombart de Lauwe. «Cela fait des années qu’ils alertent. Johanna Rolland ne les a jamais reçus», a également tancé sur X Julien Bainvel, conseiller municipal et lui aussi candidat de la droite en 2026, présent lors de la visite.
«Mme Rolland va les recevoir», a assuré mardi matin Gildas Salaün, adjoint à la maire de Nantes et délégué aux commerces, après avoir discuté avec des marchands mécontents. «Ce n’est pas une découverte pour la ville. On n’a pas attendu pour travailler avec eux. Nos temporalités sont différentes. Depuis le début du mandat, nous avons dépensé 630.000 euros pour ce marché», se défend l’élu, alors qu’une commission paritaire dédiée à la vingtaine de marchés nantais se réunit chaque trimestre pour assurer un suivi.
Sur les 636.895 euros déboursés depuis le début du mandat par la municipalité, des sommes ont été investies sur des travaux d’électricité, des remplacements d’éclairage, la rénovation des loges de gardien ou encore la mise en place prochaine d’un grillage pour encercler les poubelles, mesure que les commerçants désespéraient de voir venir. Un groupe de travail opérationnel doit être aussi mis en place. Pas de quoi rassurer Ludovic Condroyer et Pascal Carol qui redoutent que cela soit «encore de l’esbroufe», eux qui rappellent que derrière leur combat se trouve la préservation du bien manger à Nantes.
Les commerçants Pascal Carol et Ludovic Condroyer, en train de montrer des fientes de pigeons, qui les exaspèrent particulièrement. Le second dit avoir déjà envoyé trois devis à la mairie pour les faire retirer.
LT/Le Figaro