C’est un album très intime que vous venez de sortir. Êtes-vous soulagée par l’accueil qu’il reçoit ?
« Quand j’ai écrit les textes, c’est parce que j’avais besoin de les écrire. Quand j’ai décidé d’en faire des chansons, c’est parce que j’avais besoin de faire ces chansons pour qu’elles m’accompagnent. Et quand j’ai décidé que ça allait être mon album, je l’ai décidé en mon âme et conscience. Mais c’est vrai qu’il y a toujours un petit moment où tu te demandes si tu n’as pas poussé le curseur un peu trop loin ? Mes chansons sont toujours très personnelles. J’ai eu de l’angoisse à l’idée de balancer un titre comme ‘Décharge mentale’ (la chanson qui ouvre le disque, NdlR.). Je me suis demandé si on n’allait pas penser que j’étais trop fragile. Finalement, j’ai reçu des milliers de messages pour dire ‘merci, c’est exactement ce que je vis. Votre chanson est devenue ma chanson. Vous avez mis des mots sur ce que je n’arrive pas à expliquer à mon mari.’ Ça m’a bouleversée de me dire que j’ai mis des mots sur un truc que des milliers de gens ressentent. Ce n’est peut-être pas censé être un thème de chanson et cela explique peut-être pourquoi, au début, quand je la faisais, ça me serrait la gorge. C’était comme si j’avais dépassé une frontière. À la limite, c’est comme si j’étais en train de vous lire une page de mon journal intime. »
Tout votre album tient du journal intime, non ?
« C’est vrai. ‘Décharge Mentale’, qui a été la première chanson, a ouvert la voie. Je l’ai fait écouter à mon mari, ma mère, ma sœur, ma banquière et même par une personne de la rue qui attendait pour qu’on lave sa voiture. Je lui ai demandé si la chanson lui parlait. Je lui ai mis mon casque sur les oreilles et elle s’est mise à pleurer. Si cette chanson me fait du bien et qu’elle aide les gens à lâcher quelque chose, il faut que mon album soit comme ça. »
Autre particularité de Minuit une, c’est un album qui s’écoute du début à la fin en suivant l’ordre des morceaux. C’est audacieux parce qu’aux antipodes des habitudes actuelles de consommation de la musique…
« Ça a été une de mes angoisses et c’est pour ça que j’ai fait un bel objet (la pochette et le livret sont magnifiques, NdlR). Pour que les gens aient envie d’écouter cet album en lisant les paroles, en passant d’une photo à l’autre dans le livret. J’ai tout fait pour que ça donne envie de l’écouter dans l’ordre comme si on allait passer la nuit ensemble. Ça commence par ‘Minuit une’, le soir dans mon lit, et la dernière chanson, ‘Le sas’, se termine par ‘8h du matin, c’est déjà demain’. C’est une nuit d’insomnie transformée en nuit de confidence. »
Quel est votre rapport à la nuit ?
« Il a évolué. À l’âge de 7-8 ans, il n’était pas fou fou. C’était comme s’il y avait un interrupteur qui passait de ‘off’ à ‘on’ au moment où ça devait être l’inverse. Quand je voyais tout le monde aller se coucher, moi, j’avais l’impression que mon cerveau s’illuminait. Depuis petite j’ai souvent essayé de trouver des trucs à faire le soir : refaire mes placards, trier mon cartable, faire et défaire mon lit. Plus je grandissais, plus je faisais des trucs comme bouger les meubles. J’ai pensé que j’étais un oiseau de nuit, que ma vie d’écolière faisait que j’étais obligée de vivre la journée mais qu’en fait, je devais vivre la nuit. Au début de ma carrière, mes journées commençaient plutôt vers 14h et se finissaient vers 4h du matin. Je n’ai pas vu le matin pendant des années. La maternité m’a remise dans un rythme plus classique. Mais j’ai le cerveau qui se débat encore un peu quand même. Je ne m’endors vraiment que par fatigue. Quand je n’ai pas eu une journée trop lourde, j’ai tendance à vite retomber dans mes travers et à ne pas trouver le sommeil parce que je n’ai pas envie ni besoin. Je cherche des choses à faire et ça peut être une source d’anxiété. »
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La nuit, vous ne cherchez donc pas le silence ?
« Il m’a fallu transformer ce qui pouvait être une source d’angoisse en un moment privilégié de silence, d’intimité, un moment où on réfléchit puis on se met à penser, à raisonner à l’infini. C’est ce que j’ai vécu avec Minuit une Je suis partie de ce sommeil qui ne venait pas. J’étais aussi en deuil, il y avait du chagrin, de la douleur. Je me posais des questions. Tout à coup, ça s’est transformé en une thérapie. Je me suis fait ma propre analyse et j’ai commencé à redécortiquer qui je suis, qu’est-ce qui m’emmerde vraiment, qu’est-ce qui me fait peur, qu’est-ce qui ne va pas, est-ce qu’il y a des choses que je peux changer, est-ce qu’il y a des choses pour lesquelles il vaut mieux que j’arrête de me battre parce que c’est comme ça, c’est la vie. C’est comme ça que j’ai soulevé tous les thèmes de Minuit une. »
Vu le succès de Vivante sorti il y a quatre ans, on s’attendait à vous revoir plus rapidement avec un nouvel album. Que s’est-il passé ?
« Moi aussi, je pensais que dès que j’allais sortir de scène, j’allais rentrer en studio et quatre mois après, en sortir avec un single en radio. Sauf que non. Quand j’ai fini ma tournée en septembre 2023, ça a été le début de la fin de vie de ma grand-mère. Je me suis retrouvée avec ma famille à l’accompagner pour ne pas qu’elle soit seule, jusqu’à la fin, le 24 novembre, à peine deux mois après mon dernier concert. Et là il ne s’agissait plus du tout de retourner en studio et d’aller faire de la musique. »
La très belle pochette du 8e album d’Amel Bent intitulé « Minuit une ». Le disque est sorti le 16 mai 2025. ©D.R.Camélia Jordana, Vitaa et Amel Bent sortent une chanson contre Marine Le Pen (VIDEO)
Le ressort était cassé ?
« Non, mais je n’avais pas envie de faire de la musique. Je ne voulais voir personne, j’avais envie d’être auprès de ma famille. J’ai fait plein de trucs qui étaient beaucoup plus importants que faire un disque à ce moment-là : nous aider à traverser ce moment, à nous reconstruire, ne pas culpabiliser aussi. Parce que je trouve que la fin de vie, c’est un vrai sujet qu’on n’aborde pas. Du jour au lendemain, tu te retrouves à avoir un rôle pour lequel tu n’es pas préparé. Tu ne sais pas comment faire quand les personnes âgées ont peur de mourir. Les deux moments de ma vie où j’ai été perdue, où je n’ai pas trouvé dans les institutions les réponses, ni dans les livres mais en moi-même, c’est lorsque j’ai accouché la première fois et lors de la fin de vie de ma grand-mère. C’est fou comme donner la vie, c’est comme accompagner la mort. »
Ce deuil, vous a fait passer un cap ?
« Pour moi, s’il y a un avant et un après dans ma vie, c’est celui-là. En plus, ça arrive alors que j’entre dans la quarantaine. Je ne le sens pas dans mon corps, mais on m’en parle beaucoup. On me dit que 40 ans, c’est un cap. Le tournant, c’est maintenant : est-ce que tu vas vivre le reste de ta vie comme tu l’as commencée, ou est-ce que c’est peut-être le moment de se dire je me débarrasse de ça, toi je te pardonne, toi je t’aime ? Je le sens, il y a une bascule et c’est maintenant. »
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Vous fêtez vos 40 ans ce samedi 21 juin. Ce cap est-il aussi une source d’angoisse ?
« Aucune angoisse. Pour rien au monde, je voudrais revenir 10, 15 ou 20 ans en arrière. Mais je ne sais pas si ça va durer. Mon mari me dit toujours que mes angoisses reviennent même par la petite porte quand tout va bien. Mais en ce moment, c’est une belle période. Je suis bien, je ne veux pas revenir en arrière. Et demain, je fête cela en petit comité, avec ma moitié et mes trois enfants. »
Vous aimez ça, cette notion de famille ?
« C’est tout ce qui m’intéresse, tout ce que j’aime, tout ce qui me rassure. C’est mon équilibre. »
Nous discutons de nuit, d’angoisses et de deuil alors que votre album est tout sauf sombre…
« Il ne faut pas se fier aux apparences. Une petite fille a regardé le livret du disque et m’a dit qu’il est tout noir, l’album. Je lui ai dit non, il n’est pas noir, il est nuit, ce n’est pas exactement la même chose. La nuit, ça peut être le monstre sous le lit, les angoisses, les cauchemars, mais c’est aussi le rêve et l’imaginaire. Et puis surtout, c’est l’aube qui va arriver, une nouvelle journée qui commence. C’est pour ça qu’il s’appelle Minuit une et pas Minuit. Parce que c’est déjà demain. »
Impossible de ne pas évoquer « Mauvais rôle », une chanson très marquante de ce nouvel album. Elle parle de violences familiales et de votre maman, c’est bien ça ?
« C’est le point de départ de la chanson mais ce n’est pas le plus important. Elle traite d’un sujet dont on ne parle pas beaucoup : quand les enfants, parfois, deviennent les parents de leurs parents alors qu’ils ne sont encore que des enfants. C’est-à-dire qu’ils ont un mauvais rôle. Petite fille, je me suis retrouvée à avoir l’impression d’être celle qui allait sauver ma maman mais je ne le pouvais pas puisque je n’étais qu’une enfant. J’étais pressée de grandir pour pouvoir faire des choix qui allaient la sauver ou changer sa vie. Quand je suis devenue jeune femme, j’ai eu du mal à passer le cap de l’enfance à la vie d’adulte parce que j’étais déjà une adulte. Après, forcément, tu cherches des coupables. Et tu mets du temps, parfois, jusqu’à ce que tu deviennes toi-même parent, pour comprendre que c’est la faute de personne, qu’on ne t’a pas distribué le bon rôle. C’est la chanson qui a été la plus difficile à accoucher. Slimane m’a aidé. On a commencé le texte ensemble, on se comprend de manière instinctive. »
Comment votre maman a-t-elle accueilli cette chanson quand elle l’a entendue ?
« Elle a validé la chanson. Je ne sors rien dans mon album qui ne soit pas validé par ceux dont ça parle. ‘Mima’ (titre consacré sa grand-mère disparue, NdlR.) a été validé par toute ma famille, parce que ce n’est pas que ma grand-mère. C’est la mère de ma mère, de mes tatas, de mon oncle. J’ai fait écouter la chanson à tout le monde. ‘Pourquoi tu restes’ a été validée par mon mari, ‘La norme’ par mes deux filles. Je chante des gens qui ont fait qui je suis et que j’aime profondément, mais je raconte aussi nos difficultés, nos relations parfois conflictuelles, nos ratés, nos espoirs, nos amours et nos chagrins communs. Ils ont un droit, ça n’engage pas que moi. »