« Influenceuse ? Je n’aime pas trop le mot. Inspirante, ça me va mieux. » Attablée dans la vaste pièce de vie de sa fameuse maison en A, à Lusignac, près de Ribérac, dans l’ouest de la Dordogne, Élizabeth Faure, « vieille hippie » (selon ses propres mots) de 76 ans, se raconte. Cette « baraque » qu’elle a imaginée et construite de A à Z, à partir de grands triangles de bois et « pour 40 000 balles », vaut à l’ancienne architecte une notoriété qu’elle n’a pas vraiment imaginée, ni désirée. Il y a d’abord eu le film documentaire réalisé pendant le chantier par Morgane Launay, point de départ d’un site Internet et d’une communauté avide de conseils et de partage d’expériences. Il y aura aussi une bande dessinée, en cours de création et attendue pour 2026.

« J’ai l’impression d’avoir déjà tout dit, tout raconté sur cette histoire », prévient la septuagénaire en chemise de bûcheron, entre deux bouffées de cigarette. Mais alors, qui est cette drôle de « gonzesse », comme elle dit ? « C’est quelqu’un d’entier, un modèle nécessaire de femme forte qui casse les codes », assure Morgane Launay, sa cadette de presque 40 ans. La septuagénaire se rêve cantinière sur un bateau de Paul Watson, en guerre contre la chasse baleinière, ou carrément « tueuse à gages pour dégommer les méchants ».

Élizabeth Faure, « un modèle nécessaire de femme forte qui casse les codes » pour Morgane Launay.

Élizabeth Faure, « un modèle nécessaire de femme forte qui casse les codes » pour Morgane Launay.

Archives Morgane Launay

Élizabeth Faure vit déjà depuis un peu de dix ans dans cette maison.

Élizabeth Faure vit déjà depuis un peu de dix ans dans cette maison.

Stéphanie Claude

« Elle a beaucoup d’humour et elle aime choquer, pas pour faire mal, plutôt pour bousculer les idées. Le féminisme la définit mais c’est une militante au sens large, contre le mal-logement, pour la cause animale, l’écologie », embraye Ambre Chatelain. Cette autre jeune femme prépare une BD à l’aquarelle avec Élizabeth Faure.

Ambre Chatelain travaille sur cette bande dessinée depuis septembre 2024.

Ambre Chatelain travaille sur cette bande dessinée depuis septembre 2024.

Ambre Chatelain

Toutes les planches sont réalisées à l’aquarelle.

Toutes les planches sont réalisées à l’aquarelle.

Ambre Chatelain

Le scénario s’appuie sur un personnage ingénu auquel Élizabeth Faure présente sa maison et sa construction.

Le scénario s’appuie sur un personnage ingénu auquel Élizabeth Faure présente sa maison et sa construction.

Ambre Chatelain

La BD doit sortir en 2026, aux Éditions Yves-Michel.

La BD doit sortir en 2026, aux Éditions Yves-Michel.

Ambre Chatelain

Née au Maroc

Pour approcher la femme derrière la maison, il faut sûrement remonter à l’enfance, à ses bonheurs et ses douleurs. « La maison en A est radicalement féministe. En fait, je suis née féministe », confirme l’intéressée. C’est à Fès, au Maroc, qu’Élizabeth Faure voit le jour. « Mon père faisait de la recherche médicale et les fatmas m’ont élevée, c’est génial de démarrer la vie comme ça, dans l’amour des femmes. Et puis on est arrivé en France. D’abord à Ghien [dans le Loiret, NDLR], puis à Annemasse [en Haute-Savoie]. »

Le récit reprend : « J’ai détesté ça, parce qu’on nous détestait, qu’on nous traitait de colons. L’école, au début, c’était l’enfer. Ma petite sœur a été lapidée par les élèves et sous les yeux des maîtresses. Moi, j’ai commencé à me scarifier car je croyais que je faisais un cauchemar, que j’allais me réveiller. » La fillette s’échappe dans « sa vie de môme », elle aime fabriquer des radeaux.

« Je suis née féministe », affirme Élizabeth Faure.

« Je suis née féministe », affirme Élizabeth Faure.

Stéphanie Claude

« Faire des maisons pour les pauvres »

Bac en poche, pour réaliser son rêve de « faire des maisons pour les pauvres », la future bâtisseuse prend la tangente. Elle rembobine : « Je pensais faire archi à Florence, parce que je parlais italien et que je suis amoureuse de cette ville. Mais j’aurais été la seule femme à l’école, et ça, ça n’était pas possible. » Bref, seule et « avec 150 balles », elle se « casse à Londres ». Dans l’effervescence du Swinging London, au tournant des sixties et des seventies, elle cumule les cours et les petits jobs. « Je bouffais en profitant des petits gâteaux servis avec le thé au boulot. Je n’avais jamais de fric. »

« En fait, l’argent a presque toujours été invisible dans ma vie, rigole Élizabeth Faure. À mes débuts, en plein apartheid, j’ai refusé de faire une maison pour un diamantaire sud-africain. Et je ne me suis pas fait de fric avec ma maison non plus [les plans sont accessibles gratuitement, NDLR]. Je suis au minimum vieillesse. Là, je me remets juste à flot après la dernière panne de ma bagnole. Je trouve toujours des solutions et je suis libre, alors je me sens très très riche. »

Vie en communauté

« Toujours cash », elle confesse avoir « essayé toutes les drogues » et « avoir toujours eu un mec, avec des amants et des amantes ». Sur les bancs de l’école d’archi, la petite « frenchie » rencontre le père de sa fille, née en 1974. Et c’est avec eux qu’elle découvre la Dordogne : « On a débarqué en 1977. À l’époque, les Anglais achetaient les maisons en ruine. On en a restauré une centaine. On vivait en communauté à Vanxains, c’était chouette… » En 1982, elle repart à Londres avec son enfant, tourne la page de l’architecture et enchaîne les boulots alimentaires : « Il n’y avait plus de créativité, j’en avais marre. »

Après des parenthèses new yorkaises et parisiennes, elle revient finalement poser ses bagages en Périgord. « Mon ex-mec de New York m’a acheté une maison ici. J’ai mis six ans à la vendre, mais ça tombait bien : le terrain ici, à Lusignac, n’était pas en vente. Tout s’est débloqué en même temps. » « Tout », entendez l’aventure de la désormais célèbre maison en A.

Élizabeth Faure conserve ce modèle réduit des triangles qui forment le squelette de sa maison.

Élizabeth Faure conserve ce modèle réduit des triangles qui forment le squelette de sa maison.

Stéphanie Claude

MeeToo et les machos

« Sans me la péter, je voyais ça un peu comme une maison témoin, pose Élizabeth Faure. Si ça n’avait été que pour moi, je n’aurais pas fait 181 m². J’ai construit cette baraque pour que les gens la voient, qu’ils voient qu’une nana de 65 balais peut le faire, qu’on peut y arriver sans beaucoup de moyens mais en faisant les choses soi-même. »

La maison s’étend sur 181 m2.

La maison s’étend sur 181 m2.

Archives Morgane Launay

Élizabeth Faure a construit chacun des triangles qui forment l’ossature de la maison.

Élizabeth Faure a construit chacun des triangles qui forment l’ossature de la maison.

Archives Morgane Launay

Suivie pendant les quelques mois du chantier par la caméra de Morgane Launay, la nana en question creuse les fondations en écoutant le rossignol chanter. Elle construit les piliers, installe la fosse septique, se « trouve une famille » en mobilisant qui veut lui donner un coup de main pour assembler et lever l’ossature en bois de sa future demeure. Elle se fatigue parfois, mais ne doute pas, fait de la plomberie en soutien-gorge et dompte l’installation électrique.

En 2013, l’architecte-constructrice emménage. En 2016, le film « La Maison en A » sort. Presque dix ans plus tard, Élizabeth Faure pense avoir reçu des milliers de personnes chez elle (1). « Elle était envahie, c’est pour ça qu’on a fait les tutoriels, pour que les gens trouvent les réponses à leurs questions », rappelle Morgane Launay.

Les maisons en A ont poussé dans le lotissement de Lusignac et dans toute la France. Celle de « la vieille hippie » n’est toujours pas tout à fait terminée, « faute de blé », mais « ce n’est pas bien grave » pour elle. « Il y a eu MeToo et ça, c’est plus important que tout le reste. Il est temps que les machos nous laissent vivre. » Vous avez dit féministe ?

(1) Élizabeth Faure ne reçoit plus de visites.

Repères
Certains la construisent eux-mêmes de bout en bout, en suivant les pas d’Élizabeth Faure, par choix ou par souci d’économie. D’autres la bâtissent à partir de l’un des nombreux kits sur le marché. L’un des derniers lancés, celui de l’entreprise estonienne Avrame, démarre à 35 000 euros. D’autres encore la confient à des pros. En tout cas, l’ancienne architecte qui a popularisé la maison en A se défend bien de l’avoir inventée. « Elle existe depuis la nuit des temps », assure la Périgourdine. Pour la sienne, bâtie sur pilotis pour qu’elle « puisse respirer », elle a assemblé des triangles équilatéraux qui forment la charpente (avec ici un dortoir sous les combles) et portent aussi la toiture (couverte de bardeaux bitumés) qui sert de murs extérieurs.